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"Entre les murs" de Laurent Cantet: fenêtre ouverte sur le monde
Hier avait lieu la projection du dernier film français en compétition, après « Un Conte de noël » d’Arnaud Desplechin et « La Frontière de l’aube » de Philippe Garrel : « Entre les murs » adapté du roman éponyme de François Bégaudeau qui y interprète ou plutôt recrée son propre rôle.
Synopsis : François est un jeune professeur de français d’une classe de 4ème dans un collège difficile. Il n’hésite pas à affronter ses élèves dans de stimulantes joutes verbales. Mais l’apprentissage de la démocratie peut parfois comporter de vrais risques...
Rarement une projection de cette édition 2008 aura suscité autant d’enthousiasme, se manifestant notamment par 6 minutes d’applaudissements à la fin de la projection mais aussi par des rires et des applaudissements ayant ponctué celle-ci.
Entre documentaire et fiction « Entre les murs » s’inscrit pourtant dans la lignée des films présentés cette année, du moins de par son sujet très réaliste, un film dont il est amusant de constater que son titre cette fois encore évoque l’idée d’enfermement, leitmotiv des films de cette édition 2008, mais aussi par sa forme très proche du documentaire (proche également du faux documentaire comme « Je veux voir » dont je vous ai déjà parlé il y a quelques jours).
Comme son titre l’indique, Laurent Cantet ne fait jamais sortir ses personnages de l’enceinte de l’établissement mais ce qui s’y déroule est là encore un miroir du monde, une fenêtre ouverte sur ses « fracas » : l’exclusion culturelle et sociale notamment, les expulsions d’étrangers...
Les joutes verbales palpitantes et si révélatrices entre les élèves et le professeur nous rappellent « L’esquive » d’Abdellatif Kechiche, le langage étant également ici un des acteurs principaux : révélateur des tensions, incompréhensions de la classe, entre le professeur et ses élèves mais aussi du monde qu'elle incarne.
Le professeur n’est jamais condescendant ni complaisant avec ses élèves, les échanges qu’il a avec eux sont à la fois graves et drôles, tendres et féroces.
Laurent Cantet filme au plus près des visages tantôt le professeur tantôt les élèves qui parlent mais aussi ceux qui rêvassent, s'évadent des murs, jouent avec leurs portables... nous immergeant complètement dans la vie de cette classe dont la résonance va bien au-delà.
Laurent Cantet ne « victimise » ni les élèves ni les professeurs, il filme simplement deux réalités qui s’affrontent verbalement et qui dépassent parfois ceux qui la vivent.
Le tournage a été précédé d’une année d’ateliers d’improvisations et les « acteurs » sont de vrais élèves, parents d’élèves, professeurs, administratifs de l’école : le résultat est bluffant de réalisme. Filmant avec discrétion, sans esbroufe, mais toujours au service de ses protagonistes, Laurent Cantet nous dresse à la fois un portrait subtile du monde d’aujourd’hui mais aussi celui d’un professeur avec ses doutes, ses découragements, qui met les adolescents face à leur propre limites, se retrouvant parfois face aux siennes, n’excluant pas le dérapage dont le langage est une nouvelle fois le témoignage.
La tension et notre attention ne se relâchent jamais. En filmant un microcosme qui se révèle être une formidable caisse de résonance du mur qui se dresse entre le professeur et ses élèves, qui s’abat parfois le temps d’un inestimable instant, mais aussi de tout ce qui se déroule derrière les murs et que la caméra insinue avec beaucoup de subtilité, Laurent Cantet a signé un film fort sur la fragilité du monde d’aujourd’hui et sur ses fragilités dont l’école est le témoignage et le réceptacle. S'il nous montre qu'élèves et professeurs ne parlent bien souvent pas le même langage, il les humanise et filme leurs fragilités, leurs dérapages avec autant d'empathie qu'ils soient élèves ou professeurs, ce qui les humanise encore davantage.
Dire que François Bégaudeau interprète son propre rôle avec beaucoup de talent pourrait paraître ironique et pourtant il est probablement difficile de recréer sa propre réalité en lui donnant un tel sentiment de véracité.
Des murs entre lesquels le spectateur ne se sent jamais à l’étroit, toujours impliqué, conquis par ce film passionnant, qui traduit l'universel à travers l'intime. Un grand prix ou un prix du jury en perspective ? En tout cas une des palmes d’or des festivaliers !
Ci-dessous les réactions du public à l'issue de la projection de 16H dans le Grand Théâtre Lumière en présence de l'équipe du film.
Sandra.M