Critique de « Pater » d’Alain Cavalier avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau (27/06/2011)
J’étais d’autant plus impatiente de découvrir « Pater » en salles que j’avais assisté à Cannes à la conférence de presse (passionnante, et à laquelle les journalistes étaient étrangement très peu nombreux -voir résumé en bas de cet article-) et que le film y avait reçu un accueil pour le moins chaleureux (17 minutes d’applaudissements dans la salle du Grand Théâtre Lumière, sans doute, pourtant, le public le plus impitoyable et versatile qui soit). Un succès cannois qui contraste avec le peu de salles projetant le film … et avec son caractère très iconoclaste.
Pendant un an, le réalisateur « filmeur » Alain Cavalier et le comédien Vincent Lindon se sont vus et filmés. Le réalisateur devenu aussi acteur et l’acteur réalisateur. Et le réalisateur acteur devenant Président de la République et son acteur réalisateur son Premier Ministre. Le tout mêlant réalité et fiction, vérité et jeu. Une fiction inventée tout en filmant la vie, l’une et l’autre étant indistinctes et se contaminant. Le Président de la République et son Premier ministre décident de proposer une loi fixant l’écart maximal entre les salaires. Le Président est partisan d’un rapport de 1 à 15 alors que son Premier ministre préférerait un écart de 1 à 10. L’élection présidentielle approche, les deux hommes s’éloignent alors et finissent par se présenter l’un contre l’autre…
Un film pour lequel Alain Cavalier a eu carte blanche de son fidèle producteur Michel Seydoux. Et sans doute ne sont-ils pas très nombreux à accepter encore ce genre de projet : hybride, hors normes, indéfinissable.
Un film malin et agaçant, humble et prétentieux, ludique et pédant. Mais en tout cas, un film courageux, audacieux, original, libre, à l’image de son réalisateur et de son acteur principal. Déjà au moins quatre qualités à mes yeux.
Malin parce que, en feignant l’improvisation totale, Alain Cavalier nous emmène là où il souhaite nous emmener tout comme il conduit son acteur-réalisateur-Premier-Ministre. Malin parce qu’il brouille constamment les repères, les pistes. Malin parce que, en feignant de ne rien dire, ne rien faire ou presque, il stigmatise la politique ou du moins (dé)montre à quel point elle est un jeu (de pouvoirs, d’acteurs). Malin parce que le titre est loin d’être innocent ou anodin. Pater. Père de la nation. Relation filiale complexe qui s’établit un père et un fils. Entre Lindon et Cavalier, hommes entre lesquels s’établit une relation presque filiale. Entre le Président et le 1er Ministre, le fils rêvant d’ailleurs de prendre la place du père. Pater. Ce père que Cavalier évoque non sans tendresse, avouant l’avoir jugé trop durement mais gommant par une opération un défaut physique qui fait qu’il lui ressemble. Enfin, Pater parce que Cavalier a été élevé chez les prêtres où Dieu était un autre Pater. Pater : une absence donc omniprésente.
Agaçant quand il singe la politique, la décrédibilise une fois de plus comme si elle avait encore besoin de ça. Agaçant quand Lindon et Cavalier jouent à être des politiques (et jouent sous nos yeux à être des acteurs, le film se construisant sous notre regard, ou du moins feignant de se construire sous notre regard) avec une sémantique tout aussi enfantine ( comme un « malgré que » qui a écorché mes oreilles etc et un programme relevant de ce que certains qualifieront sans doute d’une enfantine utopie : retrait de la légion d'honneur à qui place son argent à l'étranger, limitation de l'écart entre petits et gros salaires dans une même entreprise).
Ludique quand il interroge les fonctions d’acteur et de politique et les met en parallèle. Ludique parce que finalement l’un et l’autre (acteur et politique) jouent à être quelqu’un d’autre pour convaincre. Ludique parce que c’est aussi une leçon de cinéma (la dernière scène en est particulièrement emblématique) et une leçon contre les budgets pharaoniques donnant des films vains. Ludique quand il nous devient impossible de distinguer ce qui est fiction ou réalité, ce qui est jeu ou vérité.
Ludique et même drôle quand Vincent Lindon parle à ses gardes du corps dans le film se plaignant de ne pas avoir reçu de coup de fil du Président/réalisateur Cavalier pour valider son interprétation « Qu'il n'appelle pas Vincent Lindon c'est une chose, mais le Premier Ministre quand même... » ou quand une photo compromettante pour le leader de l'opposition tombe entre ses mains.
Humble par ses moyens de production. Prétentieux par sa forme déconcertante, son discours d’apparence simple et finalement complexe comme la relation qu’il met en scène. Prétentieux car finalement très personnel avec un discours prétendument universel.
L’antithèse de la « Conquête » (également en sélection officielle à Cannes mais hors compétition, contrairement à « Pater ») qui veut nous faire croire que le cinéma c’est l’imitation ; Cavalier nous dit ici au contraire que c’est plutôt recréation (et récréation). Réflexion déroutante et ludique sur le jeu et les jeux de pouvoirs (entre un Président de la République et son Premier Ministre, entre deux hommes, entre un père et son fils, entre un réalisateur et un acteur mais aussi entre un réalisateur et le spectateur ici allègrement manipulé) qui, tout de même, témoigne d’une belle audace et liberté (de plus en plus rares) mais s’adresse à des initiés tout en feignant de s’adresser à tous. Le « Pater » Cavalier ne reproduit-il pas ainsi d’une certaine manière avec le spectateur ces jeux de pouvoirs qu’il stigmatise ? Le sous-estime-t-il, l’infantilise-t-il ou au contraire le responsabilise-t-il en lui laissant finalement l’interprétation –dans les deux sens du terme- finale ? Peut-être que trouver des réponses à ces questions vaut la peine d’aller le voir en salles. A vous de juger.
Festival de Cannes 2011- Conférence de presse de « Pater » d’Alain Cavalier avec Alain Cavalier, Vincent Lindon…
Il ne s'agit pas d'Eric Libiot mais bien évidemment de Vincent Lindon et Alain Cavalier...
C’est une des bizarreries cannoises : alors que pour la conférence de presse de « Pirate des Caraïbes » il était impossible d’entrer (c’est le cas, la plupart du temps, des conférences de presse de films américains), pour celle de « Pater » et alors que je venais simplement attendre pour la conférence suivante (celle de « La Conquête » que je vous raconterai ultérieurement), et alors que celle de « Pater » était déjà commencée, on m’a permis d'entrer dans la salle ...car quasiment vide et c’est bien dommage car cette conférence était réellement passionnante, et n’a fait qu’accroître mon envie de découvrir le film d’Alain Cavalier. Vincent Lindon s’est révélé passionné, engagé même en parlant du film, mais aussi touchant, drôle, sincère, à fleur de peau.
Vincent Lindon a notamment parlé d’économie du cinéma, un sujet qui le passionne, rappelant que la qualité d’une scène ou d’un film n’était pas affaire de budget prenant pour exemple la scène d’ « Itinéraire d’un enfant gâté » dont tout le monde se souvient, celle du face-à-face entre Belmondo et Anconina dans une chambre de bonne et au cours de laquelle il lui apprend à ne pas être surpris, ou celle de Titanic « avec la buée sur la vitre », des films qui ont coûté très chers et dont les scènes les plus mémorables sont les moins coûteuses.
Vincent Lindon a déclaré que c’était la première fois qu’il voyait le film sur grand écran : « Tous les gens attendaient un OVNI. On confond bizarre avec chiant » a-t-il dit.
« On ne faisait qu’une prise et si elle ne fonctionnait pas, elle n’était pas dans le film ».
Cavalier : « On prenait la caméra et on continuait une sorte de conversation. »
Vincent Lindon a également révélé avoir été très touché par l’accueil dans le Grand Théâtre Lumière (le film le plus applaudi de cette sélection 2011 ) : « Cela faisait 25 ans que j’attendais ce moment, ce n’était pas un bon accueil mais un accueil incroyable. » « Je l’aurai en souvenir toute ma vie. » « On prenait la caméra et on continuait une sorte de conversation. » « J’adore qu’on m’aime, j’adore qu’on aime ce que je fais quand j’aime autant ce que je fais. » Quant à Cavalier : « Le fait d’être aimé régulièrement dans la vie n’est pas mon problème. » Concernant les artistes, d’après Cavalier : « On ne s’aime pas tellement que ça et on s’abrite derrière ce qu’on fait. »
Pour Cavalier, concernant les citations du film se rapprochant de citations réelles : « Je sais tout sur ceux qui ont le pouvoir mais c’est moi qui avais le pouvoir. Les citations étaient inconscientes. »
Pour Vincent Lindon : « On passe son temps à vouloir plaire ou déplaire à son papa ou sa maman, toujours en réaction ».
Pour lui ce film a changé son regard sur son métier : « Je crois que, Alain, est en train de m’influencer sur une chose et une idée est en train de naitre » se déclarant las de tout ce qui précède habituellement le tournage (attente, maquillage, répétitions…), ce qui n’était pas le cas pour « Pater ». « Je pense que j’arrêterai ce métier plus tôt que prévu car je n’ai pas envie de devenir un vieil acteur. C’est ça qui a changé chez moi, je ne prends rien au sérieux, tout au tragique ».
Sur ces paroles péremptoires et finalement très justes me rappelant la devise crétoise « tout est grave, rien n’est sérieux », je vous laisse pour partir vers de nouvelles aventures …un peu frustrée de ne pas avoir le temps de vous en raconter davantage…
17:27 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | | Imprimer |