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QUINZAINE DES REALISATEURS

  • CLÔTURE DE LA QUINZAINE DES REALISATEURS 2022 - Critique - LE PARFUM VERT de Nicolas Pariser

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    Projeté en clôture de la Quinzaine des réalisateurs, Le Parfum vert est le troisième long-métrage de Nicolas Pariser qui, après Alice et le Maire, explore un nouveau territoire avec cette comédie d’espionnage qui s’inspire à la fois d’Hitchcock et d’Hergé.

    Les polémiques et l’actualité d’alors avaient éclipsé le César 2020 de la meilleure actrice attribué (à juste titre) à Anaïs Demoustier, ainsi que son discours enthousiaste et brillant sur la scène de Pleyel. C’est déjà au moins une bonne raison pour faire cette digression en préambule pour vous parler à nouveau de cette fable politique de Nicolas Pariser, lequel avait déjà notamment réalisé le prenant Le grand jeu.

    Alice et le Maire. Voilà un titre qui résonne comme celui d’une Fable de La Fontaine. Ou comme un titre d’un film de Rohmer.  Ou comme un titre d’un film de Claude Sautet. Il y a un peu de toutes ces influences dans ce film qui nous embarque à Lyon où le Maire, Paul Théraneau, va mal. Son problème ? Un manque violent, étourdissant, abyssal d’idées. Il ne parvient plus à penser. Il se sent vide. Alors, il demande à une jeune femme, Alice Heiman, de l’aider. Elle est à peu près aussi velléitaire que lui qui, les yeux dans le vague, le bâillement au bord des lèvres, et le sommeil au bord des yeux, écoute distraitement les délibérations du conseil municipal et ânonne machinalement ses réponses. Elle ne sait pas bien ce qu’elle veut faire de sa vie. Leurs échanges vont ébranler leurs certitudes et un peu plus encore leurs incertitudes.

    Peut-être moins mordant que l’irrésistible Quai d’Orsay même si l’adjectif « mordant » est ici souvent employé, Alice et le Maire n’en est pas moins une critique, passionnante et acerbe, non pas tant des politiques d’ailleurs puisque le maire est ici sincèrement engagé (« J'ai tout sacrifié à ma passion ». « La politique c’est comme la musique ou la peinture, c’est tout le temps ou rien » déclare-t-il ainsi à Alice) que des communicants qui les entourent. Alice est une ex-étudiante en littérature et philosophie, qui n’appartient pas au cénacle, nullement impressionnée par les ors de la République dans le décor desquels elle déambule en jeans, avec assurance. La première note de la toute nouvelle collaboratrice du Maire est consacrée à la nécessité de la modestie. Tout un programme.

    Malgré cela ou grâce à cela, Alice devient peu à peu indispensable pour le Maire pour qui elle est « une tête pensante brillante, pas dans le prêt-à-penser », jusqu’à même recueillir ses confidences, et susciter ainsi la jalousie de son entourage. Le rôle et les paroles parfois ubuesque des communicants sont savamment croqués, et les dialogues souvent savoureux. D’un mot ou d'un regard, on souligne la misogynie ou la condescendance dont Alice est l'objet.

    Ajoutez à cela la musique de Debussy , les rêveries (partagés) du promeneur solitaire, la rencontre furtive et marquante de deux solitudes égarées, un long plan séquence où la magie opère où tout est dit au-delà des mots dans les gestes, des dialogues chorégraphiés dans un mouvement constant, une absence salutaire de cynisme et vous obtiendrez un film d’une ironie tendrement cruelle, qui nous captive, porté par une comédienne d’une rare justesse qui incarne un magnifique personnage qui (comme ce film) sort des cases et des cadres. En effet loin du prêt-à-penser. Comme ce film là aussi. Qui invite au dialogue, à la confrontation des idées.

    Changement de ton et de décor avec Le Parfum vert (nous y revenons...) qui commence par le plan de dos d’une femme, arborant un chignon tel celui de Madeleine (Kim Novak) dans Vertigo, et se dirigeant vers la Comédie Française. C’est là que, quelques minutes plus tard, un comédien de la troupe est assassiné par empoisonnement, en pleine représentation. Avant de mourir, il expire quelques mots, « le parfum vert », à l’oreille de Martin (Vincent Lacoste), membre de la troupe. Martin est ensuite kidnappé et conduit dans un manoir isolé de la région parisienne où le mystérieux commanditaire de son kidnapping, après lui avoir asséné ses vérités politiques, le libère. Après sa disparition soudaine et injustifiée, Martin est soupçonné par la police. Ayant observé de nombreuses planches de BD aux murs de la maison de son ravisseur, Martin entre dans une librairie spécialisée, pensant y trouver l’identité de ce dernier. C’est dans cette même librairie que Claire Cahan attend de dédicacer son ouvrage à des lecteurs qui se font attendre. Surtout désireuse d’échapper à cette vaine attente et à un dîner familial avec sa sœur à qui elle ne parle plus depuis dix ans, elle l’accompagne dans sa quête de vérité, direction Bruxelles.

    Le Parfum vert est un film hybride et inclassable mais surtout, à l’image de ses deux protagonistes et de ceux qui les interprètent : bourré de charme. Martin et Claire éprouvent la même angoisse, celle des Juifs en Europe, une Europe dans laquelle le fascisme et l’antisémitisme menacent plus que jamais. L’équilibre est fragile entre la comédie sentimentale, le drame historique et l’intrigue d’espionnage mais Nicolas Pariser parvient à le maintenir, à alterner et/ou mêler les genres selon les séquences.

    Sandrine Kiberlain prouve une nouvelle fois sa puissance comique (elle est irrésistible dans ce registre, notamment dans Les 2 Alfred de Bruno Podalydès, une comédie remarquable que je vous recommande au passage dans laquelle ce dernier porte un regard à la fois doux et acéré sur l’absurdité de notre société, un monde à la liberté illusoire dans lequel l’apparence prévaut), son sens du rythme et sa capacité étonnante à passer d’un registre à l’autre (elle est aussi convaincante dans les drames de Stéphane Brizé ou récemment dans Chronique d’une liaison passagère d'Emmanuel Mouret dans lequel elle est solaire et aventureuse), des qualités de polyvalence et de comique que possède aussi Vincent Lacoste, qui incarne ici un véritable (anti)héros maladroit, sujet aux crises d’angoisse, a fortiori lorsque le train s’arrête à la gare de Nuremberg : « à chaque fois que je passe par l’Allemagne, j’ai l’impression qu’on m’emmène à Auschwitz ! ».

    Face à lui, Claire est une femme déterminée, obstinée, fantasque, extravertie. Ce duo fonctionne tellement qu’il pourrait devenir récurrent. Même si le cinéaste ne semble pas désirer réaliser de suites, la fin, ouverte, et l’alchimie entre les deux, nous donne envie de continuer à suivre leurs aventures.

    Avec son rythme trépidant, Le Parfum vert rappelle ces films de De Broca ou Rappeneau ou même Lubitsch dans lesquels l’aventure (au sens propre ou sentimentale) se mêle avec brio au comique. Ajoutez à cela une touche hitchcockienne avec MacGuffin de rigueur y compris (ici un mystérieux "anthracite") ou escalier à spirale ou cauchemars rougeoyants qui en rappellent d’autres du maître du suspense, une photo très stylisée (de Sébastien Buchmann), une musique originale entrainante composée par Benjamin Esdraffo qui épouse l’énergie du film, les différents degrés de lecture, l’élégance de la réalisation, le voyage auquel il invite de Bruxelles à Budapest,  et vous obtiendrez un divertissement intelligent, de haute volée avec quelque scènes que n’aurait pas renié Hitchcock  comme une représentation de L'Illusion comique de Corneille pour démasquer le mystérieux espion de la troupe.

    Les références à Hergé sont aussi nombreuses, des costumes des protagonistes aux deux policiers moustachus décalés d’une trouble ressemblance qui font penser à Dupond et Dupont et dont l’apparition inattendue possède un indéniable ressort comique. Ce ton cartoonesque est renforcé par le recours au 35mm qui donne un aspect plus profond à l’image qui sied parfaitement à l'univers du film et contribue aussi à lui procurer sa singularité.

    Une comédie toujours au bord du drame, et l’inverse, un divertissement délicieux et réjouissant, parfait pour cette période des fêtes, avec son rythme échevelé, porté par une réalisation inspirée et deux comédiens exceptionnels dont le plaisir qu’ils ont à jouer contamine joyeusement les spectateurs qui ne s'ennuie pas une seconde, ce qui est déjà une excellente raison de vous déplacer pour découvrir ce film lorsqu'il sortira en salles.

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  • Critique de FALCON LAKE de Charlotte Le Bon - Quinzaine des Réalisateurs

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    Une histoire d'amour et de fantômes. Ainsi le pitch officiel présente-t-il ce premier long-métrage de Charlotte Le Bon projeté à la Quinzaine des Réalisateurs 2022. Pour son premier long-métrage, Charlotte Le Bon a choisi de porter à l’écran le roman graphique de Bastien Vivès, Une sœur. Cette adaptation très libre le transpose de la Bretagne à un lac des Laurentides, situé au Québec, au Nord-Ouest de Montréal.

    C’est là, pendant l’été, qu’un jeune Français, Bastien (Joseph Engel), ses parents et son petit frère viennent passer quelques jours, dans un chalet situé au bord d’un lac où sa mère québécoise (Mona Chokri) venait déjà avec son amie d’enfance. Il est décidé que Bastien dormira dans la même chambre que Chloé (Sara Montpetit), de trois ans son ainée. Une adolescente frondeuse, étrange et un peu fantasque. Chloé, qui passe d’habitude son temps avec des garçons plus âgés qu’elle, est d’abord contrariée par l’arrivée de celui qu’elle considère comme un enfant. Bastien qui a 13 ans « bientôt 14 » n’en est pourtant plus tout à fait un. Il éprouve immédiatement de la fascination pour Chloé. Cette dernière en joue. Mais n’est-ce véritablement qu’un jeu entre celui qui se cherche et celle qui pense n’avoir sa place nulle part ? Les deux adolescents se rapprochent peu à peu…

    Cela commence comme un conte funèbre. Un plan sur un lac sur lequel on distingue ensuite comme un corps mort qui flotte à la surface.  Puis le corps prend vie. Ensuite, une voiture s’engouffre dans une forêt dense et mystérieuse, à la fois admirable et presque menaçante. Dans la voiture qui s’enfonce dans cette forêt, Bastien touche son petit frère qui ne s’en rend pas compte, comme s’il était une présence fantomatique. La famille entre ensuite dans un chalet plongé dans l’obscurité. Toute la puissance énigmatique et ensorcelante du film est déjà là, dans ces premiers plans.

    En effet, dès le début, dans ce chalet isolé au milieu de cette nature aussi captivante qu’inquiétante, une indicible menace plane. Ce mélange de lumière et d’obscurité, de candeur et de gravité, instaure d’emblée une atmosphère singulière. Cet été flamboyant contraste avec la rudesse de l’hiver à venir, et rend chaque minute plus urgente, faussement légère et presque brusque. Comme une allégorie de l’adolescence…

    Baignade dans la nuit, ombres sur les murs...: Charlotte Le Bon s’amuse avec les codes du film de genre. Quand Chloé apparaît la première fois, c’est de dos, comme un fantôme. Ces fantômes dont l’adolescente ne cesse de parler. La mort est là qui rode constamment. Bastien raconte qu’il a peur de l’eau, ayant failli se noyer petit. Chloé s’amuse à disparaître dans l’eau. Elle joue à la morte et dit « j’ai pas l’air assez morte ». Elle s’approche de Bastien pour lui faire peur, déguisée en fantôme. Ils jouent à se mordre jusqu’au sang. Bastien trouve un animal mort. Il s’adonne à une danse endiablée avec un masque fantomatique sur le visage etc.

    Tout cela ressemble-t-il encore à des jeux d’enfant ? Pour aller à une soirée, Chloé habille Bastien comme elle le ferait avec une poupée ou un enfant et pour désamorcer une éventuelle ambiguïté lui dit que « Les petites filles vont devenir folles ». Chloé et Bastien aiment jouer à se faire peur, à se draper d’un voile blanc pour jouer aux fantômes, à feindre la mort. Chloé photographie ainsi Bastien recouvert d’un voile blanc près d’un arbre mort. Et Chloé est surtout obsédée par la présence d’un fantôme suite à une mort accidentelle dans la partie sauvage du lac, une mort dont elle semble la seule à avoir entendu parler.

    Ce récit initiatique est envoûtant du premier au dernier plan. Chloé et Bastien sont à une période charnière où tout est urgent, où les émotions sont à fleur de peau. D’un instant à l’autre, dans ce décor de fable, tout semble pouvoir basculer dans le drame.

    La réalisation particulièrement inspirée de Charlotte Le Bon, entre plans de natures mortes et images entre ombre et lumière (sublime photographie de Kristof Brandl), avec son judicieux mode de filmage (pellicule 16mm), plonge le film dans une sorte de halo de rêve nostalgique, comme un souvenir entêtant. Le format carré en 4/3 semble être un hommage au film A ghost story. Dans ce long-métrage de David Lowery qui fut également projeté il y a quelques années dans le cadre du Festival du Cinéma Américain de Deauville, un homme décède et son esprit, recouvert d'un drap blanc, revient hanter le pavillon de banlieue de son épouse éplorée, afin de tenter de la consoler. Mais il se rend vite compte qu’il n’a plus aucune emprise sur le monde qui l’entoure, qu’il ne peut être désormais que le témoin passif du temps qui passe, comme passe la vie de celle qu’il a tant aimée. Fantôme errant confronté aux questions profondes et ineffables du sens de la vie, il entreprend alors un voyage cosmique à travers la mémoire et à travers l’histoire. Dans ce conte poétique et philosophique sur le deuil, l’absence, l’éphémère et l’éternel, l’impression d’étirement du temps est renforcée par le format 4/3, un film inclassable qui remuera les entrailles de quiconque aura été hanté par un deuil et la violence indicible de l’absence. Cette référence n’est certainement pas un hasard tant le scénario de Charlotte Le Bon et François Choquet est d’une précision remarquable. D'une précision (et d'une justesse) remarquable, les deux jeunes comédiens qui insufflent tant de véracité à cette histoire aux frontières du fantastique le sont aussi.

    Le travail sur le son est également admirable, qu’il s’agisse des sons de la nature mais aussi des sons du monde des adultes comme un bruit de fond étouffé, lointain, appartenant à une autre réalité ou tout simplement même à la réalité. La musique de Shida Shahabi à l’aura fantastique et mélancolique, est aussi un acteur à part entière. Elle vient apporter du mystère et de l’angoisse dans des moments plus légers. Elle ne force jamais l’émotion mais la suscite et nous intrigue comme lorsque quelques notes plus tristes viennent se poser sur des moments joyeux pour nous signifier qu’ils appartiennent peut-être déjà au passé.

    « Certains fantômes ne réalisent pas qu'ils sont morts. Souvent c'est des gens qui n'étaient pas près de mourir, ils vivent avec nous sans pouvoir communiquer avec personne » dit ainsi Bastien à un moment du film. Une phrase qui résonnera d’autant plus fort après cette fin, ce plan de Chloé face au lac, avec sa mèche blonde, qui se tourne à demi quand Bastien l’appelle. Une fin entêtante, magnifique, énigmatique qui fait confiance au spectateur et au pouvoir de l’imaginaire. Une fin comme ce film, magnétique, dont le fantôme ne cessera ensuite de nous accompagner…Une histoire d’amour et de fantômes, certes, mais surtout une exceptionnelle et sublime histoire d’amour et de fantômes  qui vous hantera délicieusement très longtemps.

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  • Critique de REVOIR PARIS de Alice Winocour - Quinzaine des Réalisateurs 2022

    cinéma, Cannes, Festival de Cannes, Festival de Cannes 2022

    C’est dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs qu’a été projeté ce cinquième long-métrage d’Alice Winocour (également scénariste, de talent, notamment de Ordinary people et Mignonnes). En 2016, elle avait également fait partie du jury de la Semaine de la Critique.

    A Paris, Mia (Virginie Efira) est prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle l’évènement que par bribes, Mia décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible.

    Cela commence par une fenêtre ouverte sur le monde (comme aurait dit Bazin) ou plutôt en l’occurrence une fenêtre ouverte sur les toits de Paris. Une femme arrose ses plantes, casse un verre. Elle répond à peine au « ça va » de son compagnon, semble mélancolique. Elle sursaute quand un jeune homme se jette sur une vitre du café dans lequel elle se trouve, comme si cela préfigurait le drame à venir. Il surviendra quelques minutes plus tard, terrassant, filmé à hauteur de victimes, sans jamais montrer les visages des assaillants. Tout juste nous dira-t-on qu’un des tueurs avait « une gueule d’ange ». Les bruits de mitraillettes sont terribles et assourdissants.

    Nous retrouvons ensuite Mia. « La vie a repris ». Un gâteau d’anniversaire lui en rappelle un autre, celui qu’on avait apporté à un homme à la table en face de la sienne, juste avant que ne survienne l’horreur indicible. La mémoire traumatique est là, insatiable, épuisante, surgissant au moment les plus inattendus ou incongrus. Le temps est distordu. Pour les autres, Mia est devenue une « sorte de distraction », ou bien ils évacuent le sujet d’un lapidaire « Tu as l’air en pleine forme, cela fait plaisir. » Elle, tout ce qui lui reste de cette 1H48 cachée, ce dont des images et des sons épars, et le souvenir d’un tatouage de l’homme qui lui a tenu la main à la recherche duquel elle va partir.

    Alors forcément, impossible de ne pas être bouleversée par ce Revoir Paris qui résonne en nous, que nous ayons vécu ce traumatisme ou un autre. Nous pensons à toutes ces âmes blessées pour qui « revoir Paris » doit être encore si difficile et qui y déambulent, anonymes, comme si de rien n’était, mais blessés dans leur chair et dans leur âme. La grande force de ce film est sa pudeur. L’émotion n’en est pas moins palpable. Quand on balaie les fleurs déposées en mémoire des victimes Place de la République, comme s’il s’agissait de vulgaires détritus, ou quand une jeune fille qui a perdu ses parents dans l’attentat cherche à retrouver dans le tableau éponyme le détail des Nymphéas figurant sur la carte qu’ils lui avaient envoyée, avant de mourir dans l’attentat.

    Mais ce film, ce n’est pas seulement celle d’êtres brisés, c’est aussi celle d’êtres qui ensemble cheminent vers la reconstruction, qui tissent des liens et un chemin vers la lumière, qui après cela se posent les questions sur le bonheur, ou qui encore sans se connaître se sont tenus la main, au sens propre comme au sens figuré.

    Si Mia « revoit » Paris, c’est aussi parce qu’elle la voit autrement, mais aussi qu’elle voit sa vie autrement. Elle souffre du trouble de « la mémoire récurrente involontaire » et va essayer de reconstituer les fils de cette effroyable soirée. Revoir Paris, c’est avant tout une histoire de résilience. Une fois de plus, Virginie Efira est troublante de justesse, de nuance, d’émotions, de force et fragilités mêlées. Force et fragilité mêlées, c’est aussi ce qui définit le personnage de Benoît Magimel.

    Un film d’une rare sensibilité, celle qu’il fallait pour traiter de ce sujet si récent et présent dans les mémoires. Mais aussi un film sur la mémoire traumatique qui donne des visages à cette épreuve collective avec délicatesse et dignité. Un poignant élan de vie, de réconciliation (avec soi, le passé) et d’espoir.

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  • KAJILLIONAIRE de Miranda July - Quinzaine des Réalisateurs 2020

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    J’étais impatiente de découvrir ce troisième film de Miranda July.  En 2005, la cinéaste américaine avait obtenu la Caméra d’or du festival de Cannes pour son premier film, Moi, toi, et tous les autres projeté cette même année au Festival du Cinéma Américain de Deauville. Un prix amplement mérité qui nous faisait découvrir l’univers à part d’une grande cinéaste en devenir. Son univers est en effet toujours une promesse de singularité. Promesse à nouveau et plus que jamais tenue avec ce film aussi inclassable que réjouissant.

    Synopsis : Theresa et Robert ont passé 26 ans à former leur fille unique, Old Dolio, à escroquer, arnaquer et voler à chaque occasion. Au cours d'un cambriolage conçu à la hâte, ils proposent à une jolie inconnue ingénue, Mélanie, de les rejoindre, bouleversant complètement la routine d'Old Dolio.

    Sous des dehors surréalistes, ce film évoque en filigrane des sujets graves, assimilant ici la famille à une sorte de prison sectaire.

    La première réussite est ce personnage de Old Dolio qui semble être le nom d’un vieux chef indien, ce que n’est pas Old Dolio, jeune femme de 26 ans à qui il est pourtant difficile d’attribuer un âge ou un genre. Elle échappe à toute norme et catégorisation. Old Dolio a été baptisée ainsi en l’honneur d’un clochard ayant gagné au loto… dans l’espoir qu’il l’inscrive sur son testament. Un plan qui échoue comme tous ceux élaborés par Robert et Theresa. Ce personnage merveilleusement ambivalent est intrigant est incarné par une Evan Rachel Wood bluffante qui a opéré tout un travail de jeu bien sûr mais aussi sur sa voix, sur les mouvements de son corps pour arriver à composer cette vieille jeune fille introvertie.

    Le trio vit dans un entrepôt désaffecté, jouxtant une entreprise du nom de Bubbles Inc. Un défaut de fabrication provoque à intervalles réguliers des jets de bulles roses ruisselant le long d’un mur. Une immersion de la beauté dans cet univers sombre. A l’image de ce logement et d'Old Dolio, totalement atypique, ce film ne ressemble à aucun autre, sombrement décalé, séduisant sans chercher à séduire....

    Old Dolio prend peu à peu conscience de la bizarrerie de sa famille et ressent progressivement un besoin d’émancipation. Le récit se transforme alors en parabole du passage à l’âge adulte et en quête initiatique. Chaque séquence est une surprise remarquablement déroutante. Les quatre acteurs sont stupéfiants, et leurs personnages aussi fantasques les uns que les autres. Richard et Debra Winger sont tout aussi parfaits dans leurs rôles de parents…qui le sont si peu.

    Vous quitterez cette projection avec, en tête, cette fin, comme le reste du film, merveilleusement imprévisible et excentrique et la chanson Mr Lonely de Bobby Vinton et des images indélébiles de ce film, comme cet air : entêtant. Un film joyeusement absurde, sombrement décalé, dans lequel drame et comédie valsent harmonieusement, (le rire n’a jamais autant été que là « la politesse du désespoir ») bref, une rareté jubilatoire qui mériterait sa place au palmarès et en tout cas indéniablement le prix de l’originalité. Une fable mélancolique d’une inventivité renversante !

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  • Critique de THE RIDER de Chloe Zhao - Quinzaine des Réalisateurs

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    Brady, un jeune cow-boy, entraîneur de chevaux et étoile montante du rodéo, voit sa vie basculer après un tragique accident de rodéo. On lui annonce alors qu’il ne pourra plus jamais faire d’équitation. De retour chez lui, il est confronté au vide qu’est devenue sa vie : celle d’un cow-boy qui ne peut désormais ni faire de rodéo ni même monter à cheval. Pour reprendre son destin en mains, Brady se lance alors dans une quête identitaire en cherchant à comprendre ce que c’est vraiment qu’être un homme au cœur même de l’Amérique.     INTERPRÉTATION Brady Jandreau (Brady Blackburn), Tim Jandreau (Wayne Blackburn), Lilly Jandreau (Lilly Blackburn), Lane Scott (Lane Scott), Cat Clifford (Cat Clifford

    Brady l vit avec une blessure à vif, physique et morale. Lui aussi a vu ses rêves, son « American dream », se briser.  Brady Jandreau, qui joue son propre rôle aux côtés de sa famille et de ses amis est vraiment une jeune star du rodéo qui a vu sa vie basculer suite à un accident et cette véracité renforce bien sûr l’émotion qui émane de chacun des plans.

    Ici pas de super héros, pas de grandiloquence, pas de chevauchées fantastiques aux sanglots longs des violons, mais un homme à terre qui essaie de trouver la voie à emprunter pour se relever et continuer à avancer. Comme il le dit lui-même, là où un animal aurait été abattu lui est « obligé de vivre ». Meurtri mais combattif.  Les scènes d’une beauté et simplicité bouleversantes s’enchainent pour dresser le portrait d’un homme que la réalisatrice regarde avec beaucoup d’humilité et de bienveillance aussi éloignée soit-elle (à l'origine du moins) du Dakota du Sud où le film est tourné.

    Après s’être immergée durant quatre ans dans une réserve amérindienne du Dakota du Sud pour réaliser « Les chansons que mes frères m’ont apprises », la réalisatrice pose ainsi à nouveau sa caméra dans cet Etat, à nouveau dans la réserve indienne de Pine Ridge. Après s’être intéressée aux Indiens, elle se penche cette fois sur ces Cowboys d’une autre Amérique, sans éclat, sans flamboyance, sans rutilance, qui combattent pour survivre. Chloé Zhao elle aussi revisite le western faisant du décor un personnage à part entière. Sa caméra caresse et sublime les corps de ces cowboys qui « chevauchent la douleur », qui bravent la nature.

    Brady doit faire face à un avenir sans espoir, à un parent immature, et lui aussi incarne de nombreux contrastes à l’image de cette Amérique pétrie de contradictions. La violence de l’arène dans laquelle il évolue contraste avec la tendresse dont il fait preuve avec sa jeune sœur handicapée ou son ami victime d’un accident de rodéo (ces scènes ne sont jamais voyeuristes ou larmoyantes mais pleines de sensibilité). Les immenses plaines évocatrices de liberté contrastent avec la blessure et l’arène qui l’enferment. Et c’est en renonçant au rodéo que le cowboy va devenir un homme…

    Chloé Zhao réussit un film plein de délicatesse et de subtilité sur un univers a priori rude et rugueux. Entre documentaire et drame intimiste, son film  dresse le portrait poignant d’un personnage qui apprend à renoncer dont la force vous accompagne bien après le générique de fin et qui vous donnera envie de continuer à avancer et rêver envers et contre tout.

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  • Critique de TOUR DE FRANCE de Rachid Djaïdani (Quinzaine des Réalisateurs)

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    Far’Hook  (Sadek) est un jeune rappeur de 20 ans. Suite à un règlement de compte, il est obligé de quitter Paris pour quelques temps. Son producteur, Bilal, lui propose alors de prendre sa place et d’accompagner son père Serge (Gérard Depardieu) faire le tour des ports de France sur les traces du peintre Joseph Vernet. Malgré le choc des générations et des cultures, une amitié improbable va se nouer entre ce rappeur plein de promesses et ce maçon du Nord de la France au cours d’un périple qui les mènera à Marseille pour un concert final.

    Au-delà de ce qui les sépare, en particulier le racisme de Serge, peu à peu, au fil des kilomètres, vont se révéler les blessures de ces deux oubliés de la société, ces deux êtres à fleur de peau, en mal d’amour, dont la colère s’exprime par la haine de l’autre (de l’inconnu) pour l’un, par la musique (le rap) pour l’autre. Une relation filiale va peu à peu se nouer entre les deux oubliés de la société, de ceux qui viennent de ces territoires ravagés par le chômage.

     Depardieu toujours aussi monumental laisse peu à peu affleurer les fêlures et les blessures de ce misanthrope qui progressivement révèle un autre visage, pour finalement nous toucher en plein cœur et nous bouleverser lors d’une scène où il est filmé de dos, chancelant d’émotions, rattrapé par son humanité que les blessures de la vie l’ont conduit à masquer.

    Même si le film n’échappe pas à quelques clichés et discours convenus, voire démagogiques, et même si certaines saynètes manquent de liens entre elles, il finit par nous émouvoir et nous emporter tant il est émaillé de moments de grâce comme lorsque  Far’Hook déclame « l’Albatros » de Baudelaire.

    Un film porté par ce duo improbable et attachant, par la beauté des paysages (de la France et des tableaux) et par un bel espoir, au bout de la route,  celui de la réconciliation, avec l’autre et avec soi.

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  • Cannes 2016 - Le Carrosse d'or attribué à AKI KAURISMÄKI

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    Depuis 2002, les réalisateurs de la SRF rendent hommage à un de leurs pairs en lui remettant un prix, « le Carrosse d’or », pendant le Festival de Cannes, à l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. Ce prix est destiné à récompenser un cinéaste choisi pour les qualités novatrices de ses films, pour son audace et son intransigeance dans le mise en scène et la production. Cette année, la SRF a choisi d’honorer le cinéaste Finlandais AKI KAURISMÄKI.        

      

    Les         lauréats               du          Carrosse              d’Or                     

    2002      :              Jacques               Rozier                  

    2003      :              Clint       Eastwood          

    2004      :              Nanni    Moretti                              

    2005      :              Ousmane            Sembene                          

    2006      :              David    Cronenberg                      

    2007      :              Alain      Cavalier                              

    2008      :              Jim         Jarmusch                           

    2009      :              Naomi  Kawase                              

    2010      :              Agnès   Varda                  

    2011      :              Jafar      Panahi                 

    2012      :              Nuri       Bilge      Ceylan                 

    2013      :              Jane      Campion                            

    2014      :              Alain      Resnais

    2015      :              Jia           Zhangke             

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  • Critique - LES COWBOYS de Thomas Bidegain (Quinzaine des Réalisateurs)

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    Cela commence dans une grande prairie, lieu de rassemblement country western quelque part dans l’est de la France, cadre intemporel. Alain (François Damiens), un des piliers de cette communauté, danse avec Kelly, sa fille de 16 ans sous l’oeil attendri de sa femme et de leur jeune fils Kid. Mais ce jour-là Kelly disparaît. La vie de la famille et la belle harmonie de cette splendide première scène s’effondrent. Alain n’aura alors de cesse que de chercher sa fille, au prix de l’amour des siens et de tout ce qu’il possédait. Le voilà projeté dans le fracas du monde. Un monde en plein bouleversement où son seul soutien sera désormais Kid (formidable Finnegan Oldfield), son fils, qui lui a sacrifié sa jeunesse, et qu’il traîne avec lui dans cette quête sans fin.

    C’est en 1994, six ans avant les attentats du World Trade Center, le basculement du monde, que bascule la vie d’Alain. François Damiens est aussi convaincant que bouleversant dans le rôle de ce père obstiné qui recherche sa fille contre vents et marées, aux quatre coins du monde, abandonnant tout le reste pour cette quête obsessionnelle et dévorante, guidé par cette douleur indicible de l’absence. Les ellipses, les ruptures scénaristiques (dont une, audacieuse ) nous emmènent sur des chemins inattendus. Les attentats qui se succèdent par le prisme de la télévision, le 11 septembre 2001 à New York, le 11 mars 2004 à Madrid, le 7 juillet 2005 à Londres, marquent judicieusement l’écoulement du temps. Rien de surprenant de la part du talentueux coscénariste de Jacques Audiard ( dans notamment « Un Prophète » , « De rouille et d’os », « Dheepan ») qui, à travers ce drame familial, dresse le portrait d’un monde qui bascule sans jamais forcer l’émotion, avec toute la pudeur qui seyait à ce sujet sensible, jusqu’à la scène finale qui en est le paroxysme, d’un silence, lourd de sens, magistralement interprété et d’une force redoutable et poignante.

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  • La Quinzaine des Réalisateurs 2015 : le programme

     

    quinzaine

    desplechin

     

     

    C’est le cinéaste français Philippe Garrel qui ouvrira la Quinzaine des réalisateurs 2015 avec « L'Ombre des femmes. » En sélection figurent également notamment Desplechin avec « Trois souvenirs de ma jeunesse. », le très attendu « Les Cowboys » de Thomas Bidegain avec François Damiens, « Le Tout Nouveau Testament » de Jaco Van Dormael…

    Le Carrosse d'Or sera remis à Jia Zhangke, avec la projection de « Platform », suivie d'une Masterclass au Théâtre Croisette le 14 mai 2015.

    LONGS METRAGES (17)

    A Perfect Day de Fernando León de Aranoa /1h46

    Première mondiale

     

    Allende mi abuelo Allende de Marcia Tambutti /1h37

    Première mondiale – premier film

     

    As mil e uma noites (Les Mille et une nuits) de Miguel Gomes

    Première mondiale

     

    Volume 1, o inquieto (l’inquiet) – 2h05

     

    Volume 2, o desolado (le désolé) – 2h11

     

    Volume 3, o encantado (l’enchanté) – 2h05

     

    Les Cowboys de Thomas Bidegain /1h54

    Première mondiale – premier film

     

    Dope de Rick Famuyiwa / 1h45

    Première internationale – film de clôture

     

    El abrazo de la serpiente de Ciro Guerra / 2h05

    Première mondiale

     

    Fatima de Philippe Faucon / 1h18

    Première mondiale

     

    Gokudo daisenso (Yakuza Apocalypse : The Great War of the Underworld) de Takashi Miike / 1h55

    Première mondiale – séance spéciale

     

    Green Room de Jeremy Saulnier /1h34

    Première mondiale

     

    Much Loved de Nabil Ayouch / 1h45

    Première mondiale

     

    Mustang de Deniz Gamze Ergüven / 1h40

    Première mondiale – premier film

     

    L’Ombre des femmes de Philippe Garrel / 1h10

    Première mondiale – film d’ouverture

    Précédé d’un court métrage inédit de Philippe Garrel de 1968, Actua 1

     

    Peace to Us in Our Dreams de Sharunas Bartas / 1h42

    Première mondiale

     

    Songs My Brothers Taught Me de Chloé Zhao / 1h34

    Première internationale – premier film

     

    Efterskalv (The Here After) de Magnus von Horn / 1h42

    Première mondiale – premier film

     

    Le Tout Nouveau Testament de Jaco Van Dormael / 1h43

    Première mondiale

     

    Trois souvenirs de ma jeunesse de Arnaud Desplechin / 2h

    Première mondiale

     

     

    >>>COURTS MÉTRAGES (11)

    Bleu Tonnerre de Jean-Marc E. Roy & Philippe David Gagné / 21 min

    Première internationale

     

    Calme ta joie de Emmanuel Laskar / 24 min

    Première mondiale

     

    El pasado roto de Martín Morgenfeld & Sebastián Schjaer / 17 min

    Première mondiale

     

    Kung Fury de David Sandberg / 30 min

    Première mondiale

     

    Pitchoune de Reda Kateb / 23 min

    Première mondiale

     

    Provas, Exorcismos de Susana Nobre / 25 min

    Première mondiale

     

    Pueblo de Elena Lopez Riera / 30 min

    Première mondiale

     

    Quelques secondes de Nora El Hourch / 16 min

    Première mondiale

     

    Quintal de André Novais Oliveira / 18 min

    Première mondiale

     

    Rate Me de Fyzal Boulifa / 15 min

    Première mondiale

     

    The Exquisite Corpus de Peter Tscherkassky / 18 min

    Première mondiale

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  • Festival de Cannes 2015 : le Carrosse d’or remis à Jia Zhangke le 14 mai 2015

    Depuis 2002, les réalisateurs de la SRF rendent hommage à un de leurs pairs en lui remettant un prix intitulé « Le Carrosse d’or » (du nom du roman de Jean Renoir), pendant le Festival de Cannes. Ce prix est « destiné à récompenser un cinéaste choisi pour les qualités novatrices de ses films, pour son audace et son intransigeance dans la mise en scène et la production. » Le Carrosse d’or 2014 avait été attribué à Alain Resnais. C’est année, c’est au cinéaste chinois Jia Zhangke que ce prix sera attribué.  «Vos films nous ont ébloui par leur vitalité. Votre aspiration à la liberté, votre capacité à capter la rapidité des changements de la société chinoise, à montrer sa corruption, sa violence, avec lucidité et subtilité, votre engagement envers la jeune génération, font écho à chacun d’entre nous. Vos films sont des poèmes visuels, où chaque plan apporte, par sa précision, un mouvement de pensée. Nous voulons saluer chez vous l’artiste engagé, indépendant, le poète, le visionnaire. Chacun de vos films est précieux car il nous instruit sur la société chinoise, mais aussi sur l’homme, sa solitude et son chemin spirituel. Vous êtes le témoin de ces vies.» Extrait de la lettre envoyée à Jia Zhangke par le Conseil d’Administration de la SRF composé de Stéphane Brizé, Laurent Cantet, Malik Chibane, Catherine Corsini, Frédéric Farrucci, Pascale Ferran, Denis Gheerbrant, Esther Hoffenberg, Cédric Klapisch, Héléna Klotz, Sébastien Lifshitz, Anna Novion, Katell Quillévéré, Christophe Ruggia, Pierre Salvadori, Céline Sciamma et Jan Sitta.

     Ce carrosse d’or donnera également lieu à une carte Blanche à Jia Zhangke le jeudi 14 mai 2015 au Théâtre Croisette (JW Marriott).

     Une projection de PLATFORM, suivie d’une Masterclass avec le cinéaste, aura lieu dans l’après-midi avant la remise officielle du trophée, à 19h30, au Théâtre Croisette, pendant la Cérémonie d’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. A cette occasion, je vous propose ma critique de « Still life » de Jia Zhangke, en bas de cette page.

    Synopsis de PLATFORM de Jia Zhangke

     Chine – 2001 – 2h35 – fiction

    Hiver 1979, à Fenyang, une ville reculée du Nord de la Chine. Une troupe de théâtre doit faire des pièces de propagande. Les jeunes acteurs se plient à l’exercice en rechignant, parfois en parodiant les chansons officielles. Ils essaient aussi de vivre leur jeunesse, fascinés par ce qui vient du sud (Hong-Kong) ou de l’Occident. Petit à petit, la troupe change : elle devient privée, doit jouer des chansons plus légères, et se retrouve bientôt hors de Fenyang, sur les routes, à faire du cirque puis du rock. Mais cette quête ne mène nulle part…

    LES ANCIENS LAUREATS DU CARROSSE D’OR :

    Les lauréats du Carrosse d’Or

     2002 : Jacques Rozier

     2003 : Clint Eastwood

     2004 : Nanni Moretti

     2005 : Ousmane Sembene

     2006 : David Cronenberg

     2007 : Alain Cavalier

     2008 : Jim Jarmusch

     2009 : Naomi Kawase

     2010 : Agnès Varda

     2011 : Jafar Panahi

     2012 : Nuri Bilge Ceylan

     2013 : Jane Campion

     2014 : Alain Resnais

    Critique de   »Still life »  ou à la recherche du temps perdu…

    Dès l’admirable plan séquence du début,  ensorcelés et emportés déjà par une mélodieuse complainte, nous sommes immergés dans le cadre paradoxal du barrage des 3 Gorges situé dans une région montagneuse du cœur de la Chine :  cadre fascinant et apocalyptique, sublime et chaotique. En 1996, les autorités chinoises ont en effet entrepris la construction du plus grand barrage hydroélectrique du monde. De nombreux villages ont été sacrifiés pour rendre possible ce projet.

    Là, dans la ville de Fengjie nous suivons le nonchalant, morne et taciturne  San Ming courbé par le poids du passé  et des années, parti à la recherche du temps perdu. Il voyage en effet à bord du ferry The World (du nom du précèdent film du réalisateur, référence loin d’être anodine, témoignage d’une filiation évidente entre les deux films)  pour retrouver son ex-femme et sa fille qu’il n’a pas vues depuis 16 ans.

    Pendant ce temps Shen Hong, dans la même ville cherche son mari  qu’elle n’a pas vu depuis deux ans. Leurs déambulations mélancoliques se succèdent puis alternent et se croisent le temps d’un plan  dans un univers tantôt désespérant tantôt d’une beauté indicible mis en valeur par des panoramiques étourdissants.

    Tandis que les ouvriers oeuvrent à la déconstruction, de part et d’autre de la rivière, ces  deux personnages essaient de reconstruire leur passé, d’accomplir leur quête identitaire au milieu des déplacements de population et des destructions de villages. Engloutis comme le passé de ses habitants.

    Ce film présenté en dernière minute dans la catégorie film surprise de la 63ème Mostra de Venise a obtenu le lion d’or et a ainsi succédé à Brokeback  Mountain.

    The World  était le premier film du réalisateur à être autorisé par le gouvernement chinois. Jusqu’ici ils étaient diffusés illégalement sur le territoire, dans des cafés ou des universités. Dans  The World Jia Zhang Ke traitait déjà du spectacle triomphant de la mondialisation et de l’urbanisation accélérée que subit la Chine.

    A l’étranger, ses films étaient même présentés dans des festivals comme Cannes en 2002 avec Plaisirs inconnus. Son parcours témoigne avant tout de son indépendance et de sa liberté artistique.

    Ancien élève de l’école des Beaux-Arts de sa province, il étudie le cinéma à l’Académie du film de Pékin, avant de fonder sa structure de production le Youth Experimental Film Group. Son œuvre entend révéler la réalité de la Chine contemporaine.

    En 2006, Jia Zhang-Ke réalise Dong, un documentaire autour de la construction du barrage des Trois Gorges à travers les peintures de son ami, le peintre Liu Xiaodong, présenté dans la section Horizons lors de la 63e Mostra de Venise.

    Entre brumes et pluies, d’emblée, le décor nous ensorcelle et nous envoûte. Qu’il présente la nature, morte ou resplendissante, ou la destruction Jia Zhang Ke met en scène des plans d’une beauté sidérante. Le décor est dévasté comme ceux qui l’habitent. La lenteur et la langueur reflètent la nostalgie des personnages et le temps d’une caresse de ventilateur, la grâce surgit de la torpeur dans cet univers âpre.

    Jia Zhang Ke se fait peintre des corps, en réalisant une véritable esthétisation de ceux-ci mais aussi de la réalité et si son tableau est apocalyptique, il n’en est pas moins envoûtant. Le film est d’ailleurs inspiré de peintures, celles du peintre Liu Xiaodong qui a peint le barrage des 3 Gorges à plusieurs reprises dont Jia Zhang Ke avoue s’être inspiré.

    Ces personnages sont « encore en vie » malgré la dureté de leurs existences et le poids des années, du silence, des non dits. C’est un cinéma à l’image de la vie, l’ennui est entrecoupé d’instants de beauté fulgurante et fugace.

     Still life, malgré son aspect et son inspiration documentaires n’en est pas moins un film éminemment cinématographique : par l’importance accordée au hors champ (comme ces marins qui mangent leur bol de nouilles tandis que San Ming leur parle, hors champ), par des plans séquences langoureux et impressionnants, et puis  par des références cinématographiques notamment au néoréalisme et  à Rossellini et Rome, ville ouverte ou à John Woo avec cet enfant qui imite Chow Yun Fat ou encore celui qui regarde le Syndicat du crime de John Woo

    C’est un film polysémique qui, comme dans The World, nous parle des rapports entre tradition et modernité comme  avec cet enfant qui chante des musiques sentimentales surannées ou ces portables qui jouent des musiques sentimentales ou ces comédiens en costumes traditionnelles qui s’amusent avec leurs portables.

    Jia Zhang Ke ausculte subtilement les contradictions de son pays en pleine mutation. Le barrage des 3 Gorges, c’est la Chine en concentré, la Chine d’hier avec ces immeubles que l’on détruit, la Chine intemporelle avec ses décors majestueux, pluvieux et embrumés et la Chine de demain. La Chine écartelée entre son passé et son présent comme le sont les deux personnages principaux dans leur errance. Les ruines qui contrastent avec le barrage scintillant allumé par les promoteurs comme un gadget symbolisent cette Chine clinquante, en voie de libéralisme à défaut d’être réellement sur la voie de la liberté.

    Jia Zhang Ke a ainsi voulu signer une œuvre ouvertement politique avec « le sentiment d’exil permanent des ouvriers, tous plus ou moins au chômage, tous plus ou moins sans domicile fixe », « les ouvriers détruisent ce qu’ils ont peut-être eux-mêmes construits ».

    Un plan nous montre une collection d’horloges et de montres. Comme le cinéma. Dans une sorte de mise en abyme, il immortalise doublement le temps qui passe. C’est donc aussi un film sur le temps. Celui de la Chine d’hier et d’aujourd’hui. Celui de ces deux ou seize années écoulées. Ce n’est pas pour rien que Jia Zhang Ke a étudié les Beaux-Arts et la peinture classique. Il dit lui-même avoir choisi le cinéma « parce qu’il permet de saisir et de montrer le temps qui passe ». C’est l’idée bouddhiste qui  « si le destin est écrit, le chemin importe d’autant plus ».

    Comme dans J’attends quelqu’un dont je vous parlais il y a quelques jours , ici aussi on prend le temps (ce n’est d’ailleurs pas leur seul point commun comme évoqué plus haut). De s’ennuyer. Un ennui nécessaire et salutaire. Pour se dire qu’on est « encore en vie » ou pour déceler la beauté derrière et malgré la destruction car Still life (=Encore en vie )  est un film de contrastes et paradoxes judicieux : à l’image de son titre, il sont  encore en vie malgré les années, malgré la destruction, malgré tout. Prendre le temps de voir aussi : l’histoire devant l’Histoire et l’Histoire derrière l’Histoire, les plans de Jia Zhang Ke mettant souvent l’intime au premier plan et le gigantisme (des constructions ou déconstructions) au second plan.

    C’est aussi un hommage à la culture chinoise du double, des opposés yin et yang, entre féminin et masculin, intérieur et extérieur, construction-destruction et nature, formes sombres et claires, le tout séparé par la rivière, frontière emblématique de ce film intelligemment dichotomique.

    C’est un film en équilibre et équilibré à l’image de son magnifique plan final du funambule suspendu entre deux immeubles. Parce que, ce qu’il faut souligner c’est que ce film plaira forcément à ceux qui ont aimé The World mais qu’il pourra aussi plaire à ceux qui ne l’ont pas aimé, notamment par son aspect surréaliste, ses plans imaginaires qui instillent de la légèreté et un décalage salutaire comme ce plan de l’immeuble qui s’écroule ou ces plans poétiques de ces couples qui dansent sur une passerelle aérienne contrebalançant la dureté des paroles échangées ou la douleur du silence, l’impossibilité de trouver les mots.

    Enfin il faut souligner la non performance et le talent éclatant de ses acteurs principaux Han Sanming et Zhao Thao qui ont d’ailleurs joué dans presque tous les films de Jia Zhang Ke. C’est en effet leur quatrième collaboration commune.

    Je vous invite donc à partir dans cette errance poétique à la recherche du temps perdu au rythme d’une complainte nostalgique et mélancolique…

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