Festival de Cannes 2013 - Critique de GRAND CENTRAL de Rebecca Zlotowski et quelques déambulations cinématographiques... (21/05/2013)
Des trombes d’eau se sont abattues il y a quelques jours sur la Croisette agrémentées de quelques problèmes techniques qui ont légèrement modifié mon programme et le rythme de mes publications mais le plaisir d’être là, de passer mes journées à dévorer du cinéma et à en débattre sans cesse, partout, tout le temps, reste intact (même deux heures vaines sous la pluie pour ne pas voir le film des frères Coen- que j’espère rattraper dimanche puisque les films en compétition officielle repassent heureusement le dernier jour- n’ont pas entamé ma bonne humeur). Maintenant que le soleil est de retour, au propre comme au figuré, je reprends donc le récit de mes pérégrinations avec un léger décalage et j’enrage de ne pouvoir vous raconter tout ce que j’ai rêvé/vécu et surtout vu ces deux derniers jours que ce soit « Borgman » (un futur prix du jury pour son humour noir réjouissant et sons sens du cadre ?), « Un château en Italie » de Valeria Bruni Tedeschi qui possède cette « vitalité » chère à Truffaut, qui parle de (ou élude) le deuil avec une certaine fantaisie, pudique et salutaire…, ou encore du film de Guillaume Canet (avec un certain… James Gray pour co-scénariste), « Blood ties » qui, a semble-t-il ennuyé beaucoup de festivaliers (j’avoue n’avoir pas vu le temps passer….), mais dont la force (de la musique-certes très-trop ?-présente, de la mise en scène, du scénario, de l’interprétation) en font un film qui aurait également eu sa place en compétition officielle (mais James Gray est déjà en compétition pour « The Immigrant ») sans parler de conférences de presse mémorables comme celle des frères Coen (déjà un film en soi, à leur image, je vous laisse imaginer) ou encore la projection du film de Guillaume Gallienne à la Quinzaine des Réalisateurs ce soir, acclamé, sans oublier le centenaire du cinéma indien, et quelques évènements pour ponctuer tout cela. Un programme éclectique et passionnant. De tout cela, je vous parlerai donc ultérieurement, comme il se doit. En attendant, je commence ces critiques en vous parlant (là aussi trop brièvement) de « Grand Central ».
Cette journée de pluies diluviennes (je cherche toujours qui a eu la bonne idée de jeter ainsi des sauts d’eau sur les festivaliers une journée entière) ne fut néanmoins pas complètement perdue puisque j’ai eu le plaisir de découvrir le deuxième film de Rebecca Zlotowski (après «Belle épine », présenté en 2010 dans le cadre de la Semaine de la Critique), « Grand Central », sélectionné dans le cadre de Un Certain Regard, un film à nouveau avec Tahar Rahim après « Le Passé » d’Asghar Farhadi pour lequel je vous ai fait partager mon enthousiasme avant-hier.
Dans ce nouveau film de Rebecca Zlotowski, Tahar Rahim incarne Gary, un jeune homme agile, frondeur, qui apprend vite, embauché dans une centrale nucléaire, au plus près des réacteurs, où les doses radioactives sont les plus fortes et dangereuses. Là, où le danger est constant. Il va y trouver ce qu’il cherchait, de l’argent, une équipe à défaut d’une famille (on ne verra de sa vraie famille qu’une sœur dont le conjoint le rejette visiblement, et une grand-mère dont la porte restera impitoyablement fermée) même si elle le devient presque, mais aussi Karole ( Léa Seydoux), la femme de son collègue Toni (Denis Menochet). Tandis que les radiations le contaminent progressivement, une autre forme de chimie (ou d’alchimie), l’irradie, puisqu’il tombe amoureux de Karole. Chaque jour, la menace, de la mort et de la découverte de cette liaison, planent.
La première bonne idée du film est de nous faire découvrir cet univers dans lequel des hommes côtoient le danger et la mort chaque jour, dans des conditions terrifiantes que Rebecca Zlotowski parvient parfaitement à transcrire notamment par un habile travail sur le son, des bruits métalliques, assourdissants qui nous font presque ressentir les vibrations du danger. A l’image d’un cœur qui battrait trop fort comme celui de Gary pour Karole. J’ignore ce qui est réel dans sa retranscription des conditions de vie des employés de la centrale nucléaire tant elles paraissent iniques et inhumaines mais j’imagine qu’elles sont tristement réelles puisque Claude Dubout, un ouvrier qui avait écrit un récit autobiographique, « Je suis décontamineur dans le nucléaire », a été le conseiller technique du film. Le film a par ailleurs été tourné dans une centrale nucléaire jamais utilisée, en Autriche, ce qui renforce l’impression de réalisme.
Ne vous y trompez pas, « Grand Central » n’est néanmoins pas un documentaire sur les centrales nucléaires. C’est aussi et avant tout une histoire d’amour, de désirs dont la force est renforcée par la proximité d’un double danger. C’est un film sensuel, presque animal qui pratique une économie de dialogues et qui repose sur de beaux parallèles et contrastes. Parallèle entre l’amour de Gary pour Karole qui se laisse irradier par elle et pour rester auprès d’elle. Parallèle entre le sentiment amoureux, presque violent, impérieux, qui envahit lentement et irrémédiablement celui qui l’éprouve comme la centrale qui contamine. Parallèle entre les effets du désir amoureux et les effets de la centrale : cette dose qui provoque « la peur, l’inquiétude », les jambes « qui tremblent », la « vue brouillée » comme le souligne Karole. Parallèle entre ces deux dangers que Gary défie, finalement malgré lui. Contraste entre cette centrale clinique, carcérale, bruyante et la nature dans laquelle s’aiment Gary et Karole et que Rebecca Zlotowski filme comme une sorte d’Eden, ou comme dans « Une partie de campagne » de Renoir, même si elle n’élude rien des difficiles conditions de vie des ces ouvriers/héros qui habitent dans des mobile-homes près des centrales, telle une Ken Loach française.
Rebecca Zlotowski dresse le portrait de beaux personnages incarnés par d’excellents comédiens ici tout en force et sensualité au premier rang desquels Tahar Rahim, encore une fois d’une justesse irréprochable, Denis Menochet, bourru, clairvoyant et attendrissant, un beau personnage qui échappe au manichéisme auquel sa position dans le film aurait pu le réduire, ou encore Olivier Gourmet ou Johan Libéreau (trop rare).
Encore un film dont je vous reparlerai qui à la fois nous emporte par la beauté de ses personnages, leur rudesse tendre, la radieuse force des sentiments (amitié, amour) qui les unit … et qui nous glace d’effroi en nous montrant les conditions de travail de ceux qui risquent chaque jour leur vie dans l’une de ces 19 centrales françaises.
La suite de mes mésaventures et, évidemment, mes critiques des films évoqués ici trop brièvement, d’ici quelques jours.
Pour mes avis en direct de la Croisette, en attendant un compte-rendu digne de ce nom, » suivez-moi sur twitter: @moodforcannes et @moodforcinema.
Je vous rappelle enfin que, pour la sortie de mon roman « Les Orgueilleux » , ici (qui se déroule d’ailleurs dans le cadre d’un festival de cinéma), je vous fais gagner une liseuse électronique.
01:17 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | | Imprimer |