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Blog créé en 2003 par Sandra Mézière, romancière. Blog cinéma sur les éditions passées du Festival de Cannes. Et le Festival de Cannes 2024 en direct ici. Pour l'actualité cinéma quotidienne et mon actualité d'auteure : Inthemoodforcinema.com.
Je vous parlais il y a quelques jours de "Tree of life" de Terrence Malick dont nous ne saurons que le 14 avril s'il est sélectionné ou non dans le cadre de ce 64ème Festival de Cannes. En attendant découvrez son affiche définitive.
L'an passé, c'est la sélection Cannes Classics qui m'a procurée mes plus belles émotions du Festival de Cannes avec la projection de la version restaurée du "Guépard" de Luchino Visconti. Une section qui chaque année nous permet de redécouvrir des chefs d'oeuvres du septième art, cette année il y aura donc notamment "Orange mécanique" de Stanley Kubrick, lequel sera également à l'honneur à la Cinémathèque avec une exposition àdu mercredi 23 mars au dimanche 31 juillet, mais aussi avec une sortie en dvd de l'intégrale le 23 mars, et une rétrospective nationale en salles à partir du 1er juin.
1985 - Prix de la Critique Internationale - F.I.P.R.E.S.C.I. - THE PURPLE ROSE OF CAIRO (LA ROSE POURPRE DU CAIRE) - Long métrage
La trilogie londonienne de Woody Allen : critique de "Match point"
Un film de Woody Allen comme le sont ceux de la plupart des grands cinéastes est habituellement immédiatement reconnaissable, notamment par le ton, un humour noir corrosif, par la façon dont il (se) met en scène, par la musique jazz, par le lieu (en général New York).
Cette fois il ne s'agit pas d'un Juif New Yorkais en proie à des questions existentielles mais d'un jeune irlandais d'origine modeste, Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer), qui se fait employer comme professeur de tennis dans un club huppé londonien. C'est là qu'il sympathise avec Tom Hewett (Matthew Goode), jeune homme de la haute société britannique avec qui il partage une passion pour l'opéra. Chris fréquente alors régulièrement les Hewett et fait la connaissance de Chloe (Emily Mortimer), la sœur de Tom, qui tombe immédiatement sous son charme. Alors qu'il s'apprête à l'épouser et donc à gravir l'échelle sociale, il rencontre Nola Rice (Scarlett Johansson), la pulpeuse fiancée de Tom venue tenter sa chance comme comédienne en Angleterre et, comme lui, d'origine modeste. Il éprouve pour elle une attirance immédiate, réciproque. Va alors commencer entre eux une relation torride...
Je mets au défi quiconque n'ayant pas vu le nom du réalisateur au préalable de deviner qu'il s'agit là d'un film de Woody Allen, si ce n'est qu'il y prouve son génie, dans la mise en scène, le choix et la direction d'acteurs, dans les dialogues et dans le scénario, « Match point » atteignant d'ailleurs pour moi la perfection scénaristique.
Woody Allen réussit ainsi à nous surprendre, en s'affranchissant des quelques « règles » qui le distinguent habituellement : d'abord en ne se mettant pas en scène, ou en ne mettant pas en scène un acteur mimétique de ses tergiversations existentielles, ensuite en quittant New York qu'il a tant sublimée. Cette fois, il a en effet quitté Manhattan pour Londres, Londres d'une luminosité obscure ou d'une obscurité lumineuse, en tout cas ambiguë, à l'image du personnage principal, indéfinissable.
Dès la métaphore initiale, Woody Allen nous prévient (en annonçant le thème de la chance) et nous manipule (pour une raison que je vous laisse découvrir), cette métaphore faisant écho à un rebondissement (dans les deux sens du terme) clé du film. Une métaphore sportive qu'il ne cessera ensuite de filer : Chris et Nola Rice se rencontrent ainsi autour d'une table de ping pong et cette dernière qualifie son jeu de « très agressif »...
« Match point » contrairement à ce que son synopsis pourrait laisser entendre n'est pas une histoire de passion parmi d'autres (passion dont il filme d'ailleurs et néanmoins brillamment l'irrationalité et la frénésie suffocante que sa caméra épouse) et encore moins une comédie romantique (rien à voir avec « Tout le monde dit I love you » pour lequel Woody Allen avait également quitté les Etats-Unis) ; ainsi dès le début s'immisce une fausse note presque imperceptible, sous la forme d'une récurrente thématique pécuniaire, symbole du mépris insidieux, souvent inconscient, que la situation sociale inférieure du jeune professeur de tennis suscite chez sa nouvelle famille, du sentiment d'infériorité que cela suscite chez lui mais aussi de sa rageuse ambition que cela accentue ; fausse note qui va aller crescendo jusqu'à la dissonance paroxystique, dénouement empruntant autant à l'opéra qu'à la tragédie grecque. La musique, notamment de Verdi et de Bizet, exacerbe ainsi encore cette beauté lyrique et tragique.
C'est aussi le film des choix cornéliens, d'une balle qui hésite entre deux camps : celui de la passion d'un côté, et de l'amour, voire du devoir, de l'autre croit-on d'abord ; celui de la passion amoureuse d'un côté et d'un autre désir, celui de réussite sociale, de l'autre (Chris dit vouloir « apporter sa contribution à la société ») réalise-t-on progressivement. C'est aussi donc le match de la raison et de la certitude sociale contre la déraison et l'incertitude amoureuse.
A travers le regard de l'étranger à ce monde, Woody Allen dresse le portrait acide de la « bonne » société londonienne avec un cynisme chabrolien auquel il emprunte d'ailleurs une certaine noirceur et une critique de la bourgeoisie digne de La cérémonie que le dénouement rappelle d'ailleurs.
Le talent du metteur en scène réside également dans l'identification du spectateur au (anti)héros et à son malaise croissant qui trouve finalement la résolution du choix cornélien inéluctable, aussi odieuse soit-elle. En ne le condamnant pas, en mettant la chance de son côté, la balle dans son camp, c'est finalement notre propre aveuglement ou celui d'une société éblouie par l'arrivisme que Woody Allen stigmatise. Parce-que s'il aime (et d'ailleurs surtout désire) la jeune actrice, Chris aime plus encore l'image de lui-même que lui renvoie son épouse : celle de son ascension.
Il y a aussi du Renoir dans ce Woody Allen là qui y dissèque les règles d'un jeu social, d'un match fatalement cruel ou même du Balzac car rarement le ballet de la comédie humaine aura été aussi bien orchestré.
Woody Allen signe un film d'une férocité jubilatoire, un film cynique sur l'ironie du destin, l'implication du hasard et de la chance. Un thème que l'on pouvait notamment trouver dans « La Fille sur le pont » de Patrice Leconte. Le fossé qui sépare le traitement de ce thème dans les deux films est néanmoins immense : le hiatus est ici celui de la morale puisque dans le film de Leconte cette chance était en quelque sorte juste alors qu'elle est ici amorale, voire immorale, ...pour notre plus grand plaisir. C'est donc l'histoire d'un crime sans châtiment dont le héros, sorte de double de Raskolnikov, est d'ailleurs un lecteur assidu de Dostoïevski (mais aussi d'un livre sur Dostoïevski, raison pour laquelle il épatera son futur beau-père sur le sujet), tout comme Woody Allen à en croire une partie la trame du récit qu'il lui « emprunte ».
Quel soin du détail pour caractériser ses personnages, aussi bien dans la tenue de Nola Rice la première fois que Chris la voit que dans la manière de Chloé de jeter négligemment un disque que Chris vient de lui offrir, sans même le remercier . Les dialogues sont tantôt le reflet du thème récurrent de la chance, tantôt d'une savoureuse noirceur (« Celui qui a dit je préfère la chance au talent avait un regard pénétrant sur la vie », ou citant Sophocle : « n'être jamais venu au monde est peut-être le plus grand bienfait »...). Il y montre aussi on génie de l'ellipse (en quelques détails il nous montre l'évolution de la situation de Chris...).
Cette réussite doit aussi beaucoup au choix des interprètes principaux : Jonathan Rhys-Meyer qui interprète Chris, par la profondeur et la nuance de son jeu, nous donnant l'impression de jouer un rôle différent avec chacun de ses interlocuteurs et d'être constamment en proie à un conflit intérieur ; Scarlett Johansson d'une sensualité à fleur de peau qui laisse affleurer une certaine fragilité (celle d'une actrice en apparence sûre d'elle mais en proie aux doutes quant à son avenir de comédienne) pour le rôle de Nola Rice qui devait être pourtant initialement dévolu à Kate Winslet ; Emily Mortimer absolument parfaite en jeune fille de la bourgeoisie londonienne, naïve, désinvolte et snob qui prononce avec la plus grande candeur des répliques inconsciemment cruelles(« je veux mes propres enfants » quand Chris lui parle d'adoption ...). Le couple que forment Chris et Nola s'enrichit ainsi de la fougue, du charme électrique, lascif et sensuel de ses deux interprètes principaux.
La réalisation de Woody Allen a ici l'élégance perfide de son personnage principal, et la photographie une blancheur glaciale semble le reflet de son permanent conflit intérieur.
Le film, d'une noirceur, d'un cynisme, d'une amoralité inhabituels chez le cinéaste, s'achève par une balle de match grandiose au dénouement d'un rebondissement magistral qui par tout autre serait apparu téléphoné mais qui, par le talent de Woody Allen et de son scénario ciselé, apparaît comme une issue d'une implacable et sinistre logique et qui montre avec quelle habileté le cinéaste a manipulé le spectateur (donc à l'image de Chris qui manipule son entourage, dans une sorte de mise en abyme). Un match palpitant, incontournable, inoubliable. Un film audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu'à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d'un regard désabusé et d'une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un chef d'œuvre à voir et à revoir !
« Match point » est le premier film de la trilogie londonienne de Woody Allen avant « Scoop » et « Le rêve de Cassandre ».
Le rêve de Cassandre : crime et châtiments
Deux frères désargentés mais ambitieux, surtout l’un d’eux, Ian, incarné par Ewan McGregor, s'offrent un voilier au-dessus de leurs modestes moyens, ils le baptisent "Cassandra's Dream", titre aussi prémonitoire que les prophéties tragiques de ladite Cassandre dans l’Antiquité. Ian travaille dans le restaurant de leurs parents tandis que son frère Terry travaille dans un garage. Ian tombe amoureux d’Angela, comédienne de son état et surtout ambitieuse. Pour satisfaire leurs ambitions, Terry va s’endetter considérablement au jeu et Ian va se donner des airs de riche investisseur pour la séduire. Leur seul moyen de s’en sortir c’est l’oncle Howard (Tom Wilkinson) qui a fait fortune en Californie, l’emblème de la réussite sociale de la famille que leur mère ne cesse de citer en exemple. En contrepartie de son aide financière il leur propose un macabre marché : tuer un homme...
Aller voir un film de Woody Allen c’est un peu comme pour Cécilia (non pas celle-là, mais celle incarnée par Mia Farrow…) qui revoit inlassablement "La Rose Pourpre du Caire" dans le film éponyme, c’est y aller les yeux fermés avec la promesse d’un voyage cynique ou comique, léger ou grave, parfois tout cela à la fois, mais un voyage en tout cas surprenant et captivant. Ce « Rêve de Cassandre » qui apporte encore une nouvelle pierre à l’édifice qu’est la filmographie fascinante et hétéroclite de Woody Allen, ne déroge pas à la règle. Il s’inscrit dans la lignée des films les plus noirs du cinéaste et apporte encore quelque chose de nouveau.
