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Blog créé en 2003 par Sandra Mézière, romancière. Blog cinéma sur les éditions passées du Festival de Cannes. Et le Festival de Cannes 2024 en direct ici. Pour l'actualité cinéma quotidienne et mon actualité d'auteure : Inthemoodforcinema.com.
Impériale, Chiara Mastroianni, la maîtresse de cérémonie de l’ouverture et de la clôture de ce 76ème Festival de Cannes, a débuté cette soirée par quelques notes envoûtantes chantées en Italien. Ensuite, elle a célébré ce festival qui met à l’honneur les films qui vont, pendant ces 10 jours, « guider nos émotions, nos pensées, nos amours même si cela pourrait paraître fou dans la période chaotique et souvent douloureuse que nous vivons. » Elle a rappelé de ne pas oublier que ce festival est « né d’une indignation, d’une colère, un acte de résistance, fondé en 1939 à la veille d’une tragédie qui allait enflammer le monde ». Elle a également souligné ce dont il était synonyme, de libertés : « liberté d’oser, d’imaginer, de créer », et qu’il réalisait l’exploit de « réunir 68 films en sélection officielle venant de 27 pays ». Avant de présenter le jury, elle a prononcé cette magnifique phrase dont j’ai décidé aussi de faire mon credo pendant ces jours de festival :
« Que le ravissement nous étreigne, que le cinéma nous emporte par sa beauté, sa force et sa joie ! ».
Elle a ensuite annoncé les membres du jury (5 hommes et 4 femmes) qui, comme le veut la tradition, sont venus s’installer un à un sur scène : la réalisatrice française Julia Ducournau (Palme d'or en 2021 avec Titane), l'actrice américaine Brie Larson mais aussi la réalisatrice marocaine Maryam Touzani, l'acteur français Denis Ménochet, la réalisatrice britannico-zambienne Rungano Nyoni, l'acteur et réalisateur américain Paul Dano, l'écrivain et réalisateur afghan Atiq Rahimi, le cinéaste argentin Damian Szifron. Et enfin le président du jury, le cinéaste Ruben Östlund, qui a remporté sa deuxième Palme d'Or en 2022 pour Sans filtre. Sur scène, ce dernier a ainsi déclaré que « Le cinéma doit être crée par des êtres humains, doit nous amener à réfléchir. Dans une salle de cinéma, le simple fait qu’il y ait d’autres personnes dans la salle qui pourraient vous demander après ce que vous en avez pensé, rien que cela est une raison d’aller voir un film en salles. Les images ont un impact énorme sur notre comportement. Ce qu’il y a de merveilleux dans le cinéma c’est de voir des films ensemble en salles. »
Ensuite, les discours ont laissé place à la musique avec le groupe Gabriels qui a totalement charmé la salle par son interprétation éblouissante et émouvante de Stand by Me, la chanson culte de Ben E. King.
Uma Thurman a ensuite remis la palme d’or d’honneur à Michael Douglas. « La palme d’or d’honneur est attribuée à des personnes qui ont eu un impact profond durable sur le cinéma. Je ne vois personne d’autre que Michael Douglas qui puisse la mériter autant » a-t-elle ainsi déclaré, le qualifiant également de « star éternelle et artiste lumineux », citant également ce dernier selon lequel : « Mes films vont au-delà des apparences pour aller à l’essentiel sans fards. »
L’acteur producteur américain a ensuite reçu une véritable standing ovation, avant de s’adresser à la salle, notamment par ces mots : « Merci pour cet honneur. Cela me touche énormément parce qu’il y a des centaines de festivals dans le monde entier mais il n’y a qu’un seul Festival de Cannes. J’en ai de merveilleux souvenirs au cours des 40 dernières années. Le plaisir est immense de parler à des personnes de différents pays, de différentes cultures, toutes réunies par l’amour du cinéma. Ce festival souligne nos points de convergence, il montre que le cinéma peut transcender les limites et unir les êtres humains. C’est un privilège d’en faire partie. En voyant ce résumé de mes 55 ans de carrière, je me suis demandé comment j’ai pu durer aussi longtemps. » Il a également souligné l’importance qu’avait eu Karl Malden dans sa carrière : « J’ai consacré 4 années à Karl Malden pour Les rues de San Francisco. Karl a été mon mentor. » Mais aussi évidemment son père Kirk : « Mon père Kirk, son incroyable endurance, sa force et son travail acharné étaient admirables et m’ont servi d’exemples. Pour le public, c’était une icône, un superman et pour moi c’était mon père. Quand je le voyais avec ses amis Franck Sinatra, Gregory Peck, Tony Curtis, il n’y avait ni autographes ni lunettes de soleil, seulement des personnes avec leurs doutes. » « Pendant ces 50 ans, j’ai joué dans plus de 60 films et produit plus de 30 films. On travaille avec autant d’acharnement pour nos échecs que pour nos succès. » Il a enfin remercié toutes les équipes avec lesquelles il a travaillé au fil des ans « pour leur travail et leur joie communicative » et a évoqué son dernier rôle en France et le personnage de Franklin qui lui a « rappelé l’importance de la France dans la création des Etats Unis. »
Chiara Mastroianni a ensuite appelé Catherine Deneuve sur scène : « Il est temps d’inviter une icône pour ouvrir ce 76ème Festival de Cannes. S’il y a bien un mot qu’elle déteste, c’est celui-là. Rassurez-vous, je la connais. »
Catherine Deneuve a eu la merveilleuse idée de dire les mots de la poétesse ukrainienne Lessia Oukraïnka, figure féministe dans son pays. Ce poème s’intitule L’Espérance. Elle l’a écrit en 1878 lorsqu’elle avait 9 ans seulement.
"Je n'ai plus ni bonheur ni liberté
Une seule espérance m'est restée :
Revenir un jour dans ma belle Ukraine,
Revoir une fois ma terre lointaine,
Contempler encore le Dniepr si bleu
-- Y vivre ou mourir importe bien peu --,
Revoir une fois les tertres, les plaines,
Et brûler au feu des pensées anciennes...
Je n'ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m'est restée."
Catherine Deneuve et Michael Douglas ont ensuite déclaré ouverte cette 76ème édition avant que Chiara Mastroianni ne clôture cette cérémonie par cette malicieuse citation de George Cukor : « Le cinéma c’est comme l’amour. Quand c’est bien, c’est formidable. Quand c’est pas bien, c’est pas mal quand même ».
Une cérémonie à l’image de l’actrice qui en a été la maîtresse de cérémonie : élégante, sobre, brillante. Le ton de cette 76ème édition était ainsi donnée.
Fut ensuite projeté le film d’ouverture, la nouvelle réalisation de Maïwenn dans laquelle elle incarne également le rôle principal, Jeanne Du Barry. Maïwenn avait obtenu le prix du jury en 2011 pour Polisse, un film dans lequel Maïwenn et sa coscénariste, Emmanuelle Bercot, maniaient brillamment le film choral aidées par un savant montage qui fait alterner scènes de la vie privée et scènes de la vie professionnelle, les secondes révélant toujours quelque chose sur les premières, ces deux familles se confondant parfois. Pialat, Tavernier, Beauvois, Marchal avaient chacun à leur manière éclairer une facette parfois sombre de la police. Il fallait désormais compter avec le Polisse de Maïwenn.
Changement total de style et d’époque avec cette nouvelle réalisation… Jeanne Vaubernier, fille du peuple avide de s’élever socialement, met à profit ses charmes pour sortir de sa condition. Son amant le comte Du Barry, qui s’enrichit largement grâce aux galanteries lucratives de Jeanne, souhaite la présenter au Roi. Il organise la rencontre via l’entremise de l’influent duc de Richelieu. Celle-ci dépasse ses attentes : entre Louis XV (Johnny Depp) et Jeanne (Maïwenn), c’est le coup de foudre… Avec la courtisane, le Roi retrouve le goût de vivre – à tel point qu’il ne peut plus se passer d’elle et décide d’en faire sa favorite officielle. Scandale : personne ne veut d’une fille des rues à la Cour.
Fascinée par le personnage de Jeanne Du Barry interprétée par Asia Argento dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola, Maïwenn est tombée amoureuse du personnage et de son époque sur lesquels elle va ensuite se documenter.
Très inspirée par les tableaux du 18ème mais aussi par Barry Lyndon, Maïwenn offre à notre regard une vision épique, romanesque, très contemporaine et même intemporelle de la cour…dont l’esprit, les rumeurs, les faux-semblants, les manigances et lâchetés peuvent tout aussi bien s’appliquer au milieu du cinéma dans lequel Maïwenn évolue, qui souvent s’est sentie méprisée et rejetée comme la Du Barry.
Le 35mm renforce encore le réalisme et cette impression d’être immergée avec elle dans cette cour impitoyable et fascinante (le film a été largement tourné au Château de Versailles, certains plans sont d’une beauté vertigineuse comme lorsque Jeanne monte les marches du château, à la fois fragile et puissante au milieu de cette immensité). La somptueuse lumière du chef opérateur Laurent Dailland y est aussi pour beaucoup.
Ce film a été injustement critiqué avant même qu’il soit projeté (hier à Cannes et en même temps dans toute la France). Son lyrisme, son romantisme, la qualité de ses dialogues en font un grand et beau film idéal pour ouvrir « le bal » de cette 76ème édition. Et Maïwenn est parfaite dans le rôle de la célèbre et ambitieuse favorite. Dans le rôle du premier valet de chambre, Benjamin Lavernhe marque aussi les esprits. Une réjouissante ode à la liberté et un malicieux écho au cadre dans lequel il fut projeté.
Cet article a eté mis à jour au fur et à mesure des annonces...
Ce soir s'ouvrira la 75ème édition du Festival de Cannes. Dans cet article, je vous détaille l'enthousiasmant programme de cette année, mis à jour au fur et à mesure des annonces et je vous donne rendez-vous dans quelques heures en direct de la Croisette pour mon 20ème Festival de Cannes...
Le jeudi 14 avril, à l’UGC Normandie, sur les Champs-Elysées, avait lieu la conférence de presse d’annonce de sélection du 75ème Festival de Cannes qui se tiendra du 17 au 28 mai 2022. Après une édition 2020 annulée pour cause de pandémie (même si le festival avait dévoilé une sélection, dans une forme singulière, puisque des films labellisés « Cannes 2020 » avaient été présentés dans des festivals partenaires parmi lesquels, d’ailleurs, quelques pépites comme Été 85 de François Ozon, Drunk de Thomas Vinterberg, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret, Médecin de nuit d’Elie Wajeman, Slalom de Charlène Favier, Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh...), et après une édition 2021 qui s’était déroulée en juillet, le festival revient donc cette année dans sa configuration habituelle, en mai.
Comme chaque année, l’Aquarium (extrait du Carnaval des animaux) de Saint-Saëns résonnera donc sur la Croisette et, chaque soir, préfigurera le coup d’envoi de ce voyage immobile dans les cinématographies du monde entier, cette scrutation de la réalité du monde, poétique parfois, âpre souvent, à laquelle nous aurons le plaisir d’assister confortablement installés à l’abri de ses fracas. Miroir grossissant et informant du monde, fenêtre ouverte sur ses plaies béantes et ses espoirs, Cannes le sera plus que jamais cette année, intervenant dans un contexte international particulièrement tendu.
Après Agnès Varda en 2019 et Spike Lee en 2021, cette année, c’est Jim Carrey qui est à l’honneur avec cette image extraite du film « The Truman Show » de Peter Weir (1998). « Des marches qui cheminent vers la révélation. Une célébration poétique de l’insaisissable et de la liberté. Une ascension pour surplomber le passé et s’avancer vers la promesse d’un renouveau », « Comme l'inoubliable Truman incarné par Jim Carrey qui frôle du bout des doigts son horizon, le Festival de Cannes prend acte de l'extrémité d'un monde pour l'appréhender à nouveau ». Un film sur la mise en abyme, aussi. Ce qu’est également Cannes lors de ce festival pendant lequel la frontière entre cinéma et réalité est si ténue. A la fin de The Truman show, Truman entre dans la réalité et, ainsi, échappe au mensonge. En route vers la liberté. Vers un nouvel horizon. Vers la vérité. Ce à quoi nous invite aussi la salle de cinéma et le festival. A la fin du film de Peter Weir, les spectateurs zappent sur un autre programme. Tout comme une autre actualité chassera le festival, une fois le tapis rouge remballé. Mais entre les deux, il y aura cette parenthèse, qu’elle soit une douce illusion, une fenêtre ouverte sur l’ailleurs ou sur cette terrible actualité entre crise climatique, catastrophes humanitaires, conflits armés.
Deux films ukrainiens et un film russe font d’ailleurs partie de la sélection. Le premier film ukrainien sera celui du cinéaste que Thierry Frémaux s’est dit « particulièrement heureux d’accueillir cette année », Sergei Loznitsa, habitué du festival dans le cadre duquel il avait notamment présenté son documentaire Maïdan (2014), consacré à la révolution ukrainienne ou encore la fiction Donbass (2018) traitant de la guerre avec les séparatistes russes. Cette année sélectionné en séance spéciale, il proposera The Natural History of Destruction, un film basé sur un texte de l'essayiste allemand W.G. Sebald. Le second film ukrainien sera projeté dans le cadre d’Un Certain Regard, il s’agit du premier film d’un jeune cinéaste, Makism Nakonechnyi, Butterfly vision (Bachennya Metelyka). Ce film raconte le retour au pays d’une jeune femme, une enseignante, qui s’était engagée dans la guerre et qui fut enlevée, revenant au pays à l’occasion d’un échange de prisonniers.
En compétition, nous retrouverons le Russe Kirill Serebrennikov, le metteur en scène de cinéma et de théâtre qui n’avait pas pu accompagner Leto en 2018 et La fièvre de Petrov en 2021, ne pouvant plus quitter son pays. Pour la troisième fois en compétition à Cannes, il présentera cette année Tchaïkovsky’s Wife (Zhena Chaikovskogo). Le cinéaste qui a quitté la Russie vit désormais à Berlin, il fera également l’ouverture du Festival d’Avignon avec l’adaptation d’une nouvelle de Tchekhov.
Le film d’ouverture sera cette année Z comme Z, un film de Michel Hazanavicius présenté hors compétition, « une comédie zombie, une histoire du tournage d’un film de zombie qui évoque la passion du cinéma et ce que c’est que le collectif dans le cinéma. » À cette occasion, Thierry Frémaux a évoqué et recommandé un autre film d'Hazanavicius, The Search (2014), dans lequel il « montrait les exactions de l’armée russe pendant la guerre de Tchétchénie ».
Le 25/04/2022 Michel Hazanavicius a décidé de modifier le titre de son film, en raison de la symbolique qu'a pris la lettre "Z" en Russie. Z (comme Z) devient désormais Coupez!. « Au vu de la charge symbolique prise par la lettre ‘z’ depuis le début de la guerre en Ukraine, et à la demande de cinéastes ukrainiens, j’ai décidé de changer le titre de mon film, explique le cinéaste dans un communiqué. Ce titre était peut-être drôle quand nous avons fait le film il y a quelques mois, il ne l’est plus du tout et je ne peux pas l’assumer. » « En aucun cas je ne voudrais qu’il soit associé de près ou de loin à cette guerre, ajoute-t-il. Je suis donc très heureux d’en changer, et dans cette mesure de marquer mon soutien le plus total au peuple ukrainien » a déclaré le réalisateur.
Rappelons enfin que, dès le 1er mars, le festival avait par ailleurs publié un communiqué de presse, une déclaration sur la guerre en Ukraine afin d’« exprimer tout son soutien au peuple ukrainien et à toutes les personnes qui se trouvent sur son territoire » et sa volonté « de ne pas accueillir de délégations officielles venues de Russie ni d’accepter la moindre instance liée au gouvernement russe. » Dans ce communiqué, le festival saluait également « le courage de toutes celles et tous ceux qui, en Russie, ont pris le risque de protester contre l’agression et l’invasion de l’Ukraine. ». Le festival a également rappelé que « fidèle à son histoire, qui débuta en 1939 en résistance aux dictatures fasciste et nazie, le Festival de Cannes se mettra toujours au service des artistes et des professionnels du cinéma, dont la voix s’élève pour dénoncer la violence la répression et les injustices, et pour défendre la paix et la liberté. »
Célébrer l'anniversaire du festival qui fête cette année ses 75 ans ne sera pas forcément aisé dans ce contexte bien que « cette double naissance en 1939 et 1946 soit pleine de symboles et de signaux qui sont précieux pour les analyses d'aujourd'hui » a souligné Thierry Frémaux. Il a également précisé qu’il s’agirait de « célébrer également le présent et l'avenir » et de « s'interroger sur l'avenir du cinéma. Le moment anniversaire sera le mai 24 mai avec de nombreux invités. Avec également, un colloque, un symposium qui fera que des cinéastes viendront plancher et s'exprimer sur ce qu'est être cinéaste aujourd'hui, avec une réflexion sur la place et le rôle des festivals dans le cinéma et dans le monde entier. Avec également des directeurs de festivals. » Il a par ailleurs rappelé que Wim Wenders, en 1982, avait réalisé un court, Room 666, à l’occasion duquel il avait interviewé des cinéastes. Le cinéma est-il un langage en train de se perdre, un art qui va mourir ? se demandait-il alors. Une jeune réalisatrice a décidé de venir pour poser à nouveau ces questions « pour voir ce qui s'est passé en 40 années ».
Après Jodie Foster en 2021, c’est l'acteur Forest Whitaker qui sera l’invité d’honneur de la cérémonie d’ouverture du 75e Festival de Cannes, et qui recevra ainsi une palme d’or d’honneur comme Jeanne Moreau, Bernardo Bertolucci, Manoel de Oliveira, Jean-Pierre Léaud, Agnès Varda avant lui. À cette occasion, For the Sake of Peace (Au nom de la Paix), réalisé par Christophe Castagne et Thomas Sametin et produit par Forest Whitaker, sera projeté le mercredi 18 mai en Séance spéciale.
Cette année, ce ne sont pas moins de 2200 films qui ont été visionnés par le comité de sélection. La sélection sera complétée dans les jours à venir.
Vincent Lindon présidera le jury de cette 75ème édition du Festival de Cannes. Il avait reçu le prix d'interprétation masculine en 2015 pour La loi du marché.
Isabelle Huppert a été la dernière personnalité française à occuper, en 2009, la Présidence du Jury. Dans l’histoire du Festival, les artistes de l’Hexagone ont souvent tenu ce rôle pour une édition-célébration, comme Yves Montand en 1987 pour le 40e anniversaire, Gérard Depardieu en 1992 pour le 45e Festival ou encore Isabelle Adjani en 1997 pour le 50e anniversaire. Il sera accompagné de Rebecca Hall, Deepika Padukone, Noomi Rapace, Jasmine Trinca, Asghar Farhadi, Ladj Ly, Jeff Nichols, Joachim Trier.
Après Mélanie Thierry en 2021, l’actrice espagnole Rossy de Palma sera la Présidente du Jury de la Caméra d’or qui récompensera un film parmi tous les premiers longs métrages présentés en Sélection officielle et dans les sections parallèles. Le Jury est composé de représentants français de la profession (presse, industrie, association de cinéastes) ainsi que de deux artistes invités qui entoureront Rossy de Palma : Natasza Chroscicki (directrice générale ARRI France), Éléonore Weber (auteure, metteuse en scène et cinéaste), Olivier Pelisson (journaliste & critique de cinéma), Lucien Jean-Baptiste (réalisateur, scénariste et acteur), Samuel Le Bihan (acteur).
Après la cinéaste britannique Andrea Arnold, c'est la réalisatrice, actrice et productrice italienne Valeria Golino qui sera la Présidente du Jury Un Certain Regard. Entourée de 4 jurés venus de Pologne (l’actrice Joanna Kulig), du Venezuela (l’acteur Édgar Ramírez), des États-Unis (la réalisatrice Debra Granik) et de France (l'auteur-compositeur-interprète et acteur Benjamin Biolay), elle aura pour mission d’établir le Palmarès de cette section qui célèbre un jeune cinéma, d’auteur et de découverte. Il y a cette année 20 œuvres sélectionnées, parmi lesquelles 8 sont des premiers films et 9 sont signées par des réalisatrices.
Le Jury des courts métrages aura pour mission d’attribuer, parmi les 9 films sélectionnés en Compétition, la Palme d’or du court métrage qui sera remise lors de la Cérémonie de clôture du Festival le samedi 28 mai 2022. Le Jury devra également décerner les trois prix de la Cinef aux meilleurs des 16 films d’écoles de cinéma présentés cette année. Ces prix seront remis lors de la cérémonie précédant la projection des films primés le jeudi 26 mai 2022. Le jury sera présidé par le réalisateur égyptien Yousry Nasrallah qui sera accompagné de : Monia Chokri, Laura Wandel, Félix Moati, Jean-Claude Raspiengeas.
C'est la comédienne Virginie Efira qui présentera les cérémonies d'ouverture et de clôture. Comme chaque année, Cannes nous permettra aussi de redécouvrir des classiques du septième Art grâce à Cannes Classics. Comme chaque année également, les films d’école sélectionnés dans le cadre de la Cinéfondation devenue Cinef donneront lieu à la compétition de films des étudiants en cinéma venus du monde entier. Enfin, l’opération 3 jours à Cannes qui permet désormais à des milliers de jeunes d’être accrédités (entre 3 et 5000 jeunes) sera reconduite cette année.
35000 accrédités sont annoncés. 155 pays différents ont proposé des films, 18 films figurent finalement en compétition parmi lesquels 4 anciens lauréats de la palme d’or.
Thierry Frémaux a par ailleurs rappelé que c’était la dernière année de Pierre Lescure à la présidence du festival. En 2015, il avait succédé à Gilles Jacob qui fut délégué général du festival de 1978 à 2001, puis son président jusqu’en 2014. C’est Iris Knobloch qui vient d’être élue présidente du festival. Elle prendra ses fonctions en juillet prochain. Pierre Lescure a également rappelé que le partenaire média Canal + serait remplacé par France Télévisions et Brut. Et que le Festival de Cannes accueillait de nouveaux partenaires : BMW et Campari.
«Le cinéma est un mélange parfait de vérité et de spectacle». Cannes incarne, mieux que nul autre festival, incarne cette citation de François Truffaut comme le démonter à nouveau cette sélection 2022.
Un peu moins de cinquante films ont été annoncés ce jeudi (80 furent sélectionnés l’an passé) : les films en compétition officielle, hors compétition en séance spéciale, en séance de minuit, Un Certain Regard parmi lesquels :
-Tirailleurs de Mathieu Vadepied avec Omar Sy, Alassane Diong et Jonas Bloquet fera l’ouverture d’Un Certain Regard. Produit par Bruno Nahon et Omar Sy, Tirailleurs est le deuxième long métrage du réalisateur, scénariste et directeur de la photographie Mathieu Vadepied. Le film met en lumière l'histoire, rayée de nos mémoires, des tirailleurs sénégalais, héros oubliés de la Première Guerre mondiale, forcés à quitter leurs terres et à combattre pour la libération de la France. Cette coproduction franco-sénégalaise, tournée en France et au Sénégal, relate l’histoire d’un père, Bakary Diallo enrôlé en 1917 dans l'armée française pour rejoindre Thierno, son fils de 17 ans, recruté de force. Envoyés sur le front, père et fils vont devoir affronter la guerre ensemble. Galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur de la bataille, Thierno va s'affranchir et apprendre à devenir un homme, tandis que Bakary va tout faire pour l'arracher aux combats et le ramener sain et sauf. Tirailleurs sera projeté en avant-première mondiale le mercredi 18 mai en ouverture d’Un Certain Regard devant le Jury, qui rendra son palmarès le vendredi 27 mai.
- le premier film réalisé par Ethan Coen, seul, sans son frère Joël, en séance spéciale, Jerry Lee Lewis, Trouble in mind,
- Comme cela avait déjà été annoncé, un « grand hommage sera rendu à Tom Cruise », le lendemain de l’ouverture du festival. « L’un de ces comédiens producteurs qui s’engagent pour le cinéma, qui a le ratio projet cohérence qualité les plus élevés dans l’ordre de ce qu’il fait comme cinéma et on sera heureux de saluer l’artiste, la qualité de son engagement dans son cinéma » a ainsi expliqué le délégué général du festival. Tom Cruise sera présent à Cannes le 18 mai 2022 pour la projection de Top Gun : Maverick, dont la sortie est prévue le 25 mai en France et le 27 mai aux États-Unis. Le Festival rendra à cette occasion un hommage exceptionnel à Tom Cruise pour l’ensemble de sa carrière. Tom Cruise est de retour au Festival de Cannes où il n’a fait qu’une seule apparition : c’était le 18 mai 1992, pour la présentation du film Horizons lointains de Ron Howard, projeté en clôture du 45e Festival. Ce soir-là, il avait remis la Palme d’or au réalisateur Bille August pour son film Les Meilleures intentions. Lors de cette journée spéciale, Tom Cruise se livrera dans l’après-midi à l’exercice d’une conversation avec le journaliste Didier Allouch et montera les marches le soir-même à l’occasion de la projection de Top Gun : Maverick, réalisé par Joseph Kosinski.
- Baz Lurhmann présentera le 25 mai, Elvis.Le réalisateur, scénariste et producteur australien sera au Festival de Cannes pour présenter en avant-première mondiale son dernier film en compagnie de Austin Butler, Tom Hanks, et Olivia DeJonge. Elvis s’attache à la vie et à l’œuvre d’Elvis Presley (Austin Butler), à travers le prisme de ses rapports complexes avec son mystérieux manager, le colonel Tom Parker (Tom Hanks). L'histoire plonge dans la dynamique complexe entre Presley et Parker sur plus de 20 ans, de l’ascension à la célébrité de Presley à son statut de star sans précédent, tandis que l’Amérique est traversée par des bouleversements socioculturels majeurs et perd son innocence. Au cœur de ce parcours se trouve l'une des personnes les plus importantes et les plus influentes de la vie d'Elvis, Priscilla Presley (Olivia DeJonge). Elvis de Baz Luhrmann, produit par Bazmark et The Jackal Group sortira en Amérique du Nord le 24 juin 2022 et dans le reste du monde à partir du 22 juin 2022. Baz Luhrmann, cinéaste flamboyant, a marqué la mémoire du Festival de Cannes en étant le seul réalisateur à présenter deux longs métrages en ouverture de la manifestation avec Moulin Rouge ! en 2001, sélectionné en Compétition, et Gatsby le Magnifique en 2013. En 1992, il avait fait sensation lors de la 45e édition du Festival avec son premier film Ballroom Dancing, projeté dans la section Un Certain Regard.
- Cedric Jimenez, hors compétition cette fois, après le succès de Bac nord, revient à Cannes cette année avec un film intitulé Novembre, un film avec Jean Dujardin, Anaïs Demoustier et Sandrine Kiberlain. Une plongée au cœur de l’Anti-Terrorisme pendant les 5 jours de traque qui ont suivi les attentats du 13 novembre.
- Nicolas Bedos, également hors compétition, viendra présenter sa comédie policière niçoise qui s’appelle Mascarade avec Pierre Niney, Isabelle Adjani, François Cluzet.
- Un jeune cinéaste indien, Shaunak Sen, viendra présenterAll that breathes (Tout ce que nous respirons). « Si nous ne faisons pas une section climat cette année, des cinéastes partout dans le monde posent la question environnementale » a précisé Thierry Frémaux.
- Le réalisateur lituanien Mantas Kvedaravicius, capturé et assassiné par l’armée russe début avril à Marioupol. Sa fiancée, Hanna Bilobrova, qui l’accompagnait a pu récupérer les images et les assembler avec Dounia Sichov, la monteuse de Mantas. Le film s’intitule Mariupolis 2 et sera projeté le 19 mai et le 20 mai.
Dans le cadre de Cannes Première, section initiée l’an passé, seront projetés :
- le nouveau film de Rachich Bouchareb, Nos frangins, ce qu’il considère comme le « troisième volet d’une Histoire de France, un film sur la mort de Malik Oussekine »,
- Marco Bellochio qui avait reçu une palme d’or d’honneur l’an passé viendra présenter un film de télévision, Esterno notte.
- Le grec Panos H.Koutras viendra présenter Dodo. Un dodo, oiseau disparu il y a 3000 ans, fait son apparition à Athènes dans la résidence luxueuse d’une famille au bord de la ruine pour laquelle le compte à rebours a commencé : les 38 heures cruciales et salvatrices qui la séparent du mariage de leur fille avec un riche héritier. Les frontières entre la raison et la folie seront mises à l’épreuve et la situation sera bientôt hors de contrôle.
- Assayas, quant à lui, viendra montrer quelques épisodes de sa série Irma Vep.
- Le premier long métrage réalisé par Jasmine Trinca, Marcel !, sera présenté en Séance spéciale.
- Le 29 avril, deux films ont été ajoutés à la sélection officielle : l’un dans la section Cannes Première (« AS BESTAS » de Rodrigo Sorogoyen) et l’autre en séance spéciale ( «SALAM » un documentaire de Mélanie « Diam’s », Houda Benyamina, Anne Cissé).
15 films sont pour l’instant sélectionnés à Un Certain Regard dont 7 premiers films. Thierry Frémaux a également insisté sur le « resserrement autour d’un jeune cinéma d’auteur » dans cette section.
Depuis 2017, le Prix de la Meilleure Création Sonore récompense un réalisateur de la sélection Un Certain Regard pour l’excellence sonore de son film. Cette année, c’est le réalisateur Christophe Barratier qui présidera le jury de la 5ème édition du Prix de la Meilleure Création Sonore, entouré de l’actrice Anne Parillaud, du compositeur Greco Casadesus, de la cheffe opératrice Marie Massiani, et de Janine Langlois-Gandier et Christian Hugonnet, fondateurs du prix. Le jury s’attachera à récompenser la création sonore dans sa dimension la plus large, c’est-à-dire musicale et artistique, mais également rapportée au design sonore (ambiance sonore, effets spéciaux, qualité des voix, spatialisation, niveau sonore, relation image et son). Le Prix de la Meilleure Création Sonore 2022 sera attribué le vendredi 27 mai dans la matinée.
Parmi les 18 films en compétition :
- Trois films français dont :
- Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi sur Patrice Chéreau « sur ce qu’est la vie en troupe, la vocation, la capacité des comédiens et comédiennes à endurer la douleur pour parvenir à la douleur l’engagement d’une jeunesse en proie dans ces années-là à la question du sida ».
- Claire Denis avec Stars at noon,un film avec un film à la lisière du polar diplomatique tourné en Amérique centrale.
- Arnaud Desplechin, avec Frère et sœur, avec Marion Cotillard et Melvil Poupaud qui avait présenté en 2021, Tromperie, dans le cadre de Cannes Première. Un frère et une sœur à l’orée de la cinquantaine… Alice est actrice, Louis fut professeur et poète. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans. Ils ne se sont pas vus depuis tout ce temps – quand Louis croisait la sœur par hasard dans la rue, celle-ci ne le saluait pas et fuyait… Le frère et la sœur vont être amenés à se revoir lors du décès de leurs parents.
Également en lice :
- Jean-Pierre et Luc Dardenne pour Tori et Lokita, l’histoire de deux jeunes Africains exilés en Belgique.
- Kore-eda qui revient après sa palme d’or 2018 pour Une affaire de famille, une « histoire de road movie d’adoption ».
- le cinéaste belge Lukas Dhont avec Close, il fut lauréat de la Caméra d’or en 2018 avec Girl.
- James Gray de retour en compétition avec Armageddon time, une chronique d’une jeunesse new-yorkaise dans les années 1980 qui s’annonce très autobiographique, avec Anne Hathaway et Anthony Hopkins.
- le réalisateur de la Loi de téhéran, Saeed Roustayi pour Leila’s Brothers.
- David Cronenberg sera présent avec Crimes of the Future, une véritable « anthologie » de son œuvre fantastique au casting chic (Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart).
- Comme chaque année, la section Cannes Classics nous réserve de belles surprises : La Maman et la putain de Jean Eustache en ouverture, deux épisodes du documentaire-événement d’Ethan Hawke sur Joanne Woodward et Paul Newman, un hommage à Gérard Philipe, les 40 ans de la disparition de Patrick Dewaere, une dernière conversation avec Jean-Claude Carrière, la Cinémathèque brésilienne et Glauber Rocha, le réalisateur philippin Mike De Leon, Arrabal le poète, un chef-d'œuvre de la nouvelle vague tchèque, un portrait de Romy Schneider, un dernier hommage à Fernando Solanas, celui de sa fille à Souleymane Cissé. Il y aura aussi l’Inde à l’honneur, The Film Foundation et le World Cinema Project, les 70 ans de Singin’ in the Rain, Orson Welles et Kafka, des classiques indémodables de Duvivier et De Sica, The Band de Robbie Robertson filmé pour leur dernier concert. Et enfin un double programme olympique, avec le film officiel des Jeux Olympiques de Munich 1972 réalisé par 8 cinéastes du monde entier et celui, présenté en avant-première mondiale, des Jeux Olympiques de Tokyo, réalisé par Naomi Kawase.
- Les « Rendez-vous avec… » sont des rencontres entre les artistes et le public du Festival. Ils « permettent de recueillir la vision et la parole de grandes personnalités du cinéma venues du monde entier. Des moments rares de partage et de cinéphilie, de transmission et d’émotion. Pour cette édition 2022, l’acteur espagnol Javier Bardem, la réalisatrice, actrice et scénariste française Agnès Jaoui, l’acteur danois Mads Mikkelsen ainsi que la réalisatrice et scénariste italienne Alice Rohrwacher viendront à la rencontre des festivaliers.
- Depuis 2007, c’est sur le toit du Riviera qu’est installée la Salle du Soixantième, baptisée ainsi à l’occasion du 60e Festival de Cannes. Cette salle, devenue indispensable, s’appellera désormais « Salle Agnès Varda ».
- Cinéma de la Plage - Tous les jours à 21h30, en plus des projections, rencontres et événements de la Sélection officielle qui se tiennent au Palais des festivals, le Festival de Cannes se réinvente à la nuit tombée et transforme la plage Macé de la Croisette, située en face de l’hôtel Majestic, en salle de cinéma à ciel ouvert. En accès libre, ce rendez-vous est ouvert à tous les publics et aux festivaliers. La demi-décennie du Parrain, les 40 ans de E.T., l’extra-terrestre, Jim Carrey dans The Truman Show, deux avant-premières, de l’humour rock, du grand spectacle, de l’action, des hommages à Christophe, Jean-Paul Belmondo, Gérard Philipe et Peter Bogdanovich, un karaoké géant et Le Pacte des Loups restauré !
En complément :
- Découvrez mon tout nouveau podcast avec mon interview de Line Toubiana, cofondatrice du Prix de la Citoyenneté dont le jury récompense chaque année un film de la compétition officielle. Line nous expliqué la genèse de ce prix, évoque les précédents lauréats, et nous annonce les membres du jury 2022 ainsi que les évènements organisés dans le cadre du prix pour ce 75ème Festival de Cannes. Je vous invite également à découvrir le site internet du Prix de la Citoyenneté, ici.
Crimes of the Future (les Crimes du futur) de David Cronenberg
Tori et Lokita de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Stars at noon de Claire Denis
Frère et Sœur d’Arnaud Desplechin
Close de Lukas Dhont
Armageddon Times de James Gray
Broker de Hirokazu Kore-eda
Nostalgia de Mario Martone
R.M.N. de Cristian Mungiu
Triangle of Sadness (le Triangle de la tristesse) de Ruben Östlund
Decision to Leave de Park Chan-wook
Showing Up de Kelly Reichardt
Leila’s Brothers de Saeed Roustaee
Boy From Heaven de Tarik Saleh
La femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov
Hi-Han (Eo) de Jerzy Skolimowski
Un Certain Regard
Les Pires de Lise Akoka et Romane Guéret
Kurak Günler (Burning Days) d’Emin Alper
Metronom d’Alexandru Belc
Retour à Séoul (All the People I’ll Never Be) de Davy Chou
Sick of Myself de Kristoffer Borgli
Domingo y la Niebla (Domingo et la brume) d’Ariel Escalante Meza
Plan 75 de Hayakawa Chie
Beast de Riley Keough et Gina Gammell
Corsage de Marie Kreutzer
Bachennya Metelyka (Butterfly vision) de Maksim Nakonechnkyi
Vanskabte Land / Volada Land de Hlynur Palmason
Rodéo de Lola Quivoron
Joyland de Saim Sadiq
The Stranger de Thomas M. Wright
The Silent Twins d’Agnieszka Smoczynska
Hors compétition
Top Gun : Maverick de Joseph Kosinski
Elvis de Baz Luhrmann
Novembre de Cédric Jimenez
3000 Years of Longing de George Miller
Mascarade de Nicolas Bedos
Séances de Minuit :
HUNT LEE Jung-Jae
FUMER FAIT TOUSSER Quentin DUPIEUX
MOONAGE DAYDREAM Brett MORGEN
Cannes Première :
DODO Panos H. KOUTRAS
ESTERNO NOTTE Marco BELLOCCHIO
IRMA VEP Olivier ASSAYAS
NOS FRANGINS Rachid BOUCHAREB
Séances Spéciales :
JERRY LEE LEWIS: TROUBLE IN MIND Ethan COEN
THE NATURAL HISTORY OF DESTRUCTION Sergei LOZNITSA
ALL THAT BREATHES Shaunak SEN
COMPLEMENTS DE SELECTION
(annoncés le 21/04/2022)
COMPETITION
LE OTTO MONTAGNE de Charlotte Vandermeersch, Felix Van Groeningen
UN PETIT FRÈRE de Léonor Serraille
A la fin des années 1980, Rose arrive d'Afrique et emménage en banlieue parisienne avec ses deux fils, Jean et Ernest. De cette installation jusqu’à nos jours, le portrait d'une famille ordinaire.
TOURMENT SUR LES ÎLES d'Albert Serra
CANNES PREMIERE
DON JUAN de Serge Bozon
LA NUIT DU 12 de Dominik Moll
CHRONIQUE D’UNE LIAISON PASSAGÈRE de Emmanuel Mouret
SEANCE DE MINUIT
REBEL Adil El Arbi, Bilall Fallah Belgique
UN CERTAIN REGARD
PLUS QUE JAMAIS Emily Atef
MEDITERRANEAN FEVER Maha Haj
LE BLEU DU CAFTAN Maryam Touzani
HARKA Lotfy Nathan (1er film)
SEANCES SPECIALES
MI PAIS IMAGINARIO Patricio Guzmán (Documentaire)
THE VAGABONDS Doroteya Droumeva (1er film)
RIPOSTE FÉMINISTE Marie Perennès, Simon Depardon (Documentaire - 1er film)
RESTOS DO VENTO Tiago Guedes
LE PETIT NICOLAS QU’EST-CE QU’ON ATTEND POUR ÊTRE HEUREUX ? Amandine Fredon, Benjamin Massoubre (Animation - 1er film)
Mais aussi, quelques informations complémentaires en vrac ... :
- France Télévisions, partenaire officiel du Festival de Cannes 2022. Les films à voir sur la plateforme :
A l’occasion du Festival de Cannes 2022, des films de Xavier Dolan, Céline Sciamma, Lars Von Trier et d’autres sont en accès gratuit sur la plateforme de France Télévisions (désormais partenaire officiel du festival), France TV Cinéma. Voici ma sélection (cliquez sur les titres pour accéder à mes critiques) :
- Créée en 2016 à l’occasion du Festival International du Film de Cannes, la Semaine du Cinéma Positif, placée sous les auspices du Festival de Cannes, consacre un cinéma qui change notre regard sur le monde, éveille les consciences, interroge son industrie et met son art au service des générations futures. Le cinéma positif rassemble, fait bouger les lignes, influence nos modes de pensées, nos comportements et invite les citoyens du monde entier à s’engager. Trois journées d’activités sont ainsi programmées pour le Festival de Cannes 2022. Des projections d’une sélection de films positifs, gratuites et ouvertes à tous, en plein air et en partenariat avec la Ville de Cannes. Des conférences sur la plage du CNC en présence de personnalités et professionnels du cinéma. Remise du prix du meilleur film positif à un film de la sélection officielle du Festival de Cannes. Des masterclass grand public, en partenariat avec la FNAC et professionnels, à destination des étudiants en cinéma, en partenariat avec le Campus Georges Méliès. Pour connaître le programme détaillé, rendez-vous, ici, sur le site de l’Institut de l’Economie Positive.
- Europcar, depuis 25 ans, loueur Officiel du Festival de Cannes, à l’occasion de l’anniversaire de ce partenariat historique, déroule le tapis rouge de cette 75ème édition, en organisant un jeu concours pour faire gagner un séjour digne d’une star de la Croisette. Au programme : traitement VIP, montée des marches et rencontre avec le photographe en vogue sur le digital : Jonathan Bertin. Du 5 mai au 14 mai sur www.europcarcannes25ans.com, vous pourrez ainsi participer au tirage au sort et tenter de remporter votre séjour exclusif à Cannes tout compris. Le tirage au sort aura lieu le 17 mai et tous les détails de la prise en charge seront transmis aux gagnants avant le 18 mai.
Le film d'ouverture du 72ème Festival de Cannes promet une atmosphère singulière autant qu'un tapis rouge d'exception. Sous la présentation du film en question, retrouvez ma critique de "Paterson" du même Jim Jarmusch (film en compétition au Festival de Cannes 2016).
The Dead Don't Die, le nouveau film de Jim Jarmusch sera présenté à Cannes en ouverture, en Compétition et en première mondiale.
C'est avec la projection en Compétition du nouveau long métrage de Jim Jarmusch, The Dead Don't Die, que s'ouvrira le 72e Festival International du Film. Mardi 14 mai, sur l'écran du Grand Théâtre Lumière, le film du réalisateur et scénariste américain sera le premier à concourir pour la Palme d'or.
Synopsis : Dans la sereine petite ville de Centerville, quelque chose cloche. La lune est omniprésente dans le ciel, la lumière du jour se manifeste à des horaires imprévisibles et les animaux commencent à avoir des comportements inhabituels. Personne ne sait vraiment pourquoi. Les nouvelles sont effrayantes et les scientifiques sont inquiets. Mais personne ne pouvait prévoir l’évènement le plus étrange et dangereux qui allait s’abattre sur Centerville : THE DEAD DON’T DIE – les morts sortent de leurs tombes et s’attaquent sauvagement aux vivants pour s’en nourrir. La bataille pour la survie commence pour les habitants de la ville.
Depuis Stranger Than Paradise, Caméra d’or au Festival de Cannes en 1984, qui fit date dans l’histoire du nouveau cinéma indépendant américain, Jim Jarmusch nous a habitués à ses univers créatifs et mélancoliques, à ses B.O. inspirées, à son humour décalé et aux errances de ses anti-héros dans un monde toujours légèrement étrange. À Cannes, son cinéma rock et élégant souvent à l’étude d’une Amérique différente a été salué par quatre prix dont la Palme d’or du court métrage en 1993 pour Coffee and Cigarettes et le Grand Prix en 2005 pour Broken Flowers.
En 2016, Jim Jarmusch avait présenté deux films en Sélection officielle : Paterson avec Golshifteh Farahani et Adam Driver, en Compétition, et Gimme Danger, le documentaire musical sur Iggy et les Stooges, en Séance de Minuit.
Le film sortira en France le même jour que sa présentation à Cannes le 14 mai en soirée, aux États-Unis le 14 juin 2019 puis dans le monde entier.
La cérémonie d’Ouverture du 72e Festival de Cannes aura lieu le 14 mai 2019. Elle sera retransmise en clair par Canal +, ainsi que dans les salles de cinéma partenaires. L’acteur et réalisateur Edouard Baer en sera le maître de cérémonie.
Le Jury de la Compétition présidé par Alejandro González Iñárritu remettra la Palme d’or lors de la cérémonie du Palmarès le samedi 25 mai.
La composition de la Sélection officielle sera annoncée le jeudi 18 avril prochain.
Plus d’informations sur www.festival-cannes.com (Source : communiqué de presse officiel du Festival de Cannes)
Critique de PATERSON de Jim Jarmusch
C’était le film le plus inclassable de la compétition du dernier Festival du Cinéma et Musique de La Baule (d'où il est reparti avec presque tous les prix, à l'unanimité du jury), oublié du palmarès du Festival de Cannes (en salles le 21 décembre) .
Paterson (Adam Driver) vit à Paterson, New Jersey, cette ville des poètes, de William Carlos Williams à Allan Ginsberg, une ville aujourd’hui en décrépitude. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura (Golshifteh Farahani), qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme et de Marvin, l’inénarrable bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte pas…
Le film dont l’intrigue se déroule sur une semaine, est empreint de dualité et est construit en miroir avec une précision fascinante, une fausse simplicité, une douceur hypnotique, un rythme lancinant. Envoûtants. Sa lenteur, certes captivante, en rebutera peut-être plus d’un, pourtant pour peu que vous acceptiez ce rythme, la poésie contemplative du film vous happera progressivement pour vous plonger et vous bercer dans une atmosphère à la fois mélancolique et ouateuse.
La dualité et la répétition sont partout. Dans le noir et blanc qui obsèdent la compagne de Paterson (un noir et blanc dont elle décore toute la maison, mais aussi les rideaux, ses cupcakes, ses vêtements). Les jumeaux que le couple voit partout (en rêve pour l’une, dans son étrange réalité pour l’autre). Dans le patronyme « Paterson » qui est aussi celui de la ville où le protagoniste évolue et celle où a vécu le poète dont il s’inspire (William Carlos Williams). Sans oublier les journées répétitives : le réveil, le trajet à pied pour aller en travail, l’écriture d’ un poème dans son carnet secret toujours interrompue par l’arrivée de son patron déprimé, les conversations des passagers de son bus, le retour à la maison en redressant la boîte aux lettres que le chien fait chaque jour malicieusement tomber, les discussions avec sa femme, et la journée qui s’achève par la promenade du chien et la bière au café où une conversation ou un imprévu viennent aussi briser le rythme routinier. Un seul évènement viendra réellement bouleverser ce rythme répétitif tandis que le couple regarde un film de Jacques Tourneur au cinéma, punis d’avoir dérogés à ses habitudes quotidiennes.
Décrit ainsi, le film pourrait paraître ennuyeux et banal. S’en dégage pourtant une beauté poétique qui sublime l’apparente simplicité de chaque instant, l’ennui routinier qui semble parfois peser sur Paterson (la ville, ville pauvre du New Jersey qui rappelle Détroit dans « Only Lovers Left Alive » ) et sur Paterson, l’homme. Il regarde ainsi chaque soir les visages célèbres de la ville accrochés dans le bar où s’achèvent ses journées. Admiratif, il écoute une petite fille lui dire le poème qu’elle a écrit et qu’il admire. Il écoute enfin un touriste Japonais lui vanter les poèmes de William Carlos Williams. Miroirs encore. Ceux de ses regrets, de ses échecs, de sa vie qui semble condamné à cette inlassable routine mais que sublime le plus beau des pouvoirs, celui de savoir jongler avec les mots qui résonnent aux oreilles du spectateur comme une douce et enivrante mélopée.
Jarmusch, avec une acuité remarquable, capte l’extraordinaire dans l’ordinaire, le singulier dans le quotidien. Les vers qui s’écrivent sur l’écran et la voix de Paterson qui les répète inlassablement est une musique qui s’ajoute à celle de Sqürl, le groupe de Jim Jarmusch, et qui nous charme insidieusement pour finalement nous faire quitter à regrets cet univers réconfortant, tendrement cocasse, et poétique.
Le film a reçu l’Ibis d’or du meilleur film à La Baule mais aussi celui du meilleur acteur pour Adam Driver et de la meilleure actrice pour Golshifteh Farahani. La tendre nonchalance du premier, sa bienveillance envers l’attendrissante folie de sa femme (Golshifteh Farahani, toujours d’une justesse remarquable) sont en effet pour beaucoup dans le l’enchantement irrésistible de ce poème terriblement séduisant.
Un bon festival, c’est souvent comme un grand film, il vous laisse heureux et exténué, joyeusement nostalgique et doucement mélancolique, riche d’émotions et de réflexions, parfois contradictoires. «Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments» dit Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse dans le sublime film Amour de Michael Haneke, inoubliable palme d’or.
De ce Festival de Cannes 2018, je me souviendrai, je l’espère, des films (tant s’annoncent déjà marquants, voire remarquables ! ) et aussi des sentiments, espérant qu’ils ne se perdront pas dans ce tourbillon enivrant d’images, cette multiplicité de fenêtres ouvertes sur le monde.
Quel bonheur encore cette année de vivre au centre de cette « bulle au milieu du monde » qui en est parfois aussi le reflet fracassant. Une fois de plus, l’irréalité cannoise va tisser sa toile et hisser les voiles pour un ailleurs cinématographique, modifier l’apparence de la ville pour qu’elle ne respire bientôt plus qu’au rythme haletant de 24 images par seconde, pour m’envelopper dans ses voiles et m’embarquer pour un vol de 12 jours. Quelques perturbations ne sont pas à exclure et si l’ailleurs vers lequel m’embarque cette irréalité sera peut-être aussi déroutant, à n’en pas douter, il sera surtout réjouissant. Parce que, oui, j’ose le clamer et l’affirmer et le revendiquer : cet enthousiasme qu’il est de bon ton ici de taire pour se vanter d’être blasé et las. Cet enthousiasme et cette passion, folle et dévorante, pour le cinéma que le festival, chaque année, exacerbe un peu plus encore.
La cérémonie d’ouverture a débuté cette année par un extrait de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard. Toute la magie, la force, la beauté, la mélancolie, la joie, bref les paradoxes du cinéma, résumés en un seul extrait. Peut-être parce que « Il y a des idées dans les sentiments ». De cette cérémonie d’ouverture, nous retiendrons le mot de Thierry Frémaux pour « Les Enfants du Paradis » qu’il a eu la délicatesse de saluer, le discours bref et non moins fort de Cate Blanchett (après des extraits qui prouvaient, pour ceux qui en auraient encore douté, à quel point elle méritait de présider le jury, elle qui a si bien su choisir les films de sa carrière, et quels films, que de grands cinéaste à son palmarès, déjà, que d'engagements !).
« Aborder chaque film avec l’esprit et le cœur ouverts, mettre de côté nos préoccupations, nos idées reçues et nos attentes pour s’ouvrir aux récits qui vont défiler sous nos yeux. » Voilà ce à quoi nous enjoignait ce soir la présidente du jury. Quel meilleur programme que celui-ci. Comme chaque année, les extraits des films que nous allons découvrir pendant le festival me donnaient la chair de poule tant ils contenaient de promesse de cinéma. De grand cinéma. Et puis il y a eu la musique des « Moulins de mon cœur », poignante, toujours. Le petit mot de Pierre Lescure pour les « 1500 jeunes gens venant de partout ». Le clin d’œil à la Quinzaine des Réalisateurs. Et l’immense Scorsese qui, avec Cate Blanchett, a déclaré ouverte cette 71ème édition en nous rappelant au préalable que, à Cannes, tous nous partageons la « même passion » et que nous sommes « tous réunis pour célébrer le septième art. » Et bien sûr, nous retiendrons le lyrisme et l’élégance faussement nonchalante du maître de cérémonie.
En ouverture, cette année le cinéaste Asghar Farhadi avec Everybody knows (également en compétition officielle) et un casting de rêve, l’alliance parfaite pour l’ouverture, une alliance de cinéma exigeant et de casting glamour.
Synopsis : A l’occasion du mariage de sa soeur, Laura revient avec ses enfants dans son village natal au coeur d’un vignoble espagnol. Mais des évènements inattendus viennent bouleverser son séjour et font ressurgir un passé depuis trop longtemps enfoui.
Je vous reparlerai bien sûr plus longuement de ce thriller psychologique remarquablement intérprété, de sa structure labyrinthique parfaite grâce à laquelle l’émotion s’insinue progressivement. Ce petit village espagnol magnifiquement filmé constitue le cadre idéal pour ce drame poignant.
Passionnante fut aussi la conférence de presse au cours de laquelle le cinéaste a notamment déclaré :
"Je voulais dire que cette année est très particulière car il y a 2 films iraniens en compétition. Il y a aussi un film de mon confrère Jafar Panahi. Je lui ai parlé hier. Je continue d'espérer qu'il puisse venir et je peux, là où je suis, émettre ce message : que ceux qui peuvent prennent la décision pour le faire venir. Ce qui compte, c'est qu'il puisse voir dans les yeux des spectateurs comment son film est reçu. Je garde l'espoir qu'il puisse venir. C'est une sensation très étrange d'avoir la possibilité d'être ici et lui non. J'ai beaucoup de respect pour son courage." Asghar Farhadi.
La mise en scène maligne exacerbe l’aspect hitchcockien, indéniable, de cette histoire troublante et captivante empreinte de secrets enfouis et de mystères insondables. Ajoutez à cela un casting impeccable et vous obtiendrez un film d’ouverture idéal qui nous plonge d’emblée dans l’ambiance. Je vous en parlerai bien sûr ultérieurement plus longuement mais, demain, une journée de cinéma m’attend…
A demain pour la suite « in the mood for Cannes » après cette ouverture qui annonce déjà une compétition de haute volée.
Longtemps le festival a choisi pour film d’ouverture des grosses productions, souvent américaines, s’accompagnant de génériques et montées des marches prestigieux. Après Woody Allen et son « Café Society » l’an passé –au passage retrouvez ma critique du film actuellement à l’honneur sur le site de Canal plus- ( un cinéaste qui, lui aussi, d’ailleurs, a souvent recouru à la mise en abyme) c’était au tour du français Arnaud Desplechin d’ouvrir le bal avec « Les fantômes d’Ismaël », hors compétition, après cinq sélections en compétition. « J'ai appris avec une grande émotion que le film faisait l'ouverture. C'est un honneur. J'étais très touché », a ainsi déclaré Arnaud Desplechin lors de la conférence de presse du film.
À la veille du tournage de son nouveau film, la vie d’un cinéaste, Ismaël (Mathieu Amalric) est chamboulée par la réapparition d’un amour disparu, Carlotta disparue 20 ans auparavant, plus exactement 21 ans, 8 mois et 6 jours… Ce personnage irréel à la présence troublante et fantomatique est incarné par Marion Cotillard. La manière dont elle est filmée, comme une apparition, instille constamment le doute dans notre esprit notamment lorsqu’elle est filmée dans l’embrasure d’une porte, ses vêtements flottant autour d’elle. Quand elle danse pourtant (magnifique scène d’une grâce infinie sur «It Ain't Me Babe», de Bob Dylan), elle semble incroyablement vivante et envoûtante. Présente. « La scène de la danse est à 95% une invention de Marion » a ainsi précisé Arnaud Desplechin.
Desplechin jongle avec les codes du cinéma pour mieux les tordre et nous perdre. Les dialogues sont magistralement écrits et interprétés « Je voulais déchirer ma vie » dit Carlotta. Ismaël répond : « C'est ma vie que tu as déchirée. » Qu’importe si certains les trouvent trop littéraires. C'est ce qui rend ce film poétique, évanescent.
A la frontière du réel, à la frontière des genres (drame, espionnage, fantastique, comédie, histoire d’amour), à la frontière des influences (truffaldiennes, hitchcockiennes –Carlotta est bien sûr ici une référence à Carlotta Valdes dans « Vertigo » d’Hitchcock-) ce nouveau film d’Arnaud Desplechin est savoureusement inclassable, et à l’image du personnage de Marion Cotillard : insaisissable et nous laissant une forte empreinte. Comme le ferait un rêve ou un cauchemar.
Le film est porté par des acteurs remarquables au premier rang desquels Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg (ses échanges avec Ismaël sont souvent exquis). « Charlotte Gainsbourg fait partie des gens qui m'ont donné envie de faire ce métier » a ainsi déclaré Marion Cotillard en conférence de presse. « J'ai le sentiment d'avoir trouvé un personnage quand j'ai trouvé sa manière de respirer » a-t-elle également ajouté. « Depuis "L'Effrontée" j'avais envie de tourner avec Charlotte Gainsbourg et cette fois-ci fut la bonne » a déclaré Desplechin.
La fin du film était elle aussi une ouverture. Un espoir. Un film plein de vie, un dédale dans lequel on s’égare avec délice porté par deux personnages énigmatiques, deux actrices magistrales. « Tout le film est résumé dans la réplique suivante : la vie m'est arrivée », a ainsi déclaré Arnaud Desplechin en conférence de presse. La vie avec ses vicissitudes imprévisibles que la poésie du cinéma enchante et adoucit. Le cinéma de Desplechin indéniablement.
Quelle bonne idée que de faire débuter (à nouveau) le Festival de Cannes par un film de Woody Allen, promesse toujours de tendre ironie, de causticité mélancolique mais aussi en l’occurrence de villes baignées de lumière. Comme un écho à la sublime affiche de cette 69ème édition, incandescente, solaire, ouvrant sur de nouveaux horizons (image tirée du « Mépris » de Godard) et sur cette ascension solitaire, teintée de langueur et de mélancolie… comme une parabole de celle des 24 marches les plus célèbres au monde.
De cette cérémonie d’ouverture, nous retiendrons l’enthousiasme avec lequel George Miller a évoqué son jury, « des gens extrêmement intelligents, passionnés de cinéma, très amusants « , « Quoiqu’il arrive ce jury va délibérer de manière assidue, sérieuse et passionnée », les extraits des films de cette 69ème édition qui déjà me font frissonner d’exaltation et d’impatience et même parfois déjà d’émotion, les quelques notes de la musique envoûtante de « Lawrence d’Arabie » et celles qui le sont tout autant du « Mépris », l’hommage à Paris blessée et meurtrie, la grande classe de Vincent Lindon, prix d’interprétation masculine pour « La loi du marché », l’an passé, dans lequel il était d’une justesse sidérante (qui tourne actuellement et interprète Rodin), « Je me suis empressé de dire oui au festival qui depuis plus d’un demi-siècle témoigne du monde et de son imaginaire et qui aide à se battre contre les injustices, les préjugés, les différences, il est rudement courageux essayons de l’être autant que lui. Vive le cinéma », a-t-il dit, et nous oublierons quelques phrases malheureuses de Laurent Lafitte car comme il l’a en revanche bien dit, à Cannes, la star c’est le cinéma et c’est tout ce qui compte.
(Petite parenthèse pour dire que c’est aussi ce que j’ai modestement essayé de dire hier sur RFI dans l’émission « Vous m’en direz des nouvelles » , que, à Cannes, la star est et demeure le cinéma, face à un Richard Berry plutôt en colère contre le festival, pour le podcast, c’est ici : ).
Ce nouveau film de Woody Allen nous emmène à New York, dans les années 30. Coincé entre des parents conflictuels, un frère gangster et la bijouterie familiale, Bobby Dorfman (Jesse Eisenberg) a le sentiment d'étouffer! Il décide donc de tenter sa chance à Hollywood où son oncle Phil (Steve Carell), puissant agent de stars, accepte de l'engager comme coursier. À Hollywood, Bobby ne tarde pas à tomber amoureux de la secrétaire de Phil, Vonnie, (Kristen Stewart). Malheureusement, cette dernière n'est pas libre et il doit se contenter de son amitié. Jusqu'au jour où elle débarque chez lui pour lui annoncer que son petit ami vient de rompre. Soudain, l'horizon s'éclaire pour Bobby et l'amour semble à portée de main…
Un film de Woody Allen comporte des incontournables, ce pour quoi on l’attend : la virtuosité de ses scènes d’ouverture qui vous embarquent en quelques mots et images et campent un ton et un univers (ici le Hollywood des années 30 dans une fastueuse villa), ses dialogues cinglants et savoureux qui suscitent un rire teinté de désenchantement (il excelle ici à nouveau dans l’exercice), des personnages qui sont comme le double du cinéaste (Jesse Eisenberg en l’occurrence qui emprunte son phrasé, sa démarche, sa gestuelle), des personnages brillamment dessinés, le jazz ( dont la tristesse sous-jacente à ses notes joyeuses fait écho à la joie trompeuse des personnages), des pensées sur la vie, l’amour, la mort, une mise en scène élégante ici sublimée par la photographie du chef opérateur triplement oscarisé Vittorio Storaro (pour « Apocalypse now », « Reds », « Le dernier empereur ») qui travaille ici pour la première fois avec Woody Allen, et pour la première fois en numérique.
Ajoutez à cela la grâce et l’intelligence de jeu de Kristen Stewart, des seconds rôles excellents et excellemment écrits, la voix de Woody Allen narrateur et vous obtiendrez un film qui, s’il n’est pas le meilleur de Woody Allen, possède un charme nostalgique et une écriture d’une précision redoutable.
Woody Allen fait dire à un de ses personnages « Il sait donner au drame une touche de légèreté » alors pour le paraphraser disons qu’ici Woody Allen sait donner à la légèreté une touche de drame. Plus que la chronique acide sur Hollywood que le film aurait pu être (qu’il qualifie tout de même de « milieu barbant, hostile, féroce »), c’est surtout un nouvel hommage à la beauté incendiaire de New York empreint d'une féroce nostalgie du Hollywood et du New York des années 1930 mais aussi celle des amours impossibles. Une scène vaudevillesque digne de Lubitsch et une autre romantique à Central Park et bien sûr le dénouement valent le voyage sans oublier ces quelques réjouissantes citations:
" La vie est une comédie écrite par un auteur sadique."
« Vis chaque jour comme le dernier, un jour ça le sera. »
« Tu me fais penser à un chevreuil pris dans les phares d’une voiture. »
« Tu es trop idiot pour comprendre ce que la mort implique .»
« C’est bête que les Juifs ne proposent pas de vie après la mort, ils auraient plus de clients. »
« L’amour sans retour fait plus de victimes que la tuberculose. »
Le dernier film avec lequel Woody Allen avait ouvert le festival de Cannes, « Minuit à Paris » était une déclaration d’amour à Paris, au pouvoir de l’illusion, de l’imagination, à la magie de Paris et du cinéma qui permet de croire à tout, même qu’il est possible au passé et au présent de se rencontrer et s’étreindre, le cinéma évasion salutaire « dans une époque bruyante et compliquée », ce film-ci est plus empreint de pessimisme, de renoncement mais c’est notre cœur qu’il étreint, une fois de plus… Le film idéal pour l’ouverture. Espérons que le festival sera aussi solaire que la photographie de "Café Society" et ce New York et cet Hollywood nimbés de lueurs crépusculaires d’une beauté hypnotique, un peu à l'image de celles de la Croisette depuis le club by Albane où s'est achevée cette première soirée en attendant le début de la compétition officielle. A suivre!
A J-43 de l’ouverture du 69ème Festival de Cannes et quelques jours après qu’ait été dévoilée sa sublime et incandescente affiche de cette édition 2016 (cf mon article, ici), vient d’être annoncé le film qui fera l’ouverture et qui, pour mon plus grand plaisir, sera « Café Society » de Woody Allen. « Café Society » sera projeté mercredi 11 mai dans le Grand Théâtre Lumière du Palais des Festivals, en Sélection officielle Hors Compétition. Un record pour le réalisateur new-yorkais qui avait déjà ouvert le Festival en 2002 avec « Hollywood Ending » et en 2011 avec « Midnight in Paris », une ouverture à laquelle j’avais eu le plaisir d’assister et dont je propose de retrouver mon compte rendu, avec le critique du film, ci-dessous, ainsi que mes 9 autres critiques de films de Woody Allen.
Voici le communiqué de presse officiel du Festival à ce sujet:
Le film « Café Society » raconte l’histoire d’un jeune homme qui se rend à Hollywood dans les années 1930 dans l’espoir de travailler dans l’industrie du cinéma, tombe amoureux et se retrouve plongé dans l’effervescence de la Café Society qui a marqué cette époque. Deux acteurs de la génération montante à Hollywood, Kristen Stewart et Jesse Eisenberg, sont au cœur de Café Society, porté par un casting prestigieux qui réunit Steve Carell, Parker Posey et Blake Lively. À Cannes, Kristen Stewart a monté les Marches en 2012 pour On the Road (Sur la route) de Walter Salles et en 2014 pour Sils Maria d’Olivier Assayas, film pour lequel elle a obtenu un César. De son côté, Jesse Eisenberg jouait dans Back Home (Louder than Bombs) de Joachim Trier en Compétition l’année dernière.
Pour ce film, Woody Allen a également collaboré avec le grand directeur de la photographie Vittorio Storaro, membre du Jury des longs métrages en 1991 et trois fois oscarisé pour Apocalypse Now de Francis Ford Coppola en 1980, Reds de Warren Beatty en 1982 et Le Dernier Empereur de Bernardo Bertolucci en 1988.
De « Manhattan » en 1979 à « L’Homme irrationnel » en 2015, c’est la quatorzième sélection Hors Compétition à Cannes du réalisateur, scénariste, acteur, écrivain et humoriste américain. Prolifique cinéaste de ces quarante dernières années, Woody Allen, né le 1er décembre 1935 à New York, réalise presque un film par an depuis les années 1970. Issu d’une famille juive d’origine russo-autrichienne, il est aussi clarinettiste de jazz. Sa carrière au cinéma s’ouvre en 1965 avec Quoi de neuf, Pussycat ?, qu’il écrit et interprète. Sa première réalisation, Lily la tigresse sort en 1966. Très vite, il joue dans ses films. Oscarisé à quatre reprises (Annie Hall en 1978, « Hannah et ses sœurs » en 1987 et Minuit à Paris en 2012), Woody Allen compte également vingt autres nominations à la célèbre récompense qu’il n’est jamais allé chercher. Manhattan, « Match Point », Prends l’oseille et tire-toi, « Vicky Cristina Barcelona », « La Rose pourpre du Caire » ou Harry dans tous ses états figurent parmi ses autres succès.
Café Society est produit par Letty Aronson (Gravier Productions), Stephen Tenenbaum et Edward Walson, en coproduction avec Helen Robin (Perdido Productions) et grâce à la production exécutive de Ronald L. Chez, Adam B. Stern, et Marc I. Stern. Le film est vendu par FilmNation Entertainment et distribué sur le territoire français par Mars Films.
En France, sa sortie en salles coïncidera avec l’ouverture du Festival de Cannes, le mercredi 11 mai 2016.
La cérémonie d’ouverture, présentée par Laurent Lafitte, sera retransmise par Canal +.
Le 69e Festival International du Film se déroulera du 11 au 22 mai 2016. Le Jury de la Compétition sera présidé par George Miller. La composition de la Sélection officielle sera annoncée le jeudi 14 avril prochain.
Retrouvez, ci-dessous, les 10 critiques suivantes:
1/ Critique de « Minuit à Paris » et article suite à la projection du film en ouverture du Festival de Cannes 2011
2/ Critique de « Blue Jasmine » de Woody Allen (présenté à Deauville dans le cadre de l’hommage à Cate Blanchett, l’an passé)
3/Avant-première de « To Rome with love »- Critique du film et rencontre avec Woody Allen, interview (audio)
/ La trilogie londonienne de Woody Allen
4/ Critique de « Match point »
5/ Critique du « Rêve de Cassandre »
6/ Critique de « Scoop »
7/ Critique de « Vicky Cristina Barcelona »
8/ Critique de « Whatever works »
9/ Critique de « Vous allez rencontre un bel et sombre inconnu » et vidéos de Woody Allen en ouverture du Festival Paris Cinéma
10/ Critique de « Magic in the moonlight » de Woody Allen
Critique de « Minuit à Paris » de Woody Allen (cet article ci-dessous a été publié en Mai 2011, suite à la projection du film au Festival de Cannes, en ouverture)
Hier après-midi, à peine descendue du train de 14H51 dans lequel tout le monde ne parlait déjà que cinéma, après un véritable marathon : marathon pour aller chercher mon accréditation, sans prendre le temps de regarder la façade rajeunie du palais des festival, marathon pour répondre à quelques questions de France 3 pour un documentaire sur les coulisses du festival (je vous en reparlerai), marathon pour aller chercher mon invitation pour l’ouverture, et marathon pour monter les marches aussi rapidement que me le permettaient ma robe longue et mes talons d’un nombre de centimètres indécent en essayant d’oublier que, bien évidemment, à ce moment-là, je me retrouvais seule sur le tapis rouge soudain interminable, en essayant de donner l’air de ne pas voir les dizaines de caméras et de photographes braqués sur ledit tapis rouge, et potentiellement sur moi, et que si certes le ridicule d’une chute éventuelle ne tue pas, il peut tout de même blesser l’amour propre, oui après tout cela en un espace temps de 1H30, et en ayant à peine eu le temps de réaliser et de me cogner au soleil, à la foule, à l’irréalité cannoise, j’étais à nouveau dans ce Grand Théâtre Lumière, lieu de tant de souvenirs de vie et de cinéma.
Je me retrouvais là, surprise mais ravie d’être émue à nouveau en entendant « Le Carnaval des animaux » de Saint-Saëns qui accompagne la montée des marches de l’équipe du film. Je me retrouvais là à frissonner en entendant le générique de l’ouverture que tant d’années j’ai regardé devant mon petit écran, avant tant d’années ensuite de l’entendre en direct dans la salle vertigineuse du Grand Théâtre Lumière. D’ailleurs, je n’ai pas arrêté de frissonner pendant cette cérémonie d’ouverture…
J’ai frissonné de joie à l’idée d’être à nouveau là où bat le cœur du cinéma mondial, avec tant de vitalité et de passion, et d’excès. J’ai frissonné de bonheur cinématographique en découvrant ce bijou de cinéma qui a précédé la cérémonie : une version couleur peinte à la main du « Voyage dans la lune » de Méliès de 1902 sur une musique de Air, une version restaurée dont Serge Bromberg a été l’artisan (qui déjà avait restauré ce chef d’œuvre inachevé de Clouzot : « L’Enfer »). Moment magique concentrant toute la beauté, la richesse, la modernité, la puissance du cinéma.
Puis, j’ai frissonné de peur pour Mélanie Laurent, seule face à cette foule impitoyable parmi laquelle un grand nombre attendait sans doute le faux pas qu’elle a magistralement évité, radieuse, arrivant à paraître spontanée, faisant même esquisser quelques pas de danse à Uma Thurman.
J’ai frissonné d’émotion en revoyant les images des films de Robert De Niro longuement ovationné par la salle, debout, (« Quand on cherche le mot acteur dans le dictionnaire, il y a écrit Robert de Niro » a dit Mélanie Laurent), Robert de Niro accompagné pour ce jury 2011 de : la productrice chinoise Nansun Shi, l’écrivaine norvégienne Linn Ullmann, l’Américaine Uma Thurman, le Britannique Jude Law, le Français Olivier Assayas, le Tchadien Mahamat Saleh Haroun, la productrice argentine Martina Gusman du Hongkongais Johnnie To.
J’ai à nouveau frissonné d’émotion en entendant le chanteur Jamie Cullum rendre un hommage musical à Robert de Niro, avec une version remixée de «New York, New York», mélange de New-York New-York de Frank Sinatra et de NewYork d’Alicia Keys, fortement taraudée par l’envie d’esquisser quelques pas de danse, moi aussi (mais je n’avais ni Robert, ni Uma, à portée de main, moi).
J’ai frissonné d’impatience et de jubilation en voyant les extraits des films de la sélection officielle. De mémoire de festivalière cannoise, rarement elle aura été si diversifiée, prometteuse, alléchante. Emotion encore quand Gilles Jacob, l’homme pour qui le Festival et la vie « passent comme un rêve », avec son humour décalé et pince sans-rire, a rendu hommage au cinéaste italien Bernardo Bertolucci qui a reçu une palme d’honneur (nouveauté de cette édition 2011), avant d’ouvrir le festival en dédiant notamment sa palme à « tous les Italiens qui ont encore la force de lutter, critiquer, s’indigner. »
J’ai enfin frissonné d’émerveillement devant ce nouveau et 42ème Woody Allen qui décidément, ne cessera jamais de m’enchanter.
Après que cette cérémonie d’ouverture ait célébré New York, ville natale du président du jury de cette 64ème édition, c’était donc au tour du cinéaste qui a lui aussi si souvent sublimée « Big apple » de nous présenter son dernier film. D’ailleurs, en voyant les premières images de « Minuit à Paris » on songe à celles de « Manhattan », Woody Allen sublimant ainsi l’une et l’autre sans retenue. Cela commence comme un défilé de cartes postales en formes de clichés sur Paris, en réalité un trompe l’œil.
Il est alors aisé de comprendre pourquoi Woody Allen voulait que rien ne soit dévoilé sur son film dont le synopsis officiel ne laissait rien soupçonner : un jeune couple d’Américains (incarné par Owen Wilson et Rachel McAdams) dont le mariage est prévu à l’automne se rend pour quelques jours à Paris. La magie de la capitale ne tarde pas à opérer, tout particulièrement sur le jeune homme amoureux de la Ville-lumière et qui aspire à une autre vie que la sienne.
Après quelques minutes (certes très drôles, grâce à des dialogues caustiques dans lesquels on retrouve le style inimitable de Woody Allen), l’espace d’une seconde j’ai senti poindre la déception. J’ai cru un instant que Woody Allen nous faisant une autre version de « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu » avec ce couple mal assorti dont l’homme est un scénariste hollywoodien qui se rêve romancier sans y parvenir.
Une seconde seulement. C’était oublier que Woody Allen est un génie, et un génie très malin, ce qu’il prouve ici une nouvelle fois magistralement. C’était oublier qu’à Minuit à Paris, tout est possible. Il nous embarque là où on ne l’attendait pas à l’image de son personnage principal qui se retrouve plongé dans les années 20, son âge d’or. A partir de là, chaque seconde est un régal. Empruntant au cinéaste les traits et mimiques du personnage lunaire que ce dernier incarne habituellement, Owen Wilson, chaque soir à minuit, se retrouve plongé dans les années 20 et confronté à Hemingway, Gertrud Stein (Kathy Bates), Fitzgerald, ( Francis Scott et Zelda), Pablo Picasso… Chaque rencontre est surprenante (et a d’ailleurs déridé les spectateurs du Grand Théâtre Lumière qui, en revanche, on mollement applaudi à la fin du film) et absolument irrésistible. Woody Allen s’amuse de leurs images, mais leur rend hommage, à eux aussi, peintres et écrivains. La vie, la passion qui les animent contrastent avec sa future fiancée matérialiste. Lui qui vit une expérience surréaliste les rencontre justement les Surréalistes (ce qui donne lieu à un dialogue absurde là aussi réjouissant, ces derniers trouvant son expérience surréaliste forcément parfaitement logique ).
Woody Allen, plus inventif et juvénile que jamais, joue et se joue des fantasmes d’une ville qu’il revendique ici d’idéaliser, ce Paris qui, à l’image du titre du roman d’Hemingway « est une fête », ce Paris où un écrivain ne peut écrire qu’au Café de Flore, ce Paris où passé et présent, rêve et réalité, littérature et peinture vous étourdissent.
Je ne veux pas trop vous en dire pour vous réserver l’effet de surprise. Un mot quand même sur la prestation de Carla Bruni-Sarkozy qui joue juste mais dont le rôle, se réduisant à quelques plans, ne méritait pas tout ce battage médiatique. Marion Cotillard, quant à elle, est lumineuse et mystérieuse, comme ce Paris qu’elle incarne pour le cinéaste.
Une déclaration d’amour à Paris, au pouvoir de l’illusion, de l’imagination, à la magie de Paris et du cinéma qui permet de croire à tout, même qu’il est possible au passé et au présent de se rencontrer et s’étreindre, le cinéma évasion salutaire « dans une époque bruyante et compliquée ».
Pour obtenir la formule magique, prenez une pincée de « Manhattan », une autre de « La rose pourpre du Caire », un zeste de Cendrillon, beaucoup de l’humour caustique de Woody Allen, vous obtiendrez ce petit joyau d’intelligence au scénario certes moins abouti que dans d’autres films du cinéaste, mais que la vitalité de l’écriture, sa malice et son regard enamouré (sur Paris avant tout ), et la beauté des images nous font oublier et pardonner. Woody Allen réenchante Paris, ville Lumière et ville magique où tout est possible surtout donner corps à ses rêves (dont Marion Cotillard est l’incarnation). Un film ludique, jubilatoire, au charme ensorcelant, d’une nostalgie joyeuse. Au passage, Woody Allen s’adresse à ceux pour qui c’était mieux avant et montre qu’on peut s’enrichir du passé pour glorifier la beauté du présent. Cette fois, fataliste, malicieux, plutôt que de s’interroger sur sa propre mort, il a préféré donner vie à ceux qui le sont, semblant nous dire : hé bien, rions et amusons-nous après tout.
Laissons le mot de la fin à Mélanie Laurent qui est aussi celui du début de ce festival après cette cérémonie d’ouverture qui moi aussi m’a transportée dans une autre époque et un ailleurs idéalisés, une cérémonie sous le signe de la cinéphilie, de la politique, de la magie, de la musique, de l’Histoire, et (fait plus rare) de la bonne humeur …à l’image de ce que sera sans doute cette 64ème édition. Oui, encore et toujours malgré les travers cannois que j’ai décidé de ne plus voir, oui, « Cannes c’est magique. » Et cette année plus que jamais.
CRITIQUE DE BLUE JASMINE DE WOODY ALLEN
« Blue Jasmine » a été projeté dans le cadre du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville 2013, projection précédée d’un hommage à l’actrice principale du film, Cate Blanchett et d’un discours du président du jury Vincent Lindon.
Jasmine est mariée avec Hal (Alex Baldwin), un homme d’affaires fortuné avec lequel elle vit dans une somptueuse demeure à New York. Sa vie va brusquement voler en éclats. Elle va alors quitter New York et la vie de luxe pour vivre chez sa sœur Ginger au mode de vie beaucoup plus modeste, celle-ci habitant dans un petit appartement de San Francisco et gagnant sa vie en tant que caissière de supermarché.
Après Barcelone, Londres, Paris et Rome, Woody Allen est donc de retour aux Etats-Unis. Comme à chaque fois, le lieu a une importance capitale. Le film commence d’ailleurs par un vol en avion. Jasmine est encore entre deux villes et deux vies. New York et San Francisco. Deux villes qui s’opposent, géographiquement, temporellement et socialement pour Jasmine puisque l’une représente le passé et la richesse, l’autre le présent et la pauvreté. Deux faces de son existence. Le film est d’ailleurs brillamment monté avec ces mêmes allers et retours dans le montage, et une alternance entre le présent et des flashbacks sur la vie passée de Jasmine. Après l’arrivée de Jasmine dans l’appartement de sa sœur ( « C’est chaleureux » dira-t-elle avec une douce condescendance), nous découvrons en flashback la première visite de Jasmine dans la magnifique propriété de Hal.
Chaque film de Woody Allen est une véritable leçon de scénario, sur la manière d’exposer une situation, de croquer un personnage, et surtout de traiter les sujets les plus graves avec une apparente légèreté, de passer d’un genre à l’autre. Surtout, ici magistralement, il illustre par la forme du film le fond puisque Jasmine ment constamment, y compris à elle-même, la réalisation mentant au spectateur pour nous donner une apparence de légèreté comme Jasmine cherche à s’en donner une. Toute sa vie est d’ailleurs basée sur un mensonge. Son mari est tombé amoureux de son prénom qui n’est pas vraiment le sien. L’intelligence de l’écriture se retrouve jusque dans le titre du film, finalement aussi un mensonge comme l’est toute la vie de Jasmine.
Woody Allen manie les paradoxes comme personne et y parvient une nouvelle fois avec une habileté déconcertante. Je ne suis pas forcément d’accord avec ceux pour qui c’est son meilleur film depuis « Match point », film au scénario parfait, audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu’à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d’un regard désabusé et d’une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un vrai chef d’œuvre. Depuis, il m’a enchantée avec chacun de ses films, même si certains furent moins réussis, et « Minuit à Paris » reste pour moi un de ses meilleurs : une déclaration d’amour à Paris, au pouvoir de l’illusion, de l’imagination, à la magie de Paris et du cinéma qui permet de croire à tout, même qu’il est possible au passé et au présent de se rencontrer et s’étreindre.
Mais revenons au don de scénariste de Woody Allen. Dès les premiers plans, nous comprenons que Jasmine ne va pas très bien, qu’elle est aussi volubile que perdue. Si Woody Allen manie savamment les paradoxes, il manie aussi les contrastes entre Ginger la brune et Jasmine la blonde, deux sœurs adoptées et diamétralement opposées.
Le vernis de Jasmine et son allure impeccable de blonde hitchcockienne se fissurent progressivement. Sa vie dorée (au propre comme au figuré, prédominance du jaune) va exploser. Le statut social est essentiel pour Jasmine et cette déchéance sociale va la plonger en pleine dépression. Snob, a priori antipathique, elle va finalement susciter notre empathie grâce au talent de Woody Allen qui va nous dresse son portrait et celui de sa vie d’avant en flashbacks.
Bien sûr, Cate Banchett avec ce rôle sur mesure, doit beaucoup à cette réussite. Elle parvient à nous faire aimer ce personnage horripilant, snob, condescendant, inquiétant même parfois mais surtout très seul, perdu, et finalement touchant. De ces personnes qui se révèlent plus complexes que leur apparente futilité voudrait nous le laisser croire, qui maquillent leurs failles derrière un culte de l’apparence et qu’il nous satisferait de croire seulement exaspérantes. Face à elle, Sally Hawkins est également parfaite.
Derrière une apparence de légèreté (jusque dans la musique), Woody Allen a finalement réalisé un de ses films les plus sombres, encore une fois d’une étonnante modernité, en phase avec son époque, aussi peu linéaire et aussi sinueux que son montage. Les dialogues sont cinglants, cruels et réjouissants. Le casting est irréprochable et par de discrets plans séquences Woody Allen nous rappelle qu’il n’est pas seulement un grand dialoguiste et scénariste mais aussi un immense metteur en scène qui, tout aussi discrètement, fait coïncider la forme et le fond.
Un dernier plan, finalement tragique, lève le voile sur la réalité de Jasmine, et les vraies intentions du cinéaste, notamment celle de dresser un magnifique portrait de femme, d’une époque aussi. Un film désenchanté, mélancolique, caustique, qui révèle finalement une nouvelle fois le don d’observation du cinéaste et sa capacité, en à révélant les failles de ses personnages, aussi détestables puissent-ils être parfois a priori, et nous les faire aimer.
Le prochain film de Woody Allen sera un film romantique tourné dans le Sud de la France et se déroulant dans les années 20. Vivement ! En attendant n’oubliez pas d’aller rencontrer Jasmine, à vos risques et périls.
Avant-première de « To Rome with love »- Critique du film et rencontre avec Woody Allen, interview (audio)
J’ai eu le plaisir de voir deux fois le nouveau film de Woody Allen en avant-première, « To Rome with love », et notamment lors de l’avant-première parisienne (vidéo ci-dessus) mais aussi de faire partie des heureux privilégiés à assister à sa conférence de presse, en petit comité, dans une suite de l’hôtel Bristol.
Si, lors de la conférence de presse, ses sourires et ses regards vers l’assistance étaient plus que parcimonieux (il n’aime pas particulièrement cet exercice promotionnel et semble surtout très timide, comme le démontrait aussi le geste machinal de ses mains se tordant nerveusement, mais qui pourrait l’en blâmer, surtout au regard de l’incongruité de certaines questions… ?), ses réponses étaient toujours intéressantes. Et en attendant d’avoir (qui sait ?) un jour l’opportunité de l’interviewer en tête-à-tête, cette conférence en petit groupe était déjà un moment rare que je suis heureuse de vous faire partager.
Un nouveau film de Woody Allen, aussi prolifique soit-il (45 films et quasiment un par an), est toujours et invariablement la garantie d’un moment d’évasion jubilatoire et tout invariablement d’une réflexion plus ou moins légère sur le sens de la vie. Après Londres, Barcelone, Paris ; il poursuit ses pérégrinations européennes avec la ville éternelle dont le joyeux désordre, l’effervescence et la vitalité communicative semblent si bien lui convenir et nous offre aussi le plaisir de le retrouver en tant qu’acteur, six ans après « Scoop », le dernier film dans lequel il a joué. Ville incandescente, bruyante, effervescente, agitée mais aussi imprégnée d’Histoire, de musique et de cinéma : Woody Allen ne pouvait pas ne pas poser sa caméra à Rome…
Les hasards et coïncidences auxquels se prête une ville majestueuse constamment en mouvement comme Rome sont prétextes à suivre quatre histoires, quatre rencontres : celle d’un jeune architecte américain (Jesse Eisenberg) avec la meilleure amie (Elle Page) de sa copine (et accessoirement la rencontre de celui-ci devenu adulte incarné par Alec Baldwin avec le jeune homme ou l’image du jeune homme qu’il fut) ; celle de Phyllis (Judy Davis) et Jerry (Woody Allen) avec les parents et le fiancé italien de leur fille ; celles de deux jeunes époux de province débarquant à Paris, rencontrant, pour l’un, une prostituée exubérante (Penelope Cruz) que sa famille prendra pour son épouse, pour l’autre une star du cinéma et enfin un père de famille « normal » (Roberto Benigni) qui, sans savoir pourquoi, suscitera l’intérêt des médias et l’hystérie à chacune de ses sorties…. Quatre histoires, quatre destins qui vacillent doucement lors de ces vacances romaines avant de retrouver leur « droit » chemin enrichis ou nostalgiques de ces rencontres impromptues.
Amoureux de Rome, du cinéma italien (il l’avait déjà montré dans « Stardust memories »), Woody Allen s’imprègne ici de la gaieté désordonnée et de la folie douce de l’un et l’autre, et sait comme personne partager cet amour (et son amour de l’amour) et surtout sait écrire et vous plonger dans une intrigue immédiatement avec une facilité (apparente) remarquable. Ici, cela commence avec un carabinieri romain qui s’adresse directement aux spectateurs (procédé cher à Woody Allen) et qui lui présente cette ville où vont se croiser ces regards, ces destins, ces désirs.
Une jeune touriste américaine demande son chemin à un charmant avocat italien et en quelques plans, Woody Allen nous raconte leur rencontre, les prémisses de leur histoire d’amour, leur mariage proche alors que d’autres y auraient consacré des minutes inutiles (là aussi procédé déjà utilisé par Woody Allen, notamment dans « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu »). Chacun de ses films, qu’ils soient graves ou plus légers comme celui-ci, sont ainsi des modèles d’écriture.
Il sait mêler comme personne légèreté et gravité, histoires d’amour et questionnements sur la mort (le père de la future fiancée travaille… dans les pompes funèbres). Comme il le dit dans le documentaire qui lui est consacré (et que je vous recommande vivement !), « Woody Allen, un documentaire » de Robert E.Weide, pour se distraire des questions sur le sens de la vie il réalise… des films sur le sens de la vie. Le miracle ou le talent ou l’élégance (sans doute les trois) proviennent du fait que, tout en nous renvoyant à nos propres questionnements, il nous (en) distrait aussi.
Certains lui ont reproché la légèreté de cette promenade romaine malgré les vicissitudes économiques et politiques de l’Italie, mais telle n’était pas l’ambition de Woody Allen que de faire un film social ; il cherche au contraire à nous divertir, ce qu’il réussit brillamment avec des dialogues caustiques, des personnages finalement touchants dans leurs faiblesses ou leurs défauts (l’égocentrisme ou les mensonges des acteurs) et les travers de notre société (la célébrité qui devient une aspiration et une qualité en soi. « Reality » de l’Italien Matteo Garrone, grand prix du jury du dernier Festival de Cannes, traite d’ailleurs aussi magistralement du sujet). Chacun de ses personnages dépend du regard que leur portent celui, celle ou ceux qui les aiment et le regard enamouré travestit souvent la réalité à son avantage et toute la malice de Woody Allen est, soit par la manière de poser la caméra, soit par la manière dont se croisent les histoires, de nous dévoiler leurs vrais visages sans les rendre vraiment antipathiques. Et évidemment de ce décalage de regards proviennent (aussi) les situations comiques.
Comme avec « Minuit à Paris », il revendique d’idéaliser et de jouer avec les fantasmes de Rome, sublimée ici par la photographie de Darius Khondji.
Comme d’habitude, le casting est remarquable, notamment Penelope Cruz en prostituée mais aussi des acteurs moins connus comme le jeune Fabio Armiliata qui emprunte au cinéaste les traits et mimiques du personnage lunaire que ce dernier incarne habituellement (tout comme d’ailleurs Jesse Eisenberg). Des personnages que nous quittons avec regrets, un peu de frustration aussi de ne pas les voir davantage, tant chacune des 4 histoires pourrait se prêter à un film entier mais le sentiment distrayant de légèreté provient justement de cet heureux mélange.
Nous retrouvons bien entendu ses thématiques de prédilection : questionnement sur la mort, l’absurdité de l’existence, goût pour l’opéra (évidemment d’autant plus à Rome, lequel opéra donne lieu à une scène mémorable), infidélité, hasards…mais à ceux qui lui reprochent de faire toujours le même film je répondrai que, d’un côté, au contraire, chacun de ses films fourmille d’inventivité, de nouveautés, que « Match point », par exemple, est aussi différent que possible de ses derniers films, et montre à quel point il est à l’aise dans n’importe quel genre (je mets quiconque au défi de deviner qu’il s’agit d’un film de Woody Allen s’il l’ignore au préalable) et que, d’un autre côté, le signe distinctif d’un grand cinéaste est justement que ses films possèdent des points communs qui rendent son style immédiatement identifiable comme des dialogues savoureux ou la lucidité joyeusement mélancolique, pour Woody Allen.
Si « To Rome with love » n’atteint pas le niveau de « Manhattan », « La Rose poupre du Caire », « Match point » (pour moi un modèle d’écriture scénaristique, le scénario parfait dont vous pouvez retrouver ma critique en cliquant ici ainsi que de 7 autres films de Woody Allen dans le « dossier » que je lui ai consacré), Woody Allen une nouvelle fois a l’élégance de nous distraire en nous emmenant dans une promenade réjouissante qui nous donne envie de voyager, de vivre, de prendre la gravité de l’existence avec légèreté, de tomber amoureux, de savourer l’existence et ses hasards et coïncidences, et surtout de voir le prochain film de Woody Allen et de revoir les précédents. C’est sans doute la raison pour laquelle, avec notamment Claude Sautet, il fait partie de mes cinéastes de prédilection car, comme les films de ce dernier, ses films « font aimer la vie ».
Alors, si Woody Allen avoue ne pas savoir envoyer d’emails, chacun de ses films n’en est pas moins, à l’image de ceux d’ Alain Resnais, la preuve de sa modernité, de la jeunesse de son regard et de son esprit. Embarquez dès à présent pour ces vacances romaines qui prouvent une nouvelle fois que le cinéma, que son cinéma, est une évasion salutaire « dans une époque bruyante et compliquée » (ainsi était-elle qualifiée dans « Minuit à Paris ») .
« To Rome with love » est un peu comme ces pâtisseries dégustées en l’attendant pour la conférence de presse, des pâtisseries au goût sucré, vous procurant un plaisir immédiat et en apparence éphémère, mais vous en laissant le souvenir tel, malgré leur douceur, que vous n’avez qu’une envie : les déguster à nouveau.
“J’ai fait 45 films. Il y en a entre 6 et 8 que je trouve merveilleux: « La rose pourpre du Caire », « Maris et femmes », « Match point » a-t-il déclaré lors de la conférence de presse. « Je n’ai pas d’ambition particulière sauf de faire un grand film. Mon but est de faire un magnifique film. J’ai 76 ans maintenant. Je ne pense pas que ça va arriver mais je continue d’essayer… « Le voleur de bicyclette ». « 8 ½. » « Le septième sceau. » « La grande illusion. » Ces films sont supérieurs à la plupart des films. Je voudrais faire un film qui entre dans cette catégorie. »
Je vous laisse écouter le reste…Désolée pour la mauvaise qualité du son qui n’entachera en rien, je pense, celle des propos du cinéaste dont les propos restent audibles ainsi que leur traduction… (attendez environ 20 secondes pour le début de l’interview).
Un film de Woody Allen comme le sont ceux de la plupart des grands cinéastes est habituellement immédiatement reconnaissable, notamment par le ton, un humour noir corrosif, par la façon dont il (se) met en scène, par la musique jazz, par le lieu (en général New York).
Cette fois il ne s’agit pas d’un Juif New Yorkais en proie à des questions existentielles mais d’un jeune irlandais d’origine modeste, Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer), qui se fait employer comme professeur de tennis dans un club huppé londonien. C’est là qu’il sympathise avec Tom Hewett (Matthew Goode), jeune homme de la haute société britannique avec qui il partage une passion pour l’opéra. Chris fréquente alors régulièrement les Hewett et fait la connaissance de Chloe (Emily Mortimer), la sœur de Tom, qui tombe immédiatement sous son charme. Alors qu’il s’apprête à l’épouser et donc à gravir l’échelle sociale, il rencontre Nola Rice (Scarlett Johansson), la pulpeuse fiancée de Tom venue tenter sa chance comme comédienne en Angleterre et, comme lui, d’origine modeste. Il éprouve pour elle une attirance immédiate, réciproque. Va alors commencer entre eux une relation torride…
Je mets au défi quiconque n’ayant pas vu le nom du réalisateur au préalable de deviner qu’il s’agit là d’un film de Woody Allen, si ce n’est qu’il y prouve son génie, dans la mise en scène, le choix et la direction d’acteurs, dans les dialogues et dans le scénario, « Match point » atteignant d’ailleurs pour moi la perfection scénaristique.
Woody Allen réussit ainsi à nous surprendre, en s’affranchissant des quelques « règles » qui le distinguent habituellement : d’abord en ne se mettant pas en scène, ou en ne mettant pas en scène un acteur mimétique de ses tergiversations existentielles, ensuite en quittant New York qu’il a tant sublimée. Cette fois, il a en effet quitté Manhattan pour Londres, Londres d’une luminosité obscure ou d’une obscurité lumineuse, en tout cas ambiguë, à l’image du personnage principal, indéfinissable.
Dès la métaphore initiale, Woody Allen nous prévient (en annonçant le thème de la chance) et nous manipule (pour une raison que je vous laisse découvrir), cette métaphore faisant écho à un rebondissement (dans les deux sens du terme) clé du film. Une métaphore sportive qu’il ne cessera ensuite de filer : Chris et Nola Rice se rencontrent ainsi autour d’une table de ping pong et cette dernière qualifie son jeu de « très agressif »…
« Match point » contrairement à ce que son synopsis pourrait laisser entendre n’est pas une histoire de passion parmi d’autres (passion dont il filme d’ailleurs et néanmoins brillamment l’irrationalité et la frénésie suffocante que sa caméra épouse) et encore moins une comédie romantique (rien à voir avec « Tout le monde dit I love you » pour lequel Woody Allen avait également quitté les Etats-Unis) ; ainsi dès le début s’immisce une fausse note presque imperceptible, sous la forme d’une récurrente thématique pécuniaire, symbole du mépris insidieux, souvent inconscient, que la situation sociale inférieure du jeune professeur de tennis suscite chez sa nouvelle famille, du sentiment d’infériorité que cela suscite chez lui mais aussi de sa rageuse ambition que cela accentue ; fausse note qui va aller crescendo jusqu’à la dissonance paroxystique, dénouement empruntant autant à l’opéra qu’à la tragédie grecque. La musique, notamment de Verdi et de Bizet, exacerbe ainsi encore cette beauté lyrique et tragique.
C’est aussi le film des choix cornéliens, d’une balle qui hésite entre deux camps : celui de la passion d’un côté, et de l’amour, voire du devoir, de l’autre croit-on d’abord ; celui de la passion amoureuse d’un côté et d’un autre désir, celui de réussite sociale, de l’autre (Chris dit vouloir « apporter sa contribution à la société ») réalise-t-on progressivement. C’est aussi donc le match de la raison et de la certitude sociale contre la déraison et l’incertitude amoureuse.
A travers le regard de l’étranger à ce monde, Woody Allen dresse le portrait acide de la « bonne » société londonienne avec un cynisme chabrolien auquel il emprunte d’ailleurs une certaine noirceur et une critique de la bourgeoisie digne de La cérémonie que le dénouement rappelle d’ailleurs. Le talent du metteur en scène réside également dans l’identification du spectateur au (anti)héros et à son malaise croissant qui trouve finalement la résolution du choix cornélien inéluctable, aussi odieuse soit-elle. En ne le condamnant pas, en mettant la chance de son côté, la balle dans son camp, c’est finalement notre propre aveuglement ou celui d’une société éblouie par l’arrivisme que Woody Allen stigmatise. Parce-que s’il aime (et d’ailleurs surtout désire) la jeune actrice, Chris aime plus encore l’image de lui-même que lui renvoie son épouse : celle de son ascension. Il y a aussi du Renoir dans ce Woody Allen là qui y dissèque les règles d’un jeu social, d’un match fatalement cruel ou même du Balzac car rarement le ballet de la comédie humaine aura été aussi bien orchestré.
Woody Allen signe un film d’une férocité jubilatoire, un film cynique sur l’ironie du destin, l’implication du hasard et de la chance. Un thème que l’on pouvait notamment trouver dans « La Fille sur le pont » de Patrice Leconte. Le fossé qui sépare le traitement de ce thème dans les deux films est néanmoins immense : le hiatus est ici celui de la morale puisque dans le film de Leconte cette chance était en quelque sorte juste alors qu’elle est ici amorale, voire immorale, …pour notre plus grand plaisir. C’est donc l’histoire d’un crime sans châtiment dont le héros, sorte de double de Raskolnikov, est d’ailleurs un lecteur assidu de Dostoïevski (mais aussi d’un livre sur Dostoïevski, raison pour laquelle il épatera son futur beau-père sur le sujet), tout comme Woody Allen à en croire une partie la trame du récit qu’il lui « emprunte ».
Quel soin du détail pour caractériser ses personnages, aussi bien dans la tenue de Nola Rice la première fois que Chris la voit que dans la manière de Chloé de jeter négligemment un disque que Chris vient de lui offrir, sans même le remercier . Les dialogues sont tantôt le reflet du thème récurrent de la chance, tantôt d’une savoureuse noirceur (« Celui qui a dit je préfère la chance au talent avait un regard pénétrant sur la vie », ou citant Sophocle : « n’être jamais venu au monde est peut-être le plus grand bienfait »…). Il y montre aussi on génie de l’ellipse (en quelques détails il nous montre l’évolution de la situation de Chris…).
Cette réussite doit aussi beaucoup au choix des interprètes principaux : Jonathan Rhys-Meyer qui interprète Chris, par la profondeur et la nuance de son jeu, nous donnant l’impression de jouer un rôle différent avec chacun de ses interlocuteurs et d’être constamment en proie à un conflit intérieur ; Scarlett Johansson d’une sensualité à fleur de peau qui laisse affleurer une certaine fragilité (celle d’une actrice en apparence sûre d’elle mais en proie aux doutes quant à son avenir de comédienne) pour le rôle de Nola Rice qui devait être pourtant initialement dévolu à Kate Winslet ; Emily Mortimer absolument parfaite en jeune fille de la bourgeoisie londonienne, naïve, désinvolte et snob qui prononce avec la plus grande candeur des répliques inconsciemment cruelles(« je veux mes propres enfants » quand Chris lui parle d’adoption …). Le couple que forment Chris et Nola s’enrichit ainsi de la fougue, du charme électrique, lascif et sensuel de ses deux interprètes principaux.
La réalisation de Woody Allen a ici l’élégance perfide de son personnage principal, et la photographie une blancheur glaciale semble le reflet de son permanent conflit intérieur.
Le film, d’une noirceur, d’un cynisme, d’une amoralité inhabituels chez le cinéaste, s’achève par une balle de match grandiose au dénouement d’un rebondissement magistral qui par tout autre serait apparu téléphoné mais qui, par le talent de Woody Allen et de son scénario ciselé, apparaît comme une issue d’une implacable et sinistre logique et qui montre avec quelle habileté le cinéaste a manipulé le spectateur (donc à l’image de Chris qui manipule son entourage, dans une sorte de mise en abyme). Un match palpitant, incontournable, inoubliable. Un film audacieux, sombre et sensuel qui mêle et transcende les genres et ne dévoile réellement son jeu qu’à la dernière minute, après une intensité et un suspense rares allant crescendo. Le témoignage d’un regard désabusé et d’une grande acuité sur les travers et les blessures de notre époque. Un chef d’œuvre à voir et à revoir !
« Match point » est le premier film de la trilogie londonienne de Woody Allen avant « Scoop » et « Le rêve de Cassandre ».
Critique – « Le rêve de Cassandre »: crime et châtiments
Deux frères désargentés mais ambitieux, surtout l’un d’eux, Ian, incarné par Ewan McGregor, s’offrent un voilier au-dessus de leurs modestes moyens, ils le baptisent « Cassandra’s Dream », titre aussi prémonitoire que les prophéties tragiques de ladite Cassandre dans l’Antiquité. Ian travaille dans le restaurant de leurs parents tandis que son frère Terry travaille dans un garage. Ian tombe amoureux d’Angela, comédienne de son état et surtout ambitieuse. Pour satisfaire leurs ambitions, Terry va s’endetter considérablement au jeu et Ian va se donner des airs de riche investisseur pour la séduire. Leur seul moyen de s’en sortir c’est l’oncle Howard (Tom Wilkinson) qui a fait fortune en Californie, l’emblème de la réussite sociale de la famille que leur mère ne cesse de citer en exemple. En contrepartie de son aide financière il leur propose un macabre marché : tuer un homme…
Aller voir un film de Woody Allen c’est un peu comme pour Cécilia (non pas celle-là, mais celle incarnée par Mia Farrow…) qui revoit inlassablement « La Rose Pourpre du Caire » dans le film éponyme, c’est y aller les yeux fermés avec la promesse d’un voyage cynique ou comique, léger ou grave, parfois tout cela à la fois, mais un voyage en tout cas surprenant et captivant. Ce « Rêve de Cassandre » qui apporte encore une nouvelle pierre à l’édifice qu’est la filmographie fascinante et hétéroclite de Woody Allen, ne déroge pas à la règle. Il s’inscrit dans la lignée des films les plus noirs du cinéaste et apporte encore quelque chose de nouveau.
D’abord, il y excelle dans l’art de l’ellipse. Là où chez d’autres cinéastes cela constituerait une faiblesse scénaristique frustrante pour le spectateur, cela rend ici la logique machiavélique encore plus implacable et le récit encore plus limpide. Rien n’est superflu. En un plan, en un geste filmé avec une apparente désinvolture (le père qui trébuche, dans un coin de l’écran, comme ça, mine de rien mais quand même, un regard désarçonné ou appuyé etc) il dépeint magnifiquement un personnage et surtout ses faiblesses. Si Woody Allen s’est toujours intéressé aux travers humains, il ne se cache plus derrière le masque de l’humour. C’est ici un film sombre qui se revendique comme tel.
Woody Allen est toujours un virtuose de la réalisation : ici, pas de mouvements de caméras démonstratifs mais une composition du cadre qui sert admirablement l’intrigue et qui, sans avoir l’élégance revendiquée et signifiante de « Match point », n’en est pas moins soignée. La réalisation, les indices scénaristiques sont moins tonitruants que dans « Match point » mais ils s’enchaînent avec une évidence édifiante. Pas de tonitruance non plus dans les références antiques (Médée, Cassandre) judicieusement distillées.
Le propos est tout aussi cruel, cynique, voire lucide que dans « Match point ». Le moteur est aussi le même : l’ambition, l’ascension sociale, l’amoralité, savoureuse pour le spectateur. Et si Woody Allen n’est pas Ken Loach il place ce film dans un milieu social moins favorisé que celui dans lequel se situent habituellement ses films, et cela sonne tout aussi juste. Les règles du jeu social, les désirs irrépressibles de revanche sociale et les multiples ressources scénaristiques de leurs conséquences l’intéressent toujours autant, quel que soit le pays ou le milieu social.
Comme dans « Match point », il est question de chance, de malchance surtout ici, de culpabilité, d’ambition dévastatrice. « Match point » était un crime sans châtiment, c’est d’ailleurs ce qui le rendait en partie si passionnant et jubilatoire, c’est l’inverse qui rend « Le rêve de Cassandre » prenant: c’est un crime avec châtiments. Ajoutez à cela un Ewan McGregor aveuglé par son ambition avec un air faussement irréprochable et un Colin Farrell que la nervosité, l’emprise du jeu –dans les deux sens du terme d’ailleurs-, rendent presque méconnaissable, faillible et crédible en être faillible (pas de super héros chez Woody ) en proie aux remords et aux doutes, tous deux parfaits dans leurs rôles respectifs, une musique lancinante (de Philip Glass) suffisamment inquiétante, et vous obtiendrez un « Rêve de Cassandre » délicieusement cauchemardesque. Embarquez sans plus attendre !
Critique de « Scoop » de Woody Allen
Après Match point, perfection du genre, film délicieusement immoral au scénario virtuose totalement et magnifiquement scénarisé en fonction de son dénouement et de la balle de match finale, quel film pouvait donc bien ensuite réaliser Woody Allen ? Evidemment pas un film noir qui aurait inévitablement souffert de la comparaison. Si, à l’image de Match point, Woody Allen a de nouveau délaissé New York -qu’il a tellement sublimée et immortalisée- pour Londres, si comme dans Match point, il a de nouveau eu recours à Scarlett Johansson comme interprète principale, il a donc néanmoins délaissé le film noir pour retourner à la comédie policière à l’image d’Escrocs mais pas trop ou du Sortilège du scorpion de Jade. Si le principal atout de Match point était son scénario impeccable, c’est ailleurs qu’il faut aller chercher l’intérêt de ce Scoop.
L’intrigue est ainsi délibérément abracadabrantesque et improbable. Le célèbre journaliste d’investigation Joe Strombel, arrivé au Purgatoire, y rencontre la secrétaire de l’aristocrate Peter Lyman, également politicien à l’image irréprochable de son état. Elle lui révèle qu’elle aurait été empoisonnée par ce dernier après avoir découvert que Peter serait en réalité le tueur en série surnommé « le Tueur au Tarot » qui terrorise Londres. Professionnel et avide de scoops jusqu’à la mort et même après, Joe Strombel, va se matérialiser à une jeune étudiante en journalisme (et accessoirement en orthodontie), la jeune Sondra (Scarlett Johansson) lorsqu’elle est enfermée dans une boîte lors du tour de magie de l’Américain Splendini (Woody Allen). Croyant avoir trouvé le scoop du siècle elle décide de faire la connaissance de Peter Lyman (charismatique et mystérieux Hugh Jackman) pour le démasquer, avec, comme « perspicace » collaborateur, Splendini. Evidemment elle va tomber amoureuse (de Peter Lyman, pas de Woody, celui-ci ayant ici renoncé au rôle de l’amoureux, dans un souci de crédibilité, ou dans un sursaut de lucidité, pour jouer celui du protecteur). Elle n’aurait peut-être pas dû…
Woody Allen est donc passé de la noirceur à la légèreté. C’est agréable la légèreté, aussi, surtout après la noirceur, aussi parfaite soit-elle. Woody Allen nous revient aussi en tant qu’acteur, fidèle à lui-même, balbutiant, maladroit, chaplinesque, woodyallenesque plutôt, adepte de l’ironie et de l’autodérision, et narcissique de religion (si, si, vous verrez, ça existe). Intrigue abracadabrantesque donc mais c’est aussi ce qui fait le charme de ce scoop. Preuve que légèreté et noirceur ne sont pas totalement incompatibles, Woody Allen a saupoudré son scoop d’humour exquisément noir avec notamment une mort presque sympathique en grande faucheuse embarquant ses défunts et bavards voyageurs. Woody Allen lui aussi nous embarque, dans un jeu, dans son jeu. Il ne nous trompe pas. Nous en connaissons les règles, les codes du genre : la désinvolture et la loufoquerie sont de mise.
La mise en scène reste cependant particulièrement soignée, Scarlett Johansson est de nouveau parfaite, cette fois en étudiante naïve et obstinée. Comme la plupart des bonnes comédies, ce Scoop fonctionne sur les contrastes d’un duo impossible, celui de la journaliste écervelée et obstinée et de son protecteur farfelu. Certes, vous n’explosez pas de rire mais vous avez constamment le sourire aux lèvres entraînés par l’entrain communicatif et l’humour décalé de Woody Allen qui montre à nouveau que l’on peut être un réalisateur particulièrement prolifique sans rien perdre de son enthousiasme et de sa fraîcheur. Une bonne humeur tenace et contagieuse vaut après tout mieux qu’un rire explosif, non ?
Un film rythmé, léger, burlesque, ludique à la mise en scène soignée avec une touche d’humour noir même si on peut regretter que la morale soit sauve et même si on peut donc regretter l’immoralité jubilatoire de Match point. Ce scoop-là n’est ni sidérant, ni inoubliable, mais néanmoins il vaut la peine d’être connu.
CRITIQUE DE VICKY CRISTINA BARCELONA
Quoiqu’il advienne, quel que soit le sujet, je ne manque JAMAIS un film de Woody Allen et ils sont peu nombreux ces réalisateurs dont chaque film recèle une trouvaille, dont chaque film est une réussite (même si certains évidemment sont meilleurs que d’autres, ou plus légers que d’autres), une véritable gageure quand on connaît la productivité de Woody Allen qui sort quasiment un film par an.
Imaginez donc mon désarroi d’avoir manqué celui-ci au dernier Festival de Cannes (non, vous ne pouvez pas : c’est insoutenable surtout sachant que mes acolytes festivaliers en sortaient tous le sourire aux lèvres, réjouis et un brin narquois envers ma malchance…) et mon impatience de le voir dès sa sortie en salles. Je me demande comment j’ai pu attendre trois jours après sa sortie surtout sachant que, dans mon impatience, je pensais qu’il sortait la semaine dernière… Bref, alors ce dernier Woody Allen était-il à la hauteur de l’attente ?
Evidemment, il serait malvenu de le comparer à la trilogie londonienne, véritable bijou d’écriture scénaristique et de noirceur jubilatoire. Ce dernier est plus léger (quoique…), et pourtant…, et pourtant c’est encore une véritable réussite, qui ne manque ni de sel (pour faire référence à une réplique du film), ni d’ailleurs d’aucun ingrédient qui fait d’un film un moment unique et réjouissant.
Pitch :Vicky (Rebecca Hall) et Cristina (Scarlett Johanson) sont d’excellentes amies, avec des visions diamétralement opposées de l’amour : la première est plutôt raisonnable, fiancée à un jeune homme « respectable » ; la seconde est plutôt instinctive, dénuée d’inhibitions et perpétuellement à la recherche de nouvelles expériences passionnelles. Vicky et Cristina sont hébergées chez Judy et Mark, deux lointains parents de Vicky, Vicky pour y consacrer les derniers mois avant son mariage et y terminer son mémoire sur l’identité catalane; Cristina pour goûter un changement de décor. Un soir, dans une galerie d’art, Cristina remarque le ténébreux peintre Juan Antonio (Javier Bardem). Son intérêt redouble lorsque Judy lui murmure que Juan Antonio entretient une relation si orageuse avec son ex-femme, Maria Elena (Pénélope Cruz), qu’ils ont failli s’entre-tuer. Plus tard, au restaurant, Juan Antonio aborde Vicky et Cristina avec une « proposition indécente ». Vicky est horrifiée ; Cristina, ravie, la persuade de tenter l’aventure…
Les jeux de l’amour et du hasard. Un marivaudage de plus. Woody Allen fait son Truffaut et son « Jules et Jim » pourrait-on se dire à la lecture de ce pitch. Oui mais non. Surtout non. Non parce que derrière un sujet apparemment léger d’un chassé-croisé amoureux, le film est aussi empreint de mélancolie et même parfois de gravité. Non parce qu’il ne se contente pas de faire claquer des portes mais d’ouvrir celles sur les âmes, toujours tourmentées, du moins alambiquées, de ses protagonistes, et même de ses personnages secondaires toujours croqués avec talent, psychologie, une psychologie d’une douce cruauté ou tendresse, c’est selon. Non parce que le style de Woody Allen ne ressemble à aucun autre : mélange ici de dérision (souvent, d’habitude chez lui d’auto-dérision), de sensualité, de passion, de mélancolie, de gravité, de drôlerie, de cruauté, de romantisme, d’ironie…
Woody Allen est dit-on le plus européen des cinéastes américains, alors certes on a quitté Londres et sa grisaille pour Barcelone dont des couleurs chaudes l’habillent et la déshabillent mais ce qu’il a perdu en noirceur par rapport à la trilogie londonienne, il l’a gagné en sensualité, et légèreté, non pour autant dénuées de profondeur. Il suffit de voir comment il traduit le trouble et le tiraillement sentimental de Vicky lors d’une scène de repas où apparait tout l’ennui de la vie qui l’attend pour en être persuadé. Ou encore simplement de voir comment dans une simple scène la beauté d’une guitare espagnole cristallise les émotions et avec quelle simplicité et quel talent il nous les fait ressentir. (Eh oui Woody Allen a aussi délaissé le jazz pour la variété et la guitare espagnoles…)
Javier Bardem, ténébreux et troublant, Penelope Cruz, volcanique et passionnelle, Scarlett Johanson (dont c’est ici la troisième collaboration avec Woody Allen après « Match point » et « Scoop »…et certainement pas la dernière), sensuelle et libre, Rebecca Hall, sensible et hésitante : chacun dans leurs rôles ils sont tous parfaits, et cette dernière arrive à imposer son personnage, tout en douceur, face à ces trois acteurs reconnus et imposants. (Dommage d’ailleurs que son personnage n’apparaisse même pas sur l’affiche, c’est finalement le plus intéressant mais certes aussi peut-être le plus effacé…dans tous les sens du terme.)
A la fois hymne à la beauté (notamment de Barcelone, ville impétueuse, bouillonnante, insaisissable, véritable personnage avec ses bâtiments conçus par Gaudi , le film ne s’intitulant pas « Vicky Cristina Barcelona » pour rien) et à l’art, réflexion sur l’amoralité amoureuse et les errements et les atermoiements du corps et du cœur, Woody Allen signe une comédie (on rit autant que l’on est ému) romantiquement sulfureuse et mélancoliquement légère, alliant avec toute sa virtuosité ces paradoxes et s’éloignant des clichés ou de la vulgarité qui auraient été si faciles pour signer un film aussi élégant que sensuel. Cet exil barcelonais pourra en déconcerter certains, mais c’est aussi ce qui imprègne ce film de cette atmosphère aussi fougueuse que cette ville et ces personnages.
Malgré les 72 ans du cinéaste, le cinéma de Woody Allen n’a pas pris une ride : il fait preuve d’une acuité, d’une jeunesse, d’une insolence, d’une inventivité toujours étonnantes, remarquables et inégalées. Un voyage barcelonais et initiatique décidément réjouissant. Vivement le prochain ! En attendant je vous laisse réfléchir à l’idée défendue dans le film selon laquelle l’amour romantique serait celui qui n’est jamais satisfait… A méditer !
Critique de « Whatever works » de Woody Allen
Après des films aussi divers et réussis que « Match point », « Scoop », « Le rêve de Cassandre », « Vicky Cristina Barcelona » qui se sont enchaînés au rythme frénétique d’une réalisation par an, comment Woody Allen pouvait-il encore nous étonner ? Tout simplement en revenant à New York après la magistrale trilogie londonienne (« Match point » restant pour moi la perfection scénaristique, encore inégalée) et après son escapade espagnole.
Boris Yellnikoff (Larry David), double woody allenien ( que le réalisateur n’incarne pas cette fois laissant donc la place à Larry David) est un presque Prix Nobel, il a en effet raté sa carrière comme son mariage et son suicide. Un soir, une jeune fugueuse répondant au doux nom de Melody (Evan Rachel Wood), affamée et frigorifiée, lui demande de l’héberger. Alors qu’elle ne devait rester que quelques nuits, elle s’installe pour finalement former un étrange couple avec ce Boris aussi futé et misanthrope qu’elle est ingénue et joyeuse. Le génie de la physique finira même par épouser la pétulante jeune femme. Tout se complique quand Marietta (Patricia Clarkson), la mère de la jeune femme, débarque à l’improviste…
A 73 ans, Woody Allen semble plus que jamais peu soucieux des conventions, qu’elles soient morales ou cinématographiques, et fait preuve d’une liberté toujours aussi étonnante et réjouissante pour le spectateur.
Dès la première séquence dans laquelle Boris quitte les amis avec lesquels il était attablé pour s’adresser directement au spectateur face caméra, on retrouve sa verve inimitable dans un monologue qui brasse avec brio, ironie, mordant et lucidité les préoccupations existentielles récurrentes et universelles du réalisateur toujours aussi hypocondriaque et savoureusement cynique.
Même si jamais personne, à commencer par lui-même, ne sublimera autant Manhattan qu’il y est parvenu dans le film éponyme, il parvient encore à nous faire découvrir New York sous un angle différent et enchanteur, sa caméra incisive en épousant la bouillonnante et frémissante vitalité.
Les personnalités excentriques des deux personnages principaux (mais aussi des personnages secondaires) sont pour beaucoup dans cette réussite : Larry David joue comme Woody Allen à s’y méprendre, un être boiteux dans tous les sens du terme, aussi exécrable qu’attendrissant et Evan Rachel Wood joue à merveille la sympathique écervelée, succédant à Scarlett Johansson, sans démériter.
Les dialogues et les monologues de Larry David sont une réjouissance perpétuelle et un air de Beethoven nous montre une nouvelle fois avec quelle maestria il sait fait valser magie et ironie de l’existence.
Hymne à la liberté, qu’elle soit amoureuse ou artistique, qui n’est pas sans faire écho à son film précèdent, le sensuel (et à mon avis néanmoins plus réussi que celui-ci) « Vicky Cristina Barcelona », ce « Whatever works » est aussi un hymne à la vie et à ses « hasards dénués de sens » que Woody Allen manie et célèbre avec subtilité pour faire basculer le cynisme en optimisme, et si la religion est ici, à nouveau, une cible délectable , il croit au moins en une chose et nous y fait croire avec talent : le pouvoir de la liberté et des hasards qui font que « ça marche », peu importe comment… Le hasard peut, aussi, bien faire les choses et l’incertitude existentielle n’est pas forcément source de tourments semble admettre et nous faire admettre Woody Allen dans un accès communicatif d’optimisme, voire d’insolente liberté.
Et même s’il s’agit là d’un Woody Allen mineur, comme le répète Larry David « l’important c’est que ça marche ». Woody Allen fait, encore une fois, preuve d’une impertinence et d’une énergie débordante que bien des jeunes cinéastes pourraient lui envier et qui nous font attendre le prochain avec une impatience toujours grandissante.
(Double) critique de « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu » de Woody Allen (1/ suite à la projection cannoise du Festival de Cannes 2010 et 2/ suite à la projection en ouverture du Festival Paris Cinéma 2010).
Critique de « You will meet a tall dark stranger » suite à la projection cannoise:
Fidèle à son habitude Woody Allen a préféré le confort d’une sélection hors compétition aux « risques » de la compétition. Lui qui faisait pourtant l’apologie de la chance dans « Match point » ne semble pas être si confiant en la sienne. Pour une fois, il n’a peut-être pas eu totalement tort… Après sa remarquable trilogie britannique ( « Match point » -qui reste pour moi la perfection scénaristique-, « Scoop », « Le Rêve de Cassandre »), après son escapade espagnole avec « Vicky Barcelona », Woody Allen était déjà revenu aux Etats-Unis avec le très réussi « Whatever works », il revient donc à nouveau à Londres (on retrouve aussi un air d’opéra qui nous rappelle « Match point »), cette fois pour une comédie.
Synopsis : les amours croisés de différents personnages tous à une époque charnière de leurs existences qui aimeraient tous avoir des illusions sur leur avenir et d’une certaine manière croire qu’ils vont rencontrer un mystérieux inconnu (a tall dark stranger) comme le prédit Cristal la voyante de l’une d’entre eux. Avec : Josh Brolin, Naomi Watts, Anthony Hopkins, Antonio Banderas, Freida Pinto (« Slumdog Millionaire »)…
Même un moins bon film de Woody Allen comme l’est celui-ci (mais on peut bien lui pardonner avec les films brillants qu’il a accumulés ces derniers temps) reste un moment savoureux avec des dialogues rythmés et caustiques et une mise en scène toujours alerte et astucieuse et de très beaux plans séquences.
« C’est la vitalité » disait François Truffaut du cinéma de Claude Sautet. Il aurait sans doute également pu attribuer ce terme au cinéma de Woody Allen. Cette vitalité, cette apparente légèreté cherchent pourtant comme toujours à dissimuler et aborder la fragilité de l’existence que ce soit en évoquant la mort avec une pudique désinvolture (certes ici prétexte à des scènes de comédie) ou la pathétique et touchante course contre le temps (remarquable Anthony Hopkins, ici sorte de double du cinéaste qui s’amourache d’une jeune « actrice » qu’il épouse).
Woody Allen croque ses personnages à la fois avec lucidité et tendresse pour nous donner une sorte de conte sur la manière de s’arranger avec la vanité de l’existence, qu’importe si c’est avec des illusions. Ce film illustre à nouveau très bien cette lucide phrase du cinéaste citée par Kristin Scott Thomas lors de l’ouverture du festival (« L’éternité, c’est long … surtout vers la fin »).
Une fantaisie pétillante beaucoup moins légère qu’elle n’en a l’air mais aussi moins pessimiste puisque chacun trouvera un (certes fragile) nouveau départ, le tout illuminé par une très belle photographie et des acteurs lumineux. Vous auriez tort de vous en priver !
Complément de critique de « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu » et récit de la projection en ouverture du Festival Paris Cinéma 2010
Hier soir, au cinéma Gaumont Opéra, avait lieu l’ouverture du Festival Paris Cinéma 2010 avec, en plus de la Présidente du festival Charlotte Rampling et du Maire de Paris, un invité de marque : Woody Allen, actuellement en tournage à Paris, venu présenter « Vous aller rencontrer un bel et sombre inconnu » ( « You will meet a tall dark stranger »), en présence également de Marisa Berenson, Hippolyte Girardot, Rosanna Arquette entre autres invités du festival. N’ayant pas été autant enthousiasmée par ce film-ci que par les précédents Woody Allen lors de ma première vision de celui-ci au dernier Festival de Cannes dans le cadre duquel le film était présenté hors compétition, je redoutais l’ennui d’une deuxième projection.
Est-ce le plaisir d’avoir vu et entendu Woody Allen présenter le film- en Français s’il vous plaît- (cf vidéo n°4 ci-dessous) avec, à l’image de ce qui imprègne ses films, un humour noir et décalé pudiquement et intelligemment dissimulé derrière une apparente légèreté ? Est-ce le plaisir de débuter ces 14 jours d’immersion festivalière en joyeuse compagnie ? Toujours est-il que j’ai été totalement charmée par ce « You will meet a tall dark stranger », davantage que lors de la première vision, la frénésie cannoise et l’accumulation de projections ne permettant peut-être pas toujours de vraiment déguster les films.
Moins concentrée sur l’intrigue que je connaissais déjà (voir ma critique du film en bas de cet article), j’ai pu focaliser mon attention sur tout ce qui fait des films de Woody Allen des moments uniques et de l’ensemble de son cinéma un univers singulier. J’ai été envoûtée par la photographie lumineuse et même chaleureuse comme un écho visuel à cette légèreté avec laquelle Woody Allen voile pudiquement la gravité de l’existence. Le jeu des acteurs (et la direction d’acteurs) m’a bluffée (avec une mention spéciale pour Lucy Punch, irrésistible) ou comment dans un même plan fixe avec deux comédiens, grâce à son talent de metteur en scène, de directeur d’acteurs et de dialoguiste il fait passer une multitude d’émotions et rend une scène dramatique irrésistiblement drôle ou une scène comique irrésistiblement dramatique, parfois les deux dans le même plan. L’art du montage et du récit, ou comment en quelques plans d’une fluidité remarquable, il parvient à nous raconter une rencontre qui préfigure l’avenir des personnages. Le mélange de lucidité et de tendresse, sur ses personnages et la vanité de l’existence. Les dialogues savoureux, tendrement cyniques. Une sorte de paradoxe que lui seul sait aussi brillamment manier : un pessimisme joyeux. Une lucidité gaie.
Woody Allen n’a décidément pas son pareil pour nous embarquer et pour transformer le tragique de l’existence en comédie jubilatoire. En ressortant du cinéma, après ce régal cinématographique, l’air de Paris était à la fois lourd et empreint d’une clarté éblouissante et de rassurantes illusions comme un écho à la gravité légère de Woody Allen à l’image de laquelle, je l’espère, seront ces 13 jours de festival. A suivre !
Photo et vidéos de Woody Allen lors de l’ouverture du Festival Paris Cinéma 2010:
Critique de MAGIC IN THE MOONLIGHT de Woody Allen (telle que publiée suite à l’ouverture du 40ème Festival du Cinéma Américain de Deauville dans le cadre de laquelle le film fut projeté)
Fidèle à son habitude, Woody Allen, « retenu à New York » ne s’est pas déplacé pour l’ouverture mais a tout de même envoyé un petit mot en vidéo aux festivaliers « J’aimerais traverser l’écran comme dans La Rose pourpre » concluant, avec son humour caustique habituel que « Quoi d’autre puis-je dire : c’est bien d’être à New York aussi. »
Après « Blue jasmine » projeté à Deauville l’an passé en avant-première, avec « Magic in the moonlight » il revient à la comédie, plus légère, même si le film est émaillé de ses réflexions acerbes (mais lucides) sur la vie et même si, comme toujours chez Woody Allen, la comédie, est le masque de sa redoutable (et irrésistible) lucidité sur l’existence et les travers de chacun.
Cette fois, il nous embarque dans les années 1920, sur la Côte d’Azur, avec un grand magicien incarné par Colin Firth qui va tenter de démasquer l’imposture d’une femme médium incarnée par Emma Stone. Le prestidigitateur chinois Wei Ling Soo est le plus célèbre magicien de son époque, mais rares sont ceux à savoir qu’il s’agit en réalité du nom de scène de Stanley Crawford (Colin Firth, donc) : un Anglais arrogant qui a une très haute estime de lui-même mais qui ne supporte pas les supposés médiums qui prétendent prédire l’avenir. Se laissant convaincre par son fidèle ami Howard Burkan (Simon McBurney), Stanley se rend chez les Catledge qui possèdent une somptueuse propriété sur la Côte d’Azur : il y fait la connaissance de la mère, Grace (Jacki Weaver), du fils, Brice (Hamish Linklater), et de la fille, Caroline (Erica Leerhsen). Il se fait passer pour un homme d’affaires, du nom de Stanley Taplinger, dans le but de confondre la jeune et ravissante Sophie Baker (Emma Stone) qui séjourne chez les Catledge avec sa mère (Marcia Gay Harden). En effet, Sophie a été invitée par Grace, convaincue que la jeune fille pourra lui permettre d’entrer en contact avec son défunt mari. Mais, contrairement à ce qu’il pensait, non seulement Stanley ne va pas la démasquer immédiatement et se laisser, peut-être, ensorcler par la plus belle et mystérieuse des magies.
« Magic in the moonlight » est ainsi un film pétillant sur la plus belle des illusions : le mystère du coup de foudre amoureux. Dès les premières secondes, Woody Allen, comme nul autre, dispose de ce pouvoir (dont il faut bien avouer qu’il est plus le fruit de talent que de magie) de nous plonger dans un cadre, une époque, de brosser le portrait d’un personnage (en l’occurrence, l’arrogant Stanley) et de nous embarquer dans un univers, une intrigue, un ailleurs réjouissants, quasiment hypnotiques.
Les dialogues, qui, comme toujours épousent le débit du cinéaste, fusent à un rythme échevelé et sont délicieusement sarcastiques à l’image du personnage de Colin Firth, parfait dans le rôle de ce magicien cynique et parfois sinistre (pour notre plus grand plaisir) aux répliques cinglantes. C’est finalement un peu le double de Woody Allen -comme le sont presque toujours ses personnages principaux, y compris lorsqu’il ne les incarne pas lui-même- : prestidigitateur du cinéma qui parvient à nous faire croire à tout ou presque, amoureux de la magie (d’ailleurs omniprésente dans ses films et qu’il a lui-même pratiquée), mais qui lui-même ne se fait plus beaucoup d’illusions sur la vie et ses contemporains, conscient cependant de notre besoin d’illusions et de magie pour vivre. Celles de la prestidigitation. Ou du cinéma. Ces deux maitres des illusions finalement ne se laissent illusionner que par une seule chose : l’amour.
Les décors subliment la Côte d’Azur lui donnant parfois des accents fitzgeraldiens. Hommage avant tout au pouvoir de l’imaginaire, des illusions (salvateur et redoutable) comme l’était le sublime « Minuit à Paris », avec ce nouveau film Woody Allen nous jette un nouveau sortilège parvenant à nous faire oublier les faiblesses du film (comme une intrigue amoureuse qui manque parfois un peu de magie justement) pour nous ensorceler et éblouir.
Dialogues délicieusement sarcastiques, décors et acteurs étincelants, ode ludique aux illusions…. amoureuses (et cinématographiques ), je dois bien avouer avoir, une fois de plus, été hypnotisée par le cinéma de Woody Allen.
« Ce que nous demandons au cinéma, c’est ce que l’amour et la vie nous refusent : le mystère et le miracle. Place au miracle », avait ainsi proclamé Lambert Wilson lors de l’ouverture l’an passé, citant Desnos. « Le cinéma, c’est le rêve le secret le miracle le mystère », a-t-il dit cette année, et je l’écris sans virgules délibérément parce que le cinéma suspend notre souffle, nous embarque dans une autre dimension, oui : secrète, miraculeuse, mystérieuse.
Depuis 3 jours à Cannes, et comme chaque année emportée déjà par la frénésie festivalière (avec une première journée déjà bien remplie et joyeusement hétéroclite), grisée par cette atmosphère si particulière, qu’on ne retrouve qu’à Cannes et où le cœur d’une ville toute entière ne palpite et ne vibre qu’au rythme du festival qu’elle accueille et du 7ème art, ou en tout cas nous en donne la douce sensation, et bien que ce soit mon 15ème Festival de Cannes (et que je peine à la croire tant, chaque fois, j’éprouve la même irrépressible émotion en entendant la musique de Saint-Saëns qui précède les projections officielles ou en découvrant le Grand Théâtre Lumière, cette année ornée de la magnifique affiche avec Ingrid Bergman), j’ai toujours cette impression, que tout y est possible, y compris des miracles. Des miracles cinématographiques, sans aucun doute, le festival, cette année encore, nous en réserve de nombreux à voir défiler les extraits des films en sélection officielle, dont certains m’ont déjà fait frissonner d’impatience.
Cette année encore, c’est l’élégant Lambert Wilson qui a eu la charge d’être le maître de cérémonie et qui a magnifiquement rempli son rôle avec un discours lyrique et engagé, empreint d’humour et de gravité. Il a ainsi évoqué « un nouveau festival, une révolution ». En tout cas, les innovations cette année sont nombreuses avec notamment, en ouverture, un film moins glamour, moins spectaculaire que les films qui ont ouvert le festival ces dernières années (« Gatsby le magnifique » et « Grace de Monaco » ces deux dernières années), plus « engagé », mais non moins intéressant, mais aussi deux présidents du jury au lieu d’un (les frères Coen), et un nouveau président du festival, Pierre Lescure qui remplace l’irremplaçable Gilles Jacob sans oublier une salle magnifiquement rénovée.
Engagé le vibrant discours de Lambert Wilson l’était aussi qui, les yeux clos, nous a demandé de rêver de Cannes : « une femme, Sophia, Meryl, Julianne, Brigitte, Catherine… Lorsqu’on pense au cinéma, nos pupilles restent accrochées aux cils d’une actrice. La femme est le symbole de l’amour sur lequel repose le cinéma. A l’heure où certains voudraient la cacher, la bâillonner, la tenir dans l’ombre, la rendre captive, la violer, la mutiler, la vendre comme une marchandise, le cinéma la met en lumière, la révère, la révèle. Face à la monstrueuse barbarie de la réalité les actrices sont le contrepoids salutaire de la liberté et du désir», a-t-il ainsi déclaré. Finalement les deux visages de Cannes : le rêve et l’engagement, l’évasion du monde et le prisme grossissant de ses blessures et meurtrissures. « Il arrive que la réalité lui intime d’être autre chose », « de créer des héros et héroïnes susceptibles de guider les hommes, la tâche est rude, probablement autant que le monde l’est », « Si les films peuvent amener des hommes à devenir meilleurs, la vie prendrait tout son sens ».
Puis Lambert Wilson a évoqué Truffaut , « Le cinéma, c’est faire faire de jolies choses à de jolies femmes », « Est-ce que ça fait mal l’amour ? », pour en venir à saluer la présence de celle qui lui a inspiré cette citation, Catherine Deneuve : « Celle qui a inspiré cela, nous avons l’honneur et le bonheur de l’avoir parmi nous ce soir, Melle Catherine Deneuve ».
Après ce flamboyant discours, ce sont les danseurs qui ont enflammé la scène du Grand Théâtre Lumière avec la scène d’amour de « Vertigo » d’Hitchcock sublimement chorégraphiée par Benjamin Millepied qui nous a emportés dans son vertige, délicieusement étourdissant, le ballet se confondant avec les images du film, de James Stewart et Kim Novak, à l’image de ce festival qui enlace et entrelace réalité et cinéma au point qu’ils se confondent, comme dans une danse enivrante, et qui célèbre aussi bien le cinéma contemporain que ses classiques.
Après ce moment de grâce et d’émotion, après la projection des extraits des films en sélection officielle et des extraits inénarrables des films des frères Coen, après la montée sur scène du Jury des Longs métrages composé de Rossy de Palma, Sophie Marceau, Sienna Miller, Rokia Traoré, Guillermo del Toro, Xavier Dolan, Jake Gyllenhaal et de ses présidents, Joel et Ethan Coen, l’actrice Julianne Moore qui a reçu son prix d’interprétation pour le film de David Cronenberg « Maps to the stars »( qui lui a été décerné l’an passé mais qu’elle n’avait pu alors recevoir directement, étant absente de la cérémonie du palmarès), a déclaré ouverte cette 68ème édition.
Critique du film « La tête haute » d’Emmanuelle Bercot
Le temps de débarrasser la scène du Grand Théâtre Lumière des apparats de l’ouverture, et nous voilà plongés dans un tout autre univers : le bureau d’une juge pour enfants (Catherine Deneuve), à Dunkerque. La tension est palpable. Le ton monte. Les éclats de voix fusent. Une femme hurle et pleure. Nous ne voyons pas les visages. Seulement celui d’un enfant, Malony, perdu au milieu de ce vacarme qui assiste, silencieux, à cette scène terrible et déroutante dont la caméra frénétique accompagne l’urgence, la violence, les heurts. Un bébé crie dans les bras de sa mère qui finalement conclut à propos de Malony qu’il est « un boulet pour tout le monde ». Et elle s’en va, laissant là : un sac avec les affaires de l’enfant, et l’enfant, toujours silencieux sur la joue duquel coule une larme, suscitant les nôtres déjà, par la force de la mise en scène et l’énergie de cette première scène, implacable. Dix ans plus tard, nous retrouvons les mêmes protagonistes dans le même bureau …
Ce film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma et l’univers si fort et singulier avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là. Depuis, je suis ses films avec une grande attention jusqu’à « Elle s’en va », en 2013, un très grand film, un road movie centré sur Catherine Deneuve, « né du désir viscéral de la filmer ». Avant d’en revenir à « La tête haute », je ne peux pas ne pas vous parler à nouveau de ce magnifique portrait de femme sublimant l’actrice qui l’incarne en la montrant paradoxalement plus naturelle que jamais, sans artifices, énergique et lumineuse, terriblement vivante surtout. C’est aussi une bouffée d’air frais et d’optimisme qui montre que soixante ans ou plus peut être l’âge de tous les possibles, celui d’un nouveau départ. En plus d’être tendre (parfois caustique mais jamais cynique ou cruel grâce à la subtilité de l’écriture d’Emmanuelle Bercot et le jeu nuancé de Catherine Deneuve), drôle et émouvant, « Elle s’en va » montre que, à tout âge, tout peut se (re)construire, y compris une famille et un nouvel amour. « Elle s’en va » est de ces films dont vous ressortez émus et le sourire aux lèvres avec l’envie d’embrasser la vie.
Et contre toute attente, c’est aussi l’effet produit par « La tête haute » où il est aussi question de départ, de nouveau départ, de nouvelle chance. Avec beaucoup de subtilité, plutôt que d’imprégner visuellement le film de noirceur, Emmanuelle Bercot a choisi la luminosité, parfois le lyrisme même, apportant ainsi du romanesque à cette histoire par ailleurs particulièrement documentée, tout comme elle l’avait fait pour « Polisse » de Maïwenn dont elle avait coécrit le scénario. Le film est riche de ce travail en amont et d’une excellente idée, avoir toujours filmé les personnages dans un cadre judiciaire : le bureau de la juge, des centres divers… comme si toute leur vie était suspendue à ces instants.
Le grand atout du film : son énergie et celle de ses personnages attachants interprétés par des acteurs judicieusement choisis. Le jeune Rod Paradot d’abord, l’inconnu du casting qui ne le restera certainement pas longtemps et qui a charmé l’assistance lors de la conférence de presse hier, avec son sens indéniable de la répartie (« la tête haute mais la tête froide »…), tête baissée, recroquevillé, tout de colère rentrée parfois hurlée, dont la présence dévore littéralement l’écran et qui incarne avec une maturité étonnante cet adolescent insolent et bravache qui n’est au fond encore que l’enfant qui pleure des premières minutes. Catherine Deneuve, ensuite, une nouvelle fois parfaite dans ce rôle de juge qui marie et manie autorité et empathie. L’éducateur qui se reconnaît dans le parcours de ce jeune délinquant qui réveille ses propres failles incarné par Benoît Magimel d’une justesse sidérante. La mère (Sara Forestier) qui est finalement l’enfant irresponsable du film, d’ailleurs filmée comme telle, en position fœtale, dans une très belle scène où les rôles s’inversent. Dommage (et c’est mon seul bémol concernant le film) que Sara Forestier ait été affublé de fausses dents (était-ce nécessaire ?) et qu’elle surjoue là où les autres sont dans la nuance, a fortiori les comédiens non professionnels, excellents, dans les seconds rôles.
Ajoutez à cela des idées brillantes et des moments qui vous cueillent quand vous vous y attendez le moins : une main tendue, un « je t’aime »furtif et poignant, une fenêtre qui soudain s’est ouverte sur « Le Monde » (littéralement, si vous regardez bien…) comme ce film s’ouvre sur un espoir.
Après « Clément », « Backstage », « Elle s’en va », Emmanuelle Bercot confirme qu’elle est une grande scénariste et réalisatrice avec qui le cinéma va devoir compter, avec ce film énergique et poignant, bouillonnant de vie, qui nous laisse avec un salutaire espoir, celui que chacun peut empoigner son destin quand une main se tend et qui rend un bel hommage à ceux qui se dévouent pour que les enfants blessés et défavorisés par la vie puissent grandir la tête haute. Un film qui « ouvre » sur un nouveau monde, un nouveau départ et une bouffée d’optimisme. Et ça fait du bien. Une très belle idée que d’avoir placé ce film à cette place de choix et de lui donner cette visibilité.
Conférence de presse
Ci-dessous, quelques citations de la conférence de presse du film à laquelle j’ai assisté hier. Une passionnante conférence au cours de laquelle il a été question de nombreux sujets, empreinte à la fois d’humour et de gravité, puisqu’a aussi été établi un lien entre le choix de ce film pour l’ouverture et les récents événements en France auxquels le film fait d’ailleurs, d’une certaine manière, écho. Vous pouvez revoir la conférence sur le site officiel du festival. Dommage que Catherine Deneuve (étincelante) ait eu à se justifier (très bien d’ailleurs, avec humour et intelligence) de propos tenus dans la presse, extraits de leur contexte et qui donnent lieu à une polémique qui n’a pas de raison d’être.
« Je tenais à ce que tout soit absolument juste » -Emmanuelle Bercot (à propos de tout ce qui se passe dans le cadre judiciaire où elle a fait plusieurs stages avec ce souci de vraisemblance et même de véracité). « Les personnages existaient avant les stages puis ont été nourris par la part documentaire ».
« La justice des mineurs est un honneur de la France » – Emmanuelle Bercot
« Si c’est méchant, j’espère que c’est drôle ». – Catherine Deneuve à propos d’une question d’une journaliste au sujet de la caricature de Charloe Hebdo (très cruelle) à son sujet et qu’elle n’avait pas encore vue.
« C’était très important pour moi que ce film ait son socle dans le Nord. » Emmanuelle Bercot
« Ouvrir le festival avec ce film est aussi une réponse à ce début d’année difficile qu’a connu la France. » Catherine Deneuve
« En France, les femmes cinéastes ont largement la place de s’exprimer et énormément de femmes émergent. » E.Bercot
« Moi c’est le scénario qui m’a beaucoup plu et tous les personnages. C’est un scénario qui m’a plu tout de suite. » Catherine Deneuve
« Pour être star, il faut du glamour et du secret, ne pas tout montrer de sa vie privée. » – Catherine Deneuve
« Il y a une matière documentaire très forte dans l’écriture, en revanche je ne voulais pas un style documentaire dans l’image. » Bercot
Sara Forestier : « A la lecture du scénario, j’ai pleuré. Le film m’a piqué le coeur. »
« C’est totalement inespéré que ce film soit à une telle place, c’est un grand honneur. » Emmanuelle Bercot
Mais encore…Cannes en quelques clichés : quelques images de mes trois premiers jours à Cannes, avec notamment une rencontre avec le très sympathique chef étoilé Michel Roth mais aussi la conférence de presse de « La tête haute » et quelques clichés de mes déambulations sur la Croisette.
A l’occasion de la Cérémonie d’ouverture du 68ème Festival de Cannes, et pour célébrer les 120 ans du Cinéma, Benjamin Millepied, Directeur de la danse à l’Opéra de Paris, va chorégraphier la scène d’amour de VERTIGO (SUEURS FROIDES), chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock. Lors de la conférence de presse de Canal plus (sur laquelle je reviendrai ultérieurement) avaient en effet été annoncées une cérémonie d’ouverture et une cérémonie de clôture exceptionnelles, de véritables spectacles. Ce ballet exceptionnel sera créé pour Janie Taylor (New York City Ballet), Léonore Baulac (Opéra de Paris), Morgan Lugo (LA Dance Project) et 14 danseurs. La cérémonie d’ouverture sera diffusé Mercredi 13 mai à 19H00, en clair et en direct sur CANAL+ Une cérémonie présentée par Lambert Wilson aux côtés des présidents de cette 68ème édition Joel et Ethan Coen et de leur jury. La cérémonie de clôture sera diffusé le Dimanche 24 mai à 18H50, en clair et en direct sur CANAL+.
Cette année, pour la deuxième fois de l'histoire du Festival de Cannes, c'est une réalisatrice qui fera l’Ouverture du Festival. C’est en effet le film de la française Emmanuelle Bercot, "La Tête haute", qui ouvrira, mercredi 13 mai prochain, la 68ème édition du Festival de Cannes après le Biopic d'Olivier Dahan sur Grace Kelly, l'an passé.
Un film d'ouverture dont l'annonce me réjouit (Emmanuelle Bercot a notamment coécrit l'excellent scénario de "Polisse", réalisé le troublant "Clément" et "Elle s'en va" qui fut pour moi le meilleur film de l'année 2013 dont je vous propose ma critique ci-dessous) et dont vous pourrez retrouver ma critique ici la 13 Mai.
"La Tête haute" raconte le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, qu'une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver. Tourné dans le Nord-Pas de Calais, en Rhône-Alpes et en Ile de France, il compte dans sa distribution Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Sara Forestier et Rod Paradot qui interprète le personnage principal.
« Le choix de ce film pourra paraître surprenant au regard des codes généralement appliqués à l’Ouverture du Festival de Cannes, - déclare Thierry Frémaux, Délégué général de la manifestation. - C’est évidemment le reflet de notre volonté de voir le Festival commencer avec une œuvre différente, forte et émouvante. Le film d’Emmanuelle Bercot dit des choses importantes sur la société d’aujourd’hui, dans la tradition d’un cinéma moderne, pleinement engagé sur les questions sociales et dont le caractère universel en fait une œuvre idéale pour le public mondial qui sera au rendez-vous à Cannes. »
La Tête haute sera projeté en avant-première mondiale dans le Grand Théâtre Lumière du Palais des Festivals et sortira dans les salles françaises le même jour, mercredi 13 mai prochain. Le film a déjà été vendu dans de nombreux pays.
Comme chaque année, les salles qui sortiront le film pourront également diffuser la Cérémonie d’ouverture.
La carrière d'Emmanuelle Bercot est indissociable du Festival de Cannes. Son talent est découvert au Festival de Cannes en 1997, où son court métrage Les Vacances reçoit le Prix du Jury. Elle confirme l’essai deux ans plus tard avec un Deuxième Prix de la Cinéfondation pour La Puce, son film de fin d’étude. En 2001, son premier long métrage, Clément, dans lequel elle tient le rôle principal, est en Sélection officielle au Certain Regard. Depuis, elle a réalisé plusieurs films dont, en 2014, Elle s’en va, dans lequel on retrouve Catherine Deneuve dans l’un de ses plus beaux rôles. Emmanuelle Bercot a également co-signé le scénario de Polisse de Maïwenn qui lui a offert le premier rôle de son nouveau film, Mon Roi.
La Tête haute a été écrit par Emmanuelle Bercot et Marcia Romano, et Guillaume Schiffman en est le directeur de la photographie. Il est produit par Les Films du Kiosque, en coproduction avec France 2 Cinéma, Wild Bunch, Rhône-Alpes Cinéma et Pictanovo, et avec le soutien de la Région Nord-Pas de Calais. Il est vendu par Elle Driver et distribué en France par Wild Bunch.
CRITIQUE – ELLE S’EN VA d’Emmanuelle Bercot avec Catherine Deneuve
Un film avec Catherine Deneuve est en soi déjà toujours une belle promesse, une promesse d’autant plus alléchante quand le film est réalisé par Emmanuelle Bercot dont j’avais découvert le cinéma avec « Clément », présenté à Cannes en 2001, dans le cadre de la Section Un Certain Regard, alors récompensé du Prix de la jeunesse dont je faisais justement partie cette année-là, l’histoire poignante et délicate (et délicatement traitée) de l’amour d’un adolescent pour une femme d’âge plus mûr (d’ailleurs interprétée avec beaucoup de justesse par Emmanuelle Bercot). Une histoire intense dont chaque plan témoignait, transpirait de la ferveur amoureuse qui unissait les deux protagonistes. Puis, il y a eu « Backstage », et l’excellent scénario de « Polisse » dont elle était coscénariste.
L’idée du road movie avec Catherine Deneuve m’a tout d’abord fait penser au magistral « Je veux voir » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige dans lequel le dernier regard de Catherine Deneuve à la fois décontenancé et ébloui puis passionné, troublé, troublant est un des plus beaux plans qu’il me soit arrivé de voir au cinéma contenant une multitude de possibles et toute la richesse de jeu de l’actrice. « Elle s’en va » est un road movie centré certes aussi sur Catherine Deneuve mais très différent et né du désir « viscéral » de la filmer (elle n’est sans doute pas la seule mais nous comprenons rapidement pourquoi l’actrice a accepté ici) comme l’a précisé la réalisatrice avant la projection.
L’actrice incarne ici Bettie (et non Betty comme celle de Chabrol), restauratrice à Concarneau, veuve (je vous laisse découvrir comment…), vivant avec sa mère (Claude Gensac !) qui la traite encore comme une adolescente. L’amant de Bettie vient de quitter sa femme… pour une autre qu’elle. Sa mère envahissante, son chagrin d’amour, son restaurant au bord de la faillite vont la faire quitter son restaurant, en plein service du midi, pour aller « faire un tour » en voiture, puis pour acheter des cigarettes. Le tour du pâté de maisons se transforme bientôt en échappée belle. Elle va alors partir sur les routes de France, et rencontrer toute une galerie de personnages dans une France qui pourrait être celle des « sous-préfectures » du « Journal de France » de Depardon. Et surtout, son voyage va la mener sur une voie inattendue…et nous aussi tant ce film est une surprise constante.
Après un premier plan sur Catherine Deneuve, au bord de la mer, éblouissante dans la lumière du soleil, et dont on se demande si elle va se « jeter à l’eau » (oui, d’ailleurs, d’une certaine manière), se succèdent des plans montrant des commerces fermées et des rues vides d’une ville de province, un chien à la fenêtre, une poésie décalée du quotidien aux accents de Depardon. Puis Bettie apparaît dans son restaurant. Elle s’affaire, tourbillonne, la caméra ne la lâche pas…comme sa mère, sans cesse après elle. Bettie va ensuite quitter le restaurant pour ne plus y revenir. Sa mère va la lâcher, la caméra aussi, de temps en temps : Emmanuelle Bercot la filme sous tous les angles et dans tous les sens ( sa nuque, sa chevelure lumineuse, même ses pieds, en plongée, en contre-plongée, de dos, de face, et même à l’envers) mais alterne aussi avec des plans plus larges qui la placent dans des situations inattendues dans de « drôle[s] d’endroit[s] pour une rencontre », y compris une aire d’autoroute comme dans le film éponyme.
Si l’admiration de la réalisatrice pour l’actrice transpire dans chaque plan, en revanche « Elle s’en va » n’est pas un film nostalgique sur le « mythe » Deneuve mais au contraire ancré dans son âge, le présent, sa féminité, la réalité. Emmanuelle Bercot n’a pas signé un hommage empesé mais au contraire un hymne à l’actrice et à la vie. Avec son jogging rouge dans « Potiche », elle avait prouvé (à ceux qui en doutaient encore) qu’elle pouvait tout oser, et surtout jouer avec son image d’icône. « Elle s’en va » comme aurait pu le faire craindre son titre (le titre anglais est « On my way ») ne signifie ainsi ni une révérence de l’actrice au cinéma (au contraire, ce film montre qu’elle a encore plein de choses à jouer et qu’elle peut encore nous surprendre) ni un film révérencieux, mais au contraire le film d’une femme libre sur une autre femme libre. Porter une perruque improbable, se montrer dure puis attendrissante et s’entendre dire qu’elle a dû être belle quand elle était jeune » (dans une scène qui aurait pu être glauque et triste mais que la subtilité de l’écriture et de l’interprétation rendent attendrissante )…mais plus tard qu’elle sera « toujours belle même dans la tombe. » : elle semble prendre un malin plaisir à jouer avec son image.
Elle incarne ici un personnage qui est une fille avant d’être une mère et une grand-mère, et surtout une femme libre, une éternelle amoureuse. Au cours de son périple, elle va notamment rencontrer un vieil agriculteur (scène absolument irrésistible tout comme sa rencontre d’une nuit, belle découverte que Paul Hamy qui incarne l’heureux élu). Sa confrontation avec cette galerie de personnages incarnés par des non professionnels pourrait à chaque fois donner lieu à un court-métrage tant ce sont de savoureux moments de cinéma, mais une histoire et un portrait se construisent bel et bien au fil de la route. Le film va ensuite prendre une autre tournure lorsque son petit-fils l’accompagnera dans son périple. En découvrant la vie des autres, et en croyant fuir la sienne, elle va au contraire lui trouver un nouveau chemin, un nouveau sens, être libérée du poids du passé.
Si le film est essentiellement interprété par des non professionnels (qui apportent là aussi un naturel et un décalage judicieux), nous croisons aussi Mylène Demongeot (trop rare), le peintre Gérard Garouste et la chanteuse Camille (d’ailleurs l’interprète d’une chanson qui s’intitule « Elle s’en va » mais qui n’est pas présente dans le film) dans le rôle de la fille cyclothymique de Bettie et enfin Nemo Schiffman, irréprochable dans le rôle du petit-fils. Ajoutez à cela une remarquable BO et vous obtiendrez un des meilleurs films de l’année 2013.
Présenté en compétition officielle de la Berlinale 2013 et en compétition du Champs-Elysées Film Festival 20013, « Elle s’en va » a permis à Catherine Deneuve de recevoir le prix coup de cœur du Festival de Cabourg 2013.
« Elle s’en va » est d’abord un magnifique portrait de femme sublimant l’actrice qui l’incarne en la montrant paradoxalement plus naturelle que jamais, sans artifices, énergique et lumineuse, terriblement vivante surtout. C’est aussi une bouffée d’air frais et d’optimisme qui montre que soixante ans ou plus peut être l’âge de tous les possibles, celui d’un nouveau départ. En plus d’être tendre (parfois caustique mais jamais cynique ou cruel grâce à la subtilité de l’écriture d’Emmanuelle Bercot et le jeu nuancé de Catherine Deneuve), drôle et émouvant, « Elle s’en va » montre que , à tout âge, tout peut se (re)construire, y compris une famille et un nouvel amour. « Elle s’en va » est de ces films dont vous ressortez émus et le sourire aux lèvres avec l’envie d’embrasser la vie . Un bonheur ! Et un bonheur rare. Le film sort en salles le 18 septembre. Ne le manquez pas.