Cérémonie d'ouverture et critique du film d'ouverture du 76ème Festival de Cannes, JEANNE DU BARRY de Maïwenn (17/05/2023)
Impériale, Chiara Mastroianni, la maîtresse de cérémonie de l’ouverture et de la clôture de ce 76ème Festival de Cannes, a débuté cette soirée par quelques notes envoûtantes chantées en Italien. Ensuite, elle a célébré ce festival qui met à l’honneur les films qui vont, pendant ces 10 jours, « guider nos émotions, nos pensées, nos amours même si cela pourrait paraître fou dans la période chaotique et souvent douloureuse que nous vivons. » Elle a rappelé de ne pas oublier que ce festival est « né d’une indignation, d’une colère, un acte de résistance, fondé en 1939 à la veille d’une tragédie qui allait enflammer le monde ». Elle a également souligné ce dont il était synonyme, de libertés : « liberté d’oser, d’imaginer, de créer », et qu’il réalisait l’exploit de « réunir 68 films en sélection officielle venant de 27 pays ». Avant de présenter le jury, elle a prononcé cette magnifique phrase dont j’ai décidé aussi de faire mon credo pendant ces jours de festival :
« Que le ravissement nous étreigne, que le cinéma nous emporte par sa beauté, sa force et sa joie ! ».
Elle a ensuite annoncé les membres du jury (5 hommes et 4 femmes) qui, comme le veut la tradition, sont venus s’installer un à un sur scène : la réalisatrice française Julia Ducournau (Palme d'or en 2021 avec Titane), l'actrice américaine Brie Larson mais aussi la réalisatrice marocaine Maryam Touzani, l'acteur français Denis Ménochet, la réalisatrice britannico-zambienne Rungano Nyoni, l'acteur et réalisateur américain Paul Dano, l'écrivain et réalisateur afghan Atiq Rahimi, le cinéaste argentin Damian Szifron. Et enfin le président du jury, le cinéaste Ruben Östlund, qui a remporté sa deuxième Palme d'Or en 2022 pour Sans filtre. Sur scène, ce dernier a ainsi déclaré que « Le cinéma doit être crée par des êtres humains, doit nous amener à réfléchir. Dans une salle de cinéma, le simple fait qu’il y ait d’autres personnes dans la salle qui pourraient vous demander après ce que vous en avez pensé, rien que cela est une raison d’aller voir un film en salles. Les images ont un impact énorme sur notre comportement. Ce qu’il y a de merveilleux dans le cinéma c’est de voir des films ensemble en salles. »
Ensuite, les discours ont laissé place à la musique avec le groupe Gabriels qui a totalement charmé la salle par son interprétation éblouissante et émouvante de Stand by Me, la chanson culte de Ben E. King.
Uma Thurman a ensuite remis la palme d’or d’honneur à Michael Douglas. « La palme d’or d’honneur est attribuée à des personnes qui ont eu un impact profond durable sur le cinéma. Je ne vois personne d’autre que Michael Douglas qui puisse la mériter autant » a-t-elle ainsi déclaré, le qualifiant également de « star éternelle et artiste lumineux », citant également ce dernier selon lequel : « Mes films vont au-delà des apparences pour aller à l’essentiel sans fards. »
L’acteur producteur américain a ensuite reçu une véritable standing ovation, avant de s’adresser à la salle, notamment par ces mots : « Merci pour cet honneur. Cela me touche énormément parce qu’il y a des centaines de festivals dans le monde entier mais il n’y a qu’un seul Festival de Cannes. J’en ai de merveilleux souvenirs au cours des 40 dernières années. Le plaisir est immense de parler à des personnes de différents pays, de différentes cultures, toutes réunies par l’amour du cinéma. Ce festival souligne nos points de convergence, il montre que le cinéma peut transcender les limites et unir les êtres humains. C’est un privilège d’en faire partie. En voyant ce résumé de mes 55 ans de carrière, je me suis demandé comment j’ai pu durer aussi longtemps. » Il a également souligné l’importance qu’avait eu Karl Malden dans sa carrière : « J’ai consacré 4 années à Karl Malden pour Les rues de San Francisco. Karl a été mon mentor. » Mais aussi évidemment son père Kirk : « Mon père Kirk, son incroyable endurance, sa force et son travail acharné étaient admirables et m’ont servi d’exemples. Pour le public, c’était une icône, un superman et pour moi c’était mon père. Quand je le voyais avec ses amis Franck Sinatra, Gregory Peck, Tony Curtis, il n’y avait ni autographes ni lunettes de soleil, seulement des personnes avec leurs doutes. » « Pendant ces 50 ans, j’ai joué dans plus de 60 films et produit plus de 30 films. On travaille avec autant d’acharnement pour nos échecs que pour nos succès. » Il a enfin remercié toutes les équipes avec lesquelles il a travaillé au fil des ans « pour leur travail et leur joie communicative » et a évoqué son dernier rôle en France et le personnage de Franklin qui lui a « rappelé l’importance de la France dans la création des Etats Unis. »
Chiara Mastroianni a ensuite appelé Catherine Deneuve sur scène : « Il est temps d’inviter une icône pour ouvrir ce 76ème Festival de Cannes. S’il y a bien un mot qu’elle déteste, c’est celui-là. Rassurez-vous, je la connais. »
Catherine Deneuve a eu la merveilleuse idée de dire les mots de la poétesse ukrainienne Lessia Oukraïnka, figure féministe dans son pays. Ce poème s’intitule L’Espérance. Elle l’a écrit en 1878 lorsqu’elle avait 9 ans seulement.
"Je n'ai plus ni bonheur ni liberté
Une seule espérance m'est restée :
Revenir un jour dans ma belle Ukraine,
Revoir une fois ma terre lointaine,
Contempler encore le Dniepr si bleu
-- Y vivre ou mourir importe bien peu --,
Revoir une fois les tertres, les plaines,
Et brûler au feu des pensées anciennes...
Je n'ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m'est restée."
Catherine Deneuve et Michael Douglas ont ensuite déclaré ouverte cette 76ème édition avant que Chiara Mastroianni ne clôture cette cérémonie par cette malicieuse citation de George Cukor : « Le cinéma c’est comme l’amour. Quand c’est bien, c’est formidable. Quand c’est pas bien, c’est pas mal quand même ».
Une cérémonie à l’image de l’actrice qui en a été la maîtresse de cérémonie : élégante, sobre, brillante. Le ton de cette 76ème édition était ainsi donnée.
Fut ensuite projeté le film d’ouverture, la nouvelle réalisation de Maïwenn dans laquelle elle incarne également le rôle principal, Jeanne Du Barry. Maïwenn avait obtenu le prix du jury en 2011 pour Polisse, un film dans lequel Maïwenn et sa coscénariste, Emmanuelle Bercot, maniaient brillamment le film choral aidées par un savant montage qui fait alterner scènes de la vie privée et scènes de la vie professionnelle, les secondes révélant toujours quelque chose sur les premières, ces deux familles se confondant parfois. Pialat, Tavernier, Beauvois, Marchal avaient chacun à leur manière éclairer une facette parfois sombre de la police. Il fallait désormais compter avec le Polisse de Maïwenn.
Changement total de style et d’époque avec cette nouvelle réalisation… Jeanne Vaubernier, fille du peuple avide de s’élever socialement, met à profit ses charmes pour sortir de sa condition. Son amant le comte Du Barry, qui s’enrichit largement grâce aux galanteries lucratives de Jeanne, souhaite la présenter au Roi. Il organise la rencontre via l’entremise de l’influent duc de Richelieu. Celle-ci dépasse ses attentes : entre Louis XV (Johnny Depp) et Jeanne (Maïwenn), c’est le coup de foudre… Avec la courtisane, le Roi retrouve le goût de vivre – à tel point qu’il ne peut plus se passer d’elle et décide d’en faire sa favorite officielle. Scandale : personne ne veut d’une fille des rues à la Cour.
Fascinée par le personnage de Jeanne Du Barry interprétée par Asia Argento dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola, Maïwenn est tombée amoureuse du personnage et de son époque sur lesquels elle va ensuite se documenter.
Très inspirée par les tableaux du 18ème mais aussi par Barry Lyndon, Maïwenn offre à notre regard une vision épique, romanesque, très contemporaine et même intemporelle de la cour…dont l’esprit, les rumeurs, les faux-semblants, les manigances et lâchetés peuvent tout aussi bien s’appliquer au milieu du cinéma dans lequel Maïwenn évolue, qui souvent s’est sentie méprisée et rejetée comme la Du Barry.
Le 35mm renforce encore le réalisme et cette impression d’être immergée avec elle dans cette cour impitoyable et fascinante (le film a été largement tourné au Château de Versailles, certains plans sont d’une beauté vertigineuse comme lorsque Jeanne monte les marches du château, à la fois fragile et puissante au milieu de cette immensité). La somptueuse lumière du chef opérateur Laurent Dailland y est aussi pour beaucoup.
Ce film a été injustement critiqué avant même qu’il soit projeté (hier à Cannes et en même temps dans toute la France). Son lyrisme, son romantisme, la qualité de ses dialogues en font un grand et beau film idéal pour ouvrir « le bal » de cette 76ème édition. Et Maïwenn est parfaite dans le rôle de la célèbre et ambitieuse favorite. Dans le rôle du premier valet de chambre, Benjamin Lavernhe marque aussi les esprits. Une réjouissante ode à la liberté et un malicieux écho au cadre dans lequel il fut projeté.
10:44 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | | Imprimer |