D’abord, il y excelle dans l’art de l’ellipse. Là où chez d’autres cinéastes cela constituerait une faiblesse scénaristique frustrante pour le spectateur, cela rend ici la logique machiavélique encore plus implacable et le récit encore plus limpide. Rien n’est superflu. En un plan, en un geste filmé avec une apparente désinvolture (le père qui trébuche, dans un coin de l’écran, comme ça, mine de rien mais quand même, un regard désarçonné ou appuyé etc) il dépeint magnifiquement un personnage et surtout ses faiblesses. Si Woody Allen s’est toujours intéressé aux travers humains, il ne se cache plus derrière le masque de l’humour. C’est ici un film sombre qui se revendique comme tel.
Woody Allen est toujours un virtuose de la réalisation : ici, pas de mouvements de caméras démonstratifs mais une composition du cadre qui sert admirablement l’intrigue et qui, sans avoir l’élégance revendiquée et signifiante de « Match point », n’en est pas moins soignée. La réalisation, les indices scénaristiques sont moins tonitruants que dans « Match point » mais ils s’enchaînent avec une évidence édifiante. Pas de tonitruance non plus dans les références antiques (Médée, Cassandre) judicieusement distillées.
Le propos est tout aussi cruel, cynique, voire lucide que dans « Match point ». Le moteur est aussi le même : l’ambition, l’ascension sociale, l’amoralité, savoureuse pour le spectateur. Et si Woody Allen n’est pas Ken Loach il place ce film dans un milieu social moins favorisé que celui dans lequel se situent habituellement ses films, et cela sonne tout aussi juste. Les règles du jeu social, les désirs irrépressibles de revanche sociale et les multiples ressources scénaristiques de leurs conséquences l’intéressent toujours autant, quel que soit le pays ou le milieu social.
Comme dans « Match point », il est question de chance, de malchance surtout ici, de culpabilité, d’ambition dévastatrice. « Match point » était un crime sans châtiment, c’est d’ailleurs ce qui le rendait en partie si passionnant et jubilatoire, c’est l’inverse qui rend « Le rêve de Cassandre » prenant: c’est un crime avec châtiments. Ajoutez à cela un Ewan McGregor aveuglé par son ambition avec un air faussement irréprochable et un Colin Farrell que la nervosité, l’emprise du jeu –dans les deux sens du terme d’ailleurs-, rendent presque méconnaissable, faillible et crédible en être faillible (pas de super héros chez Woody ) en proie aux remords et aux doutes, tous deux parfaits dans leurs rôles respectifs, une musique lancinante (de Philip Glass) suffisamment inquiétante, et vous obtiendrez un « Rêve de Cassandre » délicieusement cauchemardesque. Embarquez sans plus attendre !
Scoop
Après Match point, perfection du genre, film délicieusement immoral au scénario virtuose totalement et magnifiquement scénarisé en fonction de son dénouement et de la balle de match finale, quel film pouvait donc bien ensuite réaliser Woody Allen ? Evidemment pas un film noir qui aurait inévitablement souffert de la comparaison. Si, à l’image de Match point, Woody Allen a de nouveau délaissé New York -qu’il a tellement sublimée et immortalisée- pour Londres, si comme dans Match point, il a de nouveau eu recours à Scarlett Johansson comme interprète principale, il a donc néanmoins délaissé le film noir pour retourner à la comédie policière à l’image d’Escrocs mais pas trop ou du Sortilège du scorpion de Jade. Si le principal atout de Match point était son scénario impeccable, c’est ailleurs qu’il faut aller chercher l’intérêt de ce Scoop.
L’intrigue est ainsi délibérément abracadabrantesque et improbable. Le célèbre journaliste d'investigation Joe Strombel, arrivé au Purgatoire, y rencontre la secrétaire de l’aristocrate Peter Lyman, également politicien à l’image irréprochable de son état. Elle lui révèle qu’elle aurait été empoisonnée par ce dernier après avoir découvert que Peter serait en réalité le tueur en série surnommé « le Tueur au Tarot » qui terrorise Londres. Professionnel et avide de scoops jusqu’à la mort et même après, Joe Strombel, va se matérialiser à une jeune étudiante en journalisme (et accessoirement en orthodontie), la jeune Sondra (Scarlett Johansson) lorsqu’elle est enfermée dans une boîte lors du tour de magie de l’Américain Splendini (Woody Allen). Croyant avoir trouvé le scoop du siècle elle décide de faire la connaissance de Peter Lyman (charismatique et mystérieux Hugh Jackman) pour le démasquer, avec, comme « perspicace » collaborateur, Splendini. Evidemment elle va tomber amoureuse (de Peter Lyman, pas de Woody, celui-ci ayant ici renoncé au rôle de l’amoureux, dans un souci de crédibilité, ou dans un sursaut de lucidité, pour jouer celui du protecteur). Elle n’aurait peut-être pas dû…
Woody Allen est donc passé de la noirceur à la légèreté. C’est agréable la légèreté, aussi, surtout après la noirceur, aussi parfaite soit-elle. Woody Allen nous revient aussi en tant qu’acteur, fidèle à lui-même, balbutiant, maladroit, chaplinesque, woodyallenesque plutôt, adepte de l’ironie et de l’autodérision, et narcissique de religion (si, si, vous verrez, ça existe). Intrigue abracadabrantesque donc mais c’est aussi ce qui fait le charme de ce scoop. Preuve que légèreté et noirceur ne sont pas totalement incompatibles, Woody Allen a saupoudré son scoop d’humour exquisément noir avec notamment une mort presque sympathique en grande faucheuse embarquant ses défunts et bavards voyageurs. Woody Allen lui aussi nous embarque, dans un jeu, dans son jeu. Il ne nous trompe pas. Nous en connaissons les règles, les codes du genre : la désinvolture et la loufoquerie sont de mise.
