La leçon de cinéma de Martin Scorsese au 60ème Festival de Cannes (31/05/2007)
Jeudi 24 Mai 2007. Le festivalier est confronté à des choix cornéliens. Si je veux pouvoir assister à la leçon de cinéma de Scorsese, je dois malheureusement partir avant la fin d’Ocean’s thirteen de Steven Soderbergh. Je quitte à regret la projection et Las Vegas, cadre vertigineux de ce 3ème opus, même si ce film certes ludique voit son scénario approximatif et parfois ridiculement abracadabrantesque complètement étouffé dans la virtuosité démonstrative de la réalisation et dans les numéros de ses acteurs principaux dont le plaisir évident à jouer ensemble est néanmoins communicatif.
Lorsque je ressors du Grand Théâtre Lumière, plus d’une heure trente avant la leçon de cinéma de Martin Scorsese une file impressionnante de badgés s’est déjà massée devant la salle Debussy. Mes scrupules me quittent soudain.
La leçon de cinéma est toujours un moment crucial du Festival de Cannes, a fortiori cette année avec Martin Scorsese comme professeur prestigieux, le Festival en a d’ailleurs pleinement conscience puisque exceptionnellement la leçon de cinéma se déplace de la salle Buñuel à la salle Debussy, beaucoup plus spacieuse et donc néanmoins moins intime.
Thierry Frémaux annonce l’arrivée du cinéaste avec son emphase et son enthousiasme habituels évoquant même ses « larmes aux yeux » à l’occasion des Oscars 2007, Scorsese ayant reçu l’Oscar du meilleur réalisateur et du meilleur film pour « Les Infiltrés ». Après avoir salué la présence dans la salle de Quentin Tarantino, longuement ovationné, puis avoir accueilli celui qui aura la passionnante tâche de questionner Scorsese, Michel Ciment, le critique de Positif et « ami de Stanley Kubrick » comme le précise Thierry Frémaux, ce dernier annonce que la leçon peut commencer , et elle commence, dans un silence attentif, sous le regard des spectateurs, élèves d’un jour sages car admiratifs.
Martin Scorsese évoque d’abord le lien émotionnel que le cinéma représente pour lui, celui-ci lui ayant d’abord permis, à travers ses films, de dire ce qu’il ressentait pour eux à ses parents. Il évoque sa famille conservatrice et catholique tout en précisant que son père votait démocrate
Il évoque sa cinéphilie et sa passion pour le cinéma, sa collection d’affiches aussi. Avec humour, il dit avoir alors réalisé que ce qui lui « restait à faire » c’était de « refaire Citizen Kane ». Il évoque aussi surtout l’influence du cinéma européen, du cinéma français d’abord avec Truffaut, Rivette, Godard, Chabrol, mais aussi l’influence du cinéma italien avec Fellini, Antonioni, Bertolucci et enfin du cinéma américain avec Cassavetes. Il cite également Bergman. Il cite quelques films français de la Nouvelle Vague : Jules et Jim, Tirez sur le pianiste, Vivre sa vie, Le Mépris. Il cite Truffaut : « Un film c’est comme un train qui vous rattrape ».
Il rend hommage à Roger Corman qui lui a appris la discipline qui consiste à "travailler même lorsqu’on n’est pas inspiré".
Il parle surtout de la narration, de sa déconstruction que lui a enseigné la Nouvelle Vague, et évoque ainsi son envie de la réinventer constamment, de "décomposer la narration".
Il parle de son goût du storyboard qui reflète sa nature obsessionnelle.
Pour lui, la caméra se déplace « comme une musique, comme une mélodie ».
Concernant la violence qui caractérise chacun de ses films, il ne s’agit pas de montrer la violence mais la violence émotionnelle : « la menace de la violence ».
Il évoque enfin la création de la World Cinema Foundation, fondation créée à son initiative et dont le but sera de préserver et restaurer les chefs d'oeuvre du cinéma mondial.
Ces 90 minutes, trop courtes mais passionnantes, jalonnées d’extraits de quelques films (After hours, Casino, Le temps de l’innocence, Kundun etc), trop courts et passionnants eux aussi, pourront peut-être se résumer par cette phrase de Scorsese lors de cette leçon de cinéma : « Il faut vouloir faire un film plus que toute autre chose dans votre vie » qui me rappelle la citation d’exergue de mon autre blog « se perdre dans sa passion plutôt que vivre sans passion ». Une passion qui vaut la peine de s’y égarer, un délicieux et ensorcelant égarement.
"Un film est l'expression d'une vision unique-plus il est personnel et plus il s'approche du statut d'oeuvre d'art, ce qui signifie qu'il résistera plus longtemps à l'épreuve du temps". "J'ai toujours pensé que le film représente la réponse à une vieille question que se pose l'humanité: le désir de partager une mémoire commune, un héritage". Martin Scorsese- Festival de Cannes 207-
Des vidéos de la leçon de cinéma de Martin Scorsese seront bientôt mises en ligne, dans la colonne de gauche du blog.
Demain, sur « In the mood for Cannes », ma critique du passionnant documentaire de Barbet Schroeder consacré à Jacques Vergès et intitulé « L’avocat de la terreur », un documentaire présenté dans le cadre d’Un Certain Regard.
Sandra.M
14:52 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, festival, cannes, martin scorsese, leçon de cinéma, les infiltrés | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | | Imprimer |
Commentaires
La menace de la violence... waouh, i cause bien ; j'en ai des frissons. Je reprendrai cette belle formule pour les mal comprenants qui pensent parfois que... bla bla bla !
Écrit par : Pascale | 06/06/2007
I cause bien et avec passion (j'aime bien quand il évoque la Nouvelle Vague et quand il dit qu'il faut vouloir faire un film plus que toute autre chose au monde...) mais i cause aussi très très vite: même les interprètes avaient du mal à suivre!
Écrit par : Sandra.M | 09/06/2007