Critique de « Copie conforme » d’Abbas Kiarostami (compétition officielle du Festival de Cannes 2010) (20/05/2010)
La sélection de ce film a suscité quelques remous avant même son annonce officielle en raison de la présence de Juliette Binoche au casting également sur l'affiche officielle du 63ème Festival de Cannes parce que ce serait susceptible sans doute d'influer sur le vote du jury. Vaine polémique (mais Cannes aime, aussi, les polémiques surtout quand elles sont vaines) à laquelle son jeu magistral est une cinglante réponse.
« Copie conforme » est le premier film du cinéaste iranien tourné hors de ses frontières, un film qu'il a écrit pour Juliette Binoche.
Face à James (William Shimell), un écrivain quinquagénaire anglo-saxon qui donne en Italie, à l'occasion de la sortie de son dernier livre, une conférence ayant pour thème les relations étroites entre l'original et la copie dans l'art elle est une jeune femme d'origine française, galeriste qu'il rencontre. Ils partent ensemble pour quelques heures à San Gimignano, petit village près de Florence. Comment distinguer l'original de la copie, la réalité de la fiction ? Ils nous donnent ainsi d'abord l'impression de se rencontrer puis d'être en couple depuis 15 ans.
Selon James, lors de sa conférence, une bonne copie peut valoir un original et tout le film semble en être une illustration. James et la jeune femme semblent jouer à « copier » un couple même si la réponse ne nous est jamais donnée clairement. Peut-être est-elle folle ? Peut-être entre-t-elle dans son jeu ? Peut-être se connaissent-ils réellement depuis 15 ans ? Ce doute constitue un plaisir constant pour le spectateur qui devient alors une sorte d'enquêteur cherchant dans une phrase, une expression une explication. Il n'y en aura pas réellement et c'est finalement tant mieux.
Ainsi Kiarostami responsabilise le spectateur. A lui de construire son propre film. Les personnages regardent souvent face caméra en guise de miroir, comme s'ils se miraient dans les yeux du spectateur pour connaître leur réelle identité. « Copie conforme » est donc un film de questionnements plus que de réponses et c'est justement ce qui le rend si ludique, unique, jubilatoire. Le jeu si riche et habité de Juliette Binoche, lumineuse et sensuelle, peut ainsi se prêter à plusieurs interprétations.
Un film qui nous déroute, un film de contrastes et contradictions, un film complexe derrière une apparente simplicité. A l'image de l'art évoqué dans le film dont l'interprétation dépend du regard de chacun, le film est l'illustration pratique de la théorie énoncée par le personnage de James. De magnifiques et longs plans-séquences, des dialogues brillants, une mise en scène d'une redoutable précision achèvent de faire de ce film en apparence si simple une riche réflexion sur l'art et sur l'amour.
William Shimell (chanteur d'opéra dont c'est le premier rôle) et Juliette Binoche excellent et sont aussi pour beaucoup dans cette réussite. Un film sur la réflexivité de l'art qui donne à réfléchir. Un dernier plan délicieusement énigmatique et polysémique qui signe le début ou le renouveau ou la fin d'une histoire plurielle. Un très grand film à voir absolument. Un vrai coup de cœur.
« Copie conforme » est le 9ème film présenté à Cannes par Kiarostami qui a par ailleurs été membre du jury longs métrages en 1993, du jury de la Cinéfondation en 2002 et Président du jury de la Caméra d'Or en 2005. Enfin, il a remporté la Palme d'Or en 1997 pour "Le goût de la cerise."
Juliette Binoche raconte ainsi sa rencontre avec Kiatostami: "Je suis partie en Iran rencontrer Abbas (je l'avais croisé à Cannes, à l'Unesco, chez Jean-Claude Carrière). Il m'a dit "Viens à Téhéran !". Je l'ai cru, j'y suis allée, deux fois. Un soir il m'a raconté l'histoire que nous avons tourné ensemble cet été, il m'a raconté chaque détail, le soutien-gorge, le restaurant, l'hôtel, bref, il m'a dit que c'était une histoire qui lui était arrivée. A la fin, après avoir parlé pendant 45 minutes dans un anglais impeccable, il m'a demandé : "Tu me crois ?". Je lui ai dit : "Oui". Il m'a dit : "Ce n'est pas vrai !". Je suis partie d'un éclat de rire qui lui a donné envie de faire ce film, je crois !", explique-t-elle.
Bille August, Francis Ford Coppola, les frères Dardenne, Emir Kusturica, Shohei Imamura: tels sont les réalisateurs à avoir déjà obtenu deux fois la Palme d'or. Le nom de Kiarostami s'ajoutera-t-il à la liste?
Réactions dans la salle (salle du 60ème ,séance du lendemain) : applaudissements polis mais les réactions dans cette salle sont moins révélatrices que celles des projections presse ou dans le grand théâtre lumière.
Prix que je lui attribuerais (ou pas) : un prix d'interprétation pour Juliette Binoche, exceptionnelle, qui porte les questionnements du film sur ses épaules.. Un prix du scénario .
Prix potentiels : les mêmes.
Ce film est sorti en salles hier.
08:50 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (5) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | | Imprimer |
Commentaires
Oh la la ! Je n'ai rien vu de tel. Et je ne me suis pas du tout sentie responsabilisée par ce "jeu" factice et vain.
Écrit par : Pascale | 21/05/2010
un film intelligent qui nous fais reflechir sur nos comportements sentimentaux qui sont quelquefois schizophenique !et nous pousse dans la nostalgie de pouvoir s amuser a copier! pourquoi pas tricher avec des shemas deja tout traces et ennuiyeux!
Écrit par : catherine | 25/05/2010
Très soporifique !!! Film parfait pour les salles d'art et essais. On pourrait en discuter pendant des heures. Tous les plans toutes les images sont sujettes à discussion. Le genre de film qu'il ne faut pas aller voir pour se distraire.
Écrit par : FOREST | 25/05/2010
@Pascale: On ne peut pas être tout le temps d'accord!:-) Mais plus j'y repense, plus je me dis que ce film était très au-dessus de la sélection. @Forest: Je ne savais pas que "soporifique" était synonyme d'art et essai. Voilà une vision bien caricaturale du cinéma. Et si tous les plans sont sujets à discussion, cela prouve au moins que le film n'était pas stupide. Et contrairement à vous, je l'ai trouvé distrayant...
Écrit par : Sandra.M | 29/05/2010
@Sandra: Distrayant ??? Moi je veux bien !!!
Je ne dis pas que c'est un mauvais film, au contraire, il s'adresse à des personnes averties qui auront grand plaisir à disserter sur la manière dont il a été conçu. Gros plans, couleur, travelling etc etc... car il y a beaucoup de choses à dire.
Mais en fait, combien de personnes vont au cinéma pour analyser la conception. Je tiens tout simplement à avertir les éventuels spectateurs que c'est un film sérieux et je partage l'avis de @Pascale "jeu factice et vain".
Où suis je ? qui suis je ? Bon ça va on a déjà donné !!!
Écrit par : FOREST | 30/05/2010