La mise en scène reste cependant particulièrement soignée, Scarlett Johansson est de nouveau parfaite, cette fois en étudiante naïve et obstinée. Comme la plupart des bonnes comédies, ce Scoop fonctionne sur les contrastes d’un duo impossible, celui de la journaliste écervelée et obstinée et de son protecteur farfelu. Certes, vous n’explosez pas de rire mais vous avez constamment le sourire aux lèvres entraînés par l’entrain communicatif et l’humour décalé de Woody Allen qui montre à nouveau que l’on peut être un réalisateur particulièrement prolifique sans rien perdre de son enthousiasme et de sa fraîcheur. Une bonne humeur tenace et contagieuse vaut après tout mieux qu’un rire explosif, non ?
Un film rythmé, léger, burlesque, ludique à la mise en scène soignée avec une touche d’humour noir même si on peut regretter que la morale soit sauve et même si on peut donc regretter l’immoralité jubilatoire de Match point. Ce scoop-là n’est ni sidérant, ni inoubliable, mais néanmoins il vaut la peine d’être connu.
CRITIQUE DE VICKY CRISTINA BARCELONA
Quoiqu’il advienne, quel que soit le sujet, je ne manque JAMAIS un film de Woody Allen et ils sont peu nombreux ces réalisateurs dont chaque film recèle une trouvaille, dont chaque film est une réussite (même si certains évidemment sont meilleurs que d’autres, ou plus légers que d’autres), une véritable gageure quand on connaît la productivité de Woody Allen qui sort quasiment un film par an.
Imaginez donc mon désarroi d’avoir manqué celui-ci au dernier Festival de Cannes (non, vous ne pouvez pas : c’est insoutenable surtout sachant que mes acolytes festivaliers en sortaient tous le sourire aux lèvres, réjouis et un brin narquois envers ma malchance…) et mon impatience de le voir dès sa sortie en salles. Je me demande comment j’ai pu attendre trois jours après sa sortie surtout sachant que, dans mon impatience, je pensais qu’il sortait la semaine dernière… Bref, alors ce dernier Woody Allen était-il à la hauteur de l’attente ?
Evidemment, il serait malvenu de le comparer à la trilogie londonienne, véritable bijou d’écriture scénaristique et de noirceur jubilatoire. Ce dernier est plus léger (quoique…), et pourtant..., et pourtant c’est encore une véritable réussite, qui ne manque ni de sel (pour faire référence à une réplique du film), ni d’ailleurs d’aucun ingrédient qui fait d’un film un moment unique et réjouissant.
Pitch :Vicky (Rebecca Hall) et Cristina (Scarlett Johanson) sont d'excellentes amies, avec des visions diamétralement opposées de l'amour : la première est plutôt raisonnable, fiancée à un jeune homme « respectable » ; la seconde est plutôt instinctive, dénuée d'inhibitions et perpétuellement à la recherche de nouvelles expériences passionnelles. Vicky et Cristina sont hébergées chez Judy et Mark, deux lointains parents de Vicky, Vicky pour y consacrer les derniers mois avant son mariage et y terminer son mémoire sur l’identité catalane; Cristina pour goûter un changement de décor. Un soir, dans une galerie d'art, Cristina remarque le ténébreux peintre Juan Antonio (Javier Bardem). Son intérêt redouble lorsque Judy lui murmure que Juan Antonio entretient une relation si orageuse avec son ex-femme, Maria Elena (Pénélope Cruz), qu'ils ont failli s'entre-tuer. Plus tard, au restaurant, Juan Antonio aborde Vicky et Cristina avec une « proposition indécente ». Vicky est horrifiée ; Cristina, ravie, la persuade de tenter l'aventure...
Les jeux de l’amour et du hasard. Un marivaudage de plus. Woody Allen fait son Truffaut et son « Jules et Jim » pourrait-on se dire à la lecture de ce pitch. Oui mais non. Surtout non. Non parce que derrière un sujet apparemment léger d’un chassé-croisé amoureux, le film est aussi empreint de mélancolie et même parfois de gravité. Non parce qu’il ne se contente pas de faire claquer des portes mais d’ouvrir celles sur les âmes, toujours tourmentées, du moins alambiquées, de ses protagonistes, et même de ses personnages secondaires toujours croqués avec talent, psychologie, une psychologie d’une douce cruauté ou tendresse, c’est selon. Non parce que le style de Woody Allen ne ressemble à aucun autre : mélange ici de dérision (souvent, d’habitude chez lui d’auto-dérision), de sensualité, de passion, de mélancolie, de gravité, de drôlerie, de cruauté, de romantisme, d’ironie...
Woody Allen est dit-on le plus européen des cinéastes américains, alors certes on a quitté Londres et sa grisaille pour Barcelone dont des couleurs chaudes l’habillent et la déshabillent mais ce qu’il a perdu en noirceur par rapport à la trilogie londonienne, il l’a gagné en sensualité, et légèreté, non pour autant dénuées de profondeur. Il suffit de voir comment il traduit le trouble et le tiraillement sentimental de Vicky lors d’une scène de repas où apparait tout l’ennui de la vie qui l’attend pour en être persuadé. Ou encore simplement de voir comment dans une simple scène la beauté d’une guitare espagnole cristallise les émotions et avec quelle simplicité et quel talent il nous les fait ressentir. (Eh oui Woody Allen a aussi délaissé le jazz pour la variété et la guitare espagnoles…)
Javier Bardem, ténébreux et troublant, Penelope Cruz, volcanique et passionnelle, Scarlett Johanson (dont c’est ici la troisième collaboration avec Woody Allen après « Match point » et « Scoop »…et certainement pas la dernière), sensuelle et libre, Rebecca Hall, sensible et hésitante : chacun dans leurs rôles ils sont tous parfaits, et cette dernière arrive à imposer son personnage, tout en douceur, face à ces trois acteurs reconnus et imposants. (Dommage d'ailleurs que son personnage n'apparaisse même pas sur l'affiche, c'est finalement le plus intéressant mais certes aussi peut-être le plus effacé...dans tous les sens du terme.)
A la fois hymne à la beauté (notamment de Barcelone, ville impétueuse, bouillonnante, insaisissable, véritable personnage avec ses bâtiments conçus par Gaudi , le film ne s’intitulant pas « Vicky Cristina Barcelona » pour rien) et à l’art, réflexion sur l’amoralité amoureuse et les errements et les atermoiements du corps et du cœur, Woody Allen signe une comédie (on rit autant que l’on est ému) romantiquement sulfureuse et mélancoliquement légère, alliant avec toute sa virtuosité ces paradoxes et s’éloignant des clichés ou de la vulgarité qui auraient été si faciles pour signer un film aussi élégant que sensuel. Cet exil barcelonais pourra en déconcerter certains, mais c’est aussi ce qui imprègne ce film de cette atmosphère aussi fougueuse que cette ville et ces personnages.
Malgré les 72 ans du cinéaste, le cinéma de Woody Allen n’a pas pris une ride : il fait preuve d’une acuité, d’une jeunesse, d’une insolence, d’une inventivité toujours étonnantes, remarquables et inégalées. Un voyage barcelonais et initiatique décidément réjouissant. Vivement le prochain ! En attendant je vous laisse réfléchir à l’idée défendue dans le film selon laquelle l’amour romantique serait celui qui n’est jamais satisfait… A méditer !
Ci-dessous vidéos et récit de la soirée d'ouverture du Festival Paris Cinéma avec Woody Allen et critique de "Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu"
Hier soir, au cinéma Gaumont Opéra, avait lieu l’ouverture du Festival Paris Cinéma 2010 avec, en plus de la Présidente du festival Charlotte Rampling et du Maire de Paris, un invité de marque : Woody Allen, actuellement en tournage à Paris, venu présenter « Vous aller rencontrer un bel et sombre inconnu » ( « You will meet a tall dark stranger »), en présence également de Marisa Berenson, Hippolyte Girardot, Rosanna Arquette entre autres invités du festival. N’ayant pas été autant enthousiasmée par ce film-ci que par les précédents Woody Allen lors de ma première vision de celui-ci au dernier Festival de Cannes dans le cadre duquel le film était présenté hors compétition, je redoutais l’ennui d’une deuxième projection.
Est-ce le plaisir d’avoir vu et entendu Woody Allen présenter le film- en Français s'il vous plaît- (cf vidéo n°4 ci-dessous) avec, à l’image de ce qui imprègne ses films, un humour noir et décalé pudiquement et intelligemment dissimulé derrière une apparente légèreté ? Est-ce le plaisir de débuter ces 14 jours d’immersion festivalière en joyeuse compagnie ? Toujours est-il que j’ai été totalement charmée par ce « You will meet a tall dark stranger », davantage que lors de la première vision, la frénésie cannoise et l’accumulation de projections ne permettant peut-être pas toujours de vraiment déguster les films.
Moins concentrée sur l’intrigue que je connaissais déjà (voir ma critique du film en bas de cet article), j’ai pu focaliser mon attention sur tout ce qui fait des films de Woody Allen des moments uniques et de l’ensemble de son cinéma un univers singulier. J’ai été envoûtée par la photographie lumineuse et même chaleureuse comme un écho visuel à cette légèreté avec laquelle Woody Allen voile pudiquement la gravité de l’existence. Le jeu des acteurs (et la direction d’acteurs) m’a bluffée (avec une mention spéciale pour Lucy Punch, irrésistible) ou comment dans un même plan fixe avec deux comédiens, grâce à son talent de metteur en scène, de directeur d’acteurs et de dialoguiste il fait passer une multitude d’émotions et rend une scène dramatique irrésistiblement drôle ou une scène comique irrésistiblement dramatique, parfois les deux dans le même plan. L’art du montage et du récit, ou comment en quelques plans d’une fluidité remarquable, il parvient à nous raconter une rencontre qui préfigure l’avenir des personnages. Le mélange de lucidité et de tendresse, sur ses personnages et la vanité de l’existence. Les dialogues savoureux, tendrement cyniques. Une sorte de paradoxe que lui seul sait aussi brillamment manier : un pessimisme joyeux. Une lucidité gaie.
Woody Allen n’a décidément pas son pareil pour nous embarquer et pour transformer le tragique de l’existence en comédie jubilatoire. En ressortant du cinéma, après ce régal cinématographique, l’air de Paris était à la fois lourd et empreint d’une clarté éblouissante et de rassurantes illusions comme un écho à la gravité légère de Woody Allen à l’image de laquelle, je l’espère, seront ces 13 jours de festival. A suivre !
Critique de « You will meet a tall dark stranger » suite à la projection cannoise:
Fidèle à son habitude Woody Allen a préféré le confort d'une sélection hors compétition aux « risques » de la compétition. Lui qui faisait pourtant l'apologie de la chance dans « Match point » ne semble pas être si confiant en la sienne. Pour une fois, il n'a peut-être pas eu totalement tort... Après sa remarquable trilogie britannique ( « Match point » -qui reste pour moi la perfection scénaristique-, « Scoop », « Le Rêve de Cassandre »), après son escapade espagnole avec « Vicky Barcelona », Woody Allen était déjà revenu aux Etats-Unis avec le très réussi « Whatever works », il revient donc à nouveau à Londres (on retrouve aussi un air d'opéra qui nous rappelle « Match point »), cette fois pour une comédie.
Synopsis : les amours croisés de différents personnages tous à une époque charnière de leurs existences qui aimeraient tous avoir des illusions sur leur avenir et d'une certaine manière croire qu'ils vont rencontrer un mystérieux inconnu (a tall dark stranger) comme le prédit Cristal la voyante de l'une d'entre eux. Avec : Josh Brolin, Naomi Watts, Anthony Hopkins, Antonio Banderas, Freida Pinto (« Slumdog Millionaire »)...
Même un moins bon film de Woody Allen comme l'est celui-ci (mais on peut bien lui pardonner avec les films brillants qu'il a accumulés ces derniers temps) reste un moment savoureux avec des dialogues rythmés et caustiques et une mise en scène toujours alerte et astucieuse et de très beaux plans séquences.
« C'est la vitalité » disait François Truffaut du cinéma de Claude Sautet. Il aurait sans doute également pu attribuer ce terme au cinéma de Woody Allen. Cette vitalité, cette apparente légèreté cherchent pourtant comme toujours à dissimuler et aborder la fragilité de l'existence que ce soit en évoquant la mort avec une pudique désinvolture (certes ici prétexte à des scènes de comédie) ou la pathétique et touchante course contre le temps (remarquable Anthony Hopkins, ici sorte de double du cinéaste qui s'amourache d'une jeune « actrice » qu'il épouse).
Woody Allen croque ses personnages à la fois avec lucidité et tendresse pour nous donner une sorte de conte sur la manière de s'arranger avec la vanité de l'existence, qu'importe si c'est avec des illusions. Ce film illustre à nouveau très bien cette lucide phrase du cinéaste citée par Kristin Scott Thomas lors de l'ouverture du festival (« L'éternité, c'est long ... surtout vers la fin »).
Une fantaisie pétillante beaucoup moins légère qu'elle n'en a l'air mais aussi moins pessimiste puisque chacun trouvera un (certes fragile) nouveau départ, le tout illuminé par une très belle photographie et des acteurs lumineux. Vous auriez tort de vous en priver !
C'est un habitué du Festival de Cannes qui fera l'ouverture de cette 64ème édition, Woody Allen avec le très attendu "Midnight in Paris", le jour même de la sortie en salles du film, le 11 mai. Fidèle à son habitude, Woody Allen ne sera pas en compétition mais présentera à nouveau un film à Cannes...pour mon plus grand plaisir. Nous savions pour l'instant seulement que Robert de Niro serait le président du jury du Festival qui aura lieu du 11 au 22 mai, un festival que vous pourrez suivre en direct sur In the mood for Cannes mais aussi sur mon blog quotidien principal "In the mood for cinema" et sur le compte twitter d'inthemoodforcannes ainsi que sur la nouvelle page Facebook d'Inthemoodforcannes.
Je vous en reparle très bientôt!
Voici le communiqué de presse:
Cette comédie romantique tournée l’été dernier à Paris réunit une vaste distribution internationale, à laquelle participent Owen Wilson, Rachel McAdams, Marion Cotillard ainsi que Kathy Bates, Adrien Brody, Carla Bruni-Sarkozy, Gad Elmaleh et Léa Seydoux.
Après Londres (Match Point) et Barcelone (Vicky Cristina Barcelona), c’est Paris qui a les honneurs de la caméra du cinéaste new-yorkais le plus apprécié du public européen.
« Midnight in Paris est une merveilleuse lettre d’amour à Paris, déclare le délégué général Thierry Frémaux. C’est une œuvre dans laquelle Woody Allen approfondit les questions posées dans ses derniers films : notre rapport à l’histoire, à l’art, au plaisir et à la vie. Pour son 41e long-métrage, Il fait à nouveau preuve d'une belle inspiration. »
Produit par Mediapro (Espagne) et par Gravier Productions (New York) et distribué par Mars Films en France, le film sortira en salles le jour de sa présentation à Cannes. Les spectateurs français pourront ainsi le découvrir dans 400 salles à travers le pays. A cette occasion, le Festival de Cannes a souhaité, avec l’accord de son partenaire Canal+ et le soutien de la Fédération Nationale des Cinémas Français, mettre à disposition de toutes les salles qui le demanderont la cérémonie d’Ouverture, afin que les spectateurs puissent vivre en direct le programme complet de la soirée de lancement du Festival. Le Festival de Cannes entend ainsi marquer le lien fort qui l’unit aux salles et à leurs publics et attirer l’attention sur les films en sélection.
"La conquête" de Xavier Durringer dont la date de sortie est prévue le 4 mai 2011 est un des films évènements de l'année. Il retrace en effet l'ascension de Nicolas Sarkozy à la Présidentielle, de manière très réaliste. A un an de la présidentielle de 2012, l'intérêt et l'enjeu dépasseront forcément les frontières cinématographiques. L'équipe du film montera les marches du Festival de Cannes 2011, ce qui n'exclut pour l'instant pas une sélection en compétition, même si la date de sortie annoncée est antérieure au début du Festival de Cannes (11 mai).
27 avril 2002 – 6 mai 2007 Entre ces deux dates, l’irrésistible ascension de Nicolas Sarkozy à la magistrature suprême racontée à la façon d’un thriller. Au-delà du cas Sarkozy, la réalité dans tous ses aspects des tenants et des aboutissants de la conquête du pouvoir.
C'est le journal le Parisien qui l'a annoncé hier: "W.E.", le nouveau film de Madonna (après "Obscénité et vertu"-2008) en tant que réalisatrice sera présenté au Festival de Cannes 2011 même si nous ignorons pour l'instant si le film sera en compétition.
Quelques images du film seront par ailleurs dévoilées en première mondiale dans le cadre de la Berlinale, ce qui lui permettra peut-être de trouver le distributeur qui lui fait encore défaut.
Synopsis: Le roi Edouard VIII d'Angleterre abdique quelques mois seulement après le début de son règne sur le royaume d'Uni pour pouvoir épouser Wallis Simpson, une jeune femme divorcée. Il provoque alors la plus grande crise constitutionnelle d'Angleterre de tout le vingtième siècle.
Avec: Abbie Cornish, James d'Arcy, Natalie Dormer, Oscar Isaac, Andrea Riseborough...
Comme vous l'avez peut-être constaté, ce blog s'est mis à l'heure du Festival de Cannes 2011, et vous pourrez bien entendu suivre cette 64ème édition en direct du 11 au 22 mai pour ce qui sera mon 11ème Festival de Cannes depuis ma sélection au prix de la jeunesse en 2001.
Inthemoodforcannes était l'an dernier partenaire du journal 20 minutes (qui reprenait certains de mes articles) et d'Orange qui reprenait mes articles sur une application iphone Orange spécifiquement créée.
Pour le Festival de Cannes 2011, je souhaite faire différent et mieux pour vous faire vivre ce festival réellement "in the mood for Cannes", que vous y soyez ou non. Je recherche donc dès à présent des partenariats. Si vous êtes intéressés, vous pouvez me contacter à inthemoodforcinema@gmail.com .
Vous pourrez bien entendu suivre la cérémonie de clôture du 63ème Festival de Cannes comme chaque année sur Canal plus mais aussi sur internet (et le récit sur ce blog puisque j'y serai ce soir).
Je vous propose aujourd'hui un moyen plus original (pour les Parisiens en tout cas) de regarder cette cérémonie puisque le restaurant ciné-club Les Cinoches la diffusera ce soir, un ciné-club dont j'ai le plaisir de choisir la programmation pendant 8 semaines (je vous en parle ici).
"Hors-la-loi", 4 ans après le prix d'interprétation collective reçu par les acteurs d'"Indigènes" dont il est davantage une sorte de prolongement (les personnages interprétés par Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila portent ainsi les mêmes prénoms que dans « Indigènes ») que réellement la suite, faisait partie des films de cette compétition 2010 qui suscitaient le plus d'attente même si cette année, contrairement à "Indigènes "il y a 4 ans, il représente l'Algérie et non la France. C'est aussi le film qui a suscité la plus vive polémique en raison d'une séquence de 6 minutes consacrée au massacre de Sétif à laquelle on a reproché de mettre davantage l'accent sur le massacre des manifestants algériens par l'armée française que sur celui des colons européens. Une polémique absurde puisque c'est du point de vue de ses trois protagonistes algériens que nous voyons ce film et que par ailleurs le massacre des colons européens n'est nullement nié, là n'est simplement pas le sujet. Il n'empêche que cette polémique aura valu aux festivaliers une sécurité inédite : démineurs, hélicoptères, dizaine de cars de CRS, fouille accrue à l'entrée du palais, interdiction de toute bouteille d'eau dans la salle... Plus de 50 ans après, la guerre d'Algérie reste un sujet extrêmement sensible...
Synopsis: Chassés de leur terre algérienne, trois frères et leur mère sont séparés. Messaoud (Roschdy Zem) s'engage en Indochine. A Paris, Abdelkader (Sami Bouajila) prend la tête du mouvement pour l'Indépendance de l'Algérie et Saïd ( Jamel Debbouze) fait fortune dans les cabarets et les clubs de boxe de Pigalle. Leur destin, scellé autour de l'amour d'une mère, se mêlera inexorablement à celui d'une nation en lutte pour sa liberté...
Ce film vaut beaucoup plus et mieux que la polémique à laquelle on tente de le réduire. Ce qui marque d'abord, c'est la qualité de la mise en scène et la somptuosité de la photographie.
« Hors-la-loi » n'est par ailleurs pas un manifeste politique mais une sorte de western des temps modernes aux accents parfois melvilliens sur fond de naissance du fln (que Rachid Bouchareb n'épargne d'ailleurs nullement).
La scène du massacre de Sétif est essentiel pour expliquer l'attachement viscéral à la terre des trois frères, leur besoin de vengeance, leur hargne.
Bouchareb interroge aussi la question de cause juste ou de guerre juste qui dépasse largement le cadre de la guerre d'Algérie. Jusqu'où aller pour défendre un idéal, une cause que l'on croit juste ? La fin justifie-t-elle les moyens ? La violence est-elle une arme nécessaire pour trouver le chemin de la liberté ?
La quasi dévotion du personnage de Sami Bouajila qui sacrifie tout (y compris sa vie) à la cause qu'il défend en est la parfaite illustration. C'est d'ailleurs lui qui domine toute la distribution. Soulignons également la présence d'un autre des cinq lauréats du prix d'interprétation de 2006, Bernard Blancan, injustement absent de la conférence de presse et de l'émission Le Grand Journal à laquelle l'équipe était invitée (présente dans les coulisses de l'émission, je vous en reparlerai demain avec de nombreuses photos) remarquable dans le personnage du Colonel Faivre.
Une mise en scène ample, lyrique, inspirée, rythmée d'un cinéphile dont on sent les multiples et prestigieuses influences (du "Parrain" de Coppola au cinéma de Scorsese en passant par celui de Melville). Des comédiens une nouvelle fois remarquables. Des questionnements et un sujet passionnants et qui dépassent le cadre de la guerre d'Algérie. Pour moi, un des meilleurs films de cette édition 2010.
Réactions dans la salle (Grand Théâtre Lumière, séance de 15H) : La séance de 15h, en l'absence de l'équipe du film, suscite plus rarement des applaudissements. Hier, ils étaient pourtant particulièrement enthousiastes.
Prix que je lui attribuerais : Un prix pour la mise en scène ou pour l'interprétation exceptionnelle de Sami Bouajila.
Prix potentiels : Si la mise en scène de Rachid Bouchareb s'est encore améliorée depuis « Indigènes », les concurrents dans cette catégorie sont nombreux. Je crains donc malheureusement qu'il ne figure pas au palmarès.
Quelques images des coulisses du Grand Journal en attendant de vous en dire plus:
Alors que « la ville qui ne dort jamais » ( pour reprendre les termes de Kristin Scott Thomas lors de l'ouverture) commence à m'imprégner délicieusement de ce sentiment étrange que cette vie festivalière entre cinéma et réalité, sous un soleil lui aussi irréel, ne s'achèvera jamais, et que ces journées cette année plus que jamais extraordinaires sont parfaitement normales, hier soir, c'est vers un quartier d'une autre ville qui ne semble jamais dormir, Copacabana, que je me suis dirigée. C'est en tout cas ainsi que se nomme le film de Marc Fitoussi présenté dans le cadre de la 49ème Semaine de la Critique avec notamment dans la distribution : Isabelle Huppert (présidente du jury la 62èmé édition du Festival de Cannes qui revient donc ici dans un tout autre rôle), Lolita Chammah, (et en leur présence) Aure Atika.
Babou (Isabelle Huppert) y incarne une femme joviale, délurée, qui ne se soucie pas du lendemain. Ce n'est pourtant pas au Brésil qu'elle vit mais à Tourcoing. Quand elle découvre que sa fille a trop honte d'elle pour l'inviter à son mariage, elle décide pourtant de rentrer dans le droit chemin. En plein hiver, elle trouve ainsi un emploi de vente d'appartements en multipropriété à Ostende.
Le grand atout de ce film c'est le personnage de Babou et évidemment celle qui l'incarne, Isabelle Huppert, qui lui insuffle une folie inhabituelle, loin des rôles en retenue et en silence auxquels elle nous a habitués. Si besoin était ce rôle confirme qu'elle peut tout jouer, y compris donc un personnage joyeusement désinvolte et iconoclaste. Elle est absolument étonnante dans ce rôle aux antipodes de ceux qu'elle a incarnés jusqu'alors. A l'image du film auquel son personnage apporte son extravagante empreinte malgré le cadre a priori grisâtre (Ostende) d'ailleurs filmé avec une belle luminosité, elle est à la fois fantasque, drôle et touchante. Un véritable arc-en-ciel (que l'on retrouve aussi dans son apparence vestimentaire) que ne reflète malheureusement pas l'affiche du film, sans doute à dessein mais c'est bien dommage...
Cinquième film du réalisateur Marc Fitoussi qui avait notamment réalisé « La vie d'artiste » dans lequel on trouvait également ce mélange d'émotion et de drôlerie, c'est ici à une autre artiste finalement que s'intéresse Marc Fitoussi, quelqu'un qui en tout cas refuse les règle, et vit dans une forme de marginalité. Elle préfère d'ailleurs la compagnie de marginaux à celle de sa fille (incarnée par Lolita Chammah, également sa fille dans la réalité loin de démériter face à elle) qui souhaite une vie à l'opposé de cette de sa mère.
Moins léger qu'il n'y paraît cette comédie est aussi le moyen de dénoncer une société qui exploite, broie, cherche à formater ceux pour qui un travail devient une nécessité vitale, peu en importe le prix, parfois même celui de leur dignité et liberté.
A signaler également Aure Atika une nouvelle fois formidable avec un rôle très différent de celui qu'elle incarnait dans « Melle Chambon » dans lequel elle excellait également.
La vitalité de l'impétueux personnage d'Isabelle Huppert pour qui la vie est un jeu nous fait oublier les imperfections scénaristiques qui à l'image des défauts de cette dernière rendent ce film ludique, attachant et jubilatoire et font souffler un vent de gaieté brésilienne et de liberté salvateur.
Présentation du film par ses actrices: (en m'excusant pour les problèmes de visibilité dus à des passages inopinés devant la caméra).
Bonus: Critique de "La vie d'artiste" de Marc Fitoussi
« La vie d’artiste » qu’est-ce donc alors ? (voir pitch ici). Ici, en tout cas, ce sont : le plaisir viscéral d’exercer son art, la rage (de dire, d’écrire, chanter, jouer … ou de paraître) les amitiés intéressées feintes avec tellement d’habileté, les rancœurs assassines, les coups du destin (oui, encore), les concessions à ses idéaux, les vicissitudes de la chance, un directeur de casting arrogant, des applaudissements qui résonnent comme des coups de poignard ou comme des regrets amers, des regards qui se détournent ou captivés en fonction d’un succès ou d’un échec, des situations cocasses, la duplicité de ceux qui la méprisent ou feignent de la mépriser, des masques de jalousies si réussis. C’est oublier un peu la vie, l’autre, celle que certains disent la vraie. C’est un désir avoué ou inavoué, un regret, un remords. La vie d’artiste, c’est ce qui altère les comportements de ceux qui la vivent, de ceux qui les côtoient ou ceux qui les regardent plus encore. Si certaines situations sont prévisibles, elles n’en demeurent pas moins très justes. « La vie d’artiste » me fait penser à cette phrase de Martin Scorsese lors du dernier Festival de Cannes : pour faire un film il faut le vouloir plus que toute autre chose au monde. La vie d’artiste c’est le vouloir plus que toute autre chose au monde. Une nécessité impérieuse. Parfois, au détriment des autres. La vie d’artiste, c’est être parfois égocentrique à moins que ce ne soit être injustement jugé comme tel. La vie d’artiste c’est être aveugle au monde extérieur. A moins que ce ne soit un moyen de l’oublier ou de le sublimer ou de le regarder. Autrement. Dommage que les passions des trois protagonistes, ou de qui devraient être leurs passions ( le personnage de Denis Poladydès semble ainsi davantage être guidé par l’envie de reconnaissance que par celle d’écrire) semblent vécues davantage comme un poids que comme une libération. La passion : poids ou liberté (ou libération) : hein, je vous le demande… J’ai bien ma petite idée… Dommage que certains personnages soient aussi caricaturaux (certes délibérément, comme ressorts de la comédie que ce film est avant tout) comme celui d’Aure Atika non moins irrésistible en patronne d’Hippopotamus irascible, ou comme celui de Valérie Benguigui jalouse de la passion, de la « vie d’artiste « de son amant qui le lui vole. La vie d’artiste c’est surtout ce qui donne cette petite flamme dans les yeux et la vie de ceux qui la vivent ou y aspirent. La petite lueur dans les yeux du spectateur au dénouement de ce film drôle et prometteur qui explore toutes les situations ou sensations insolites (souvent), magiques (presque pas, pas suffisamment) que suscitent la « vie d’artiste ». La vie, passionnément. Plus intensément. Un désir ardent que le film ne reflète peut-être pas suffisamment ayant néanmoins ainsi gagné en comédie et drôlerie ce qu’il perd en profondeur.