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IN THE MOOD FOR CANNES 2024 - Page 33

  • Retrouvez mon bilan du Festival de Cannes 2014 dans CLAP, nouveau magazine de cinéma

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    Longtemps, dès l'âge de 11 ou 12 ans, je pense, j'avais un rendez-vous hebdomadaire incontournable, aller acheter en kiosques les Première, Studio, et Positif (que je continue d'ailleurs à acheter de temps à autre). Allez savoir pourquoi, pour les deux premiers, j'ai cessé il y a trois ou quatre ans. Sans doute en raison d'internet qui pose un évident problème d'adaptation temporelle et d'immédiateté, sans doute aussi parce que je n'y retrouvais pas l'originalité de point de vue et les articles de fond que je recherchais.

    C'est ainsi le parti pris de ce nouveau magazine de cinéma "Clap", financé par le site participatif Ulule ayant rapidement atteint puis dépassé l'objectif fixé pour son financement.

    L'objectif du magazine lancé par Romain Dubois est ainsi défini sur le site Ulule : "Lancer la revue cinéma du futur. Nous souhaitons faire entendre aujourd’hui une voix différente et INDEPENDANTE que nous ne retrouvons pas dans la presse cinématographique actuelle. La voix de notre génération, le magazine que nous aimerions lire. Nous croyons au renouvellement de la presse cinéma autour d'une cinéphilie moins universitaire, moins poussiéreuse et plus ouverte sur tous les genres de cinéma autant que sur les séries ! Clap! s’intéresse à tous les cinémas sans préjugés : du blockbuster aux films d’auteur, des classiques de l'Age d'or hollywoodien aux films pop-corn des années 80, de la Série B au film d'animation.  A son cœur purement ciné viendra également s'ajouter un large cahier critique dédié aux séries. Vous l’aurez compris, le but est de n’exclure aucun genre, parler de TOUT, avec passion, précision et ouverture d’esprit.  Chaque numéro sera composé de longues interviews de grands cinéastes, acteurs, techniciens : ceux qui font le cinéma. Mais l'essence même de Clap! sera son dossier d’une vingtaine de pages, dans lequel chacun des rédacteurs exprimera son point de vue sur un thème commun, intemporel ou au contraire en lien avec l’actualité brûlante. Dans les deux cas, le dossier sera écrit avec l’exigence d’une approche inédite, d’un retour aux sources, d’une analyse précise, décalée, sérieuse : ce que le sujet dictera ! Exemples :  Qui est l’héritier légitime d’Hitchcock ?  La guerre du Viêtnam au cinéma. Hollywood n'a-t-il plus rien à dire ? L’animation : de Méliès à Pixar. Ceux qui ont fait l’Age d’Or hollywoodien. La mort de la grande SF.Et parce qu'il y a mille façons d'en parler, Clap! a décidé de rassembler le meilleur du web au sein de sa revue. Enfin un collectif de passionnés du ciné qui promet de tout dire, tout couvrir, pour le meilleur et pour le pire. Ont déjà rejoint la Clapteam : les excellentes plumes d’EastAsia & In the Mood for Cinéma,  qui auront leur rubrique rien qu’à eux !".

    Je suis vraiment ravie d'écrire dans ce premier numéro (et dans les suivants) pour lequel j'ai choisi d'écrire le bilan du Festival de Cannes 2014 (raison pour laquelle je ne l'ai pas publié ici cette année). Pour le lire, il vous faudra donc acheter Clap (liste des points de vente, ici) ou vous abonner, là. A lire dans ce 1er numéro: un excellent article sur David Fincher, la rencontre avec Naomi Kawase et beaucoup d'autres choses. Bonne lecture! Vos avis sur le magazine sont bien sûr les bienvenus. Je transmettrai...

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  • Bilan du Festival de Cannes 2014 : correspondances et mises en abymes

    Fenêtre ouverte sur des mondes et des émotions

    Je plaide coupable. Coupable d’aimer le Festival de Cannes. Un crime là où on se doit d’être blasé, cynique, désinvolte, las et désireux d’être ailleurs et de revendiquer que c’était mieux avant, forcément.

    Cannes, aussi éblouissante que versatile, peut encenser, broyer, magnifier, aliéner.

    Cannes, déclaration d’amour au cinéma et aux cinéastes qui s’y transcendent ou y émergent, se révèlent au monde, nous révèlent un monde. Le leur. Le nôtre.

    Cannes, c’est la vie en concentré. Plus déconcertante et exaltante. Plus dérisoire et urgente.

    C’est surtout une passionnante et instructive fenêtre ouverte sur le rêve et le monde dont ce festival met en lumière les ombres, les blessures, les espoirs. Et sur le cinéma lui-même, mise en abyme à laquelle nous invitait déjà l’affiche, tirée d’un photogramme de Huit et demi.

    Les 18 films de  la compétition officielle de cette 67ème édition n’ont pas dérogé à la règle.

    Sentiments intenses et images indélébiles

    « Je ne me souviens plus du film mais je me souviens des sentiments» dit Trintignant en racontant une anecdote dans le sublime Amour d’Haneke. Si ne devaient rester que les sentiments, je retiendrais :

    -le sentiment d’être, comme ses personnages enfermés dans l’écran, captive des premiers plans du film éponyme d’Egoyan, étourdissants de beauté glaciale,  captivants, lyriques

    - les frissons savoureux procurés par le poignant Mommy de Dolan, fable sombre inondée de lumière, de musique, de courage, quadrilatère fascinant qui met au centre son antihéros attachant et sa mère (incroyables Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval) dans un film d’une inventivité, maturité, vitalité, singularité,  émotion rares

    -l’émotion, justement, ineffable, procurée par le supplément d’âme, la douceur et la douleur entremêlées de Still the water de Naomi Kawase, entre nage sous-marine filmée comme un ballet et travellings envoûtants exhalant la beauté et la fragilité ravageuses de la vie et de la nature

    -le choc du plan-séquence par lequel débute The Search et de la révélation d’un acteur qui y crève l’écran (Maxim Emelianov)

    -l’envoûtement de la danse éclairée par un doux halo de lumière dans Jimmy’s hall, d’une grâce infinie, ou l’entraînement de Foxcatcher chorégraphiée et filmée comme une danse

    -le rire grinçant suscité par le burlesque et finalement clairvoyant Relatos salvages

    - et, plus que tout, les larmes suscitées par la beauté flamboyante, étourdissante, de Timbuktu  de Sissako qui souligne avec tant d’intelligence la folie du fanatisme contre lequel il est un formidable plaidoyer dénué de manichéisme par une construction parfaite jouant savamment des contrastes : soleil  irradiant et illuminant une scène tragique, plan  mis en parallèle avec le précédent illustrant la drôlerie tragique de l’absurdité fanatique, début et fin se répondant avec une logique et violence implacables.

    -L’incompréhension face à son absence au palmarès tant chaque image, chaque visage sont d’une beauté inouïes éclairant magnifiquement les aspects les plus sombres de l’actualité.

    Correspondances et mises en abyme

    Cannes tisse aussi une toile arachnéenne avec les échos et tourments d’un monde paradoxal, multiple et uniforme qui raisonnent et résonnent comme la «joie et la souffrance » du Dernier Métro de Truffaut semblent rimer avec « L’œil gai et l’œil triste » de Gabin dans Le Jour se lève de Carné (Cannes Classics).

    Ainsi le plus jeune (Dolan) et le plus âgé (Godard) de cette compétition couronnés du prix du jury ex-æquo ont en commun l’amour fou du cinéma, l’audace, la connaissance parfaite de son langage qu’ils réinventent, magistralement comme des poèmes, hymnes à la liberté. Liberté. Titre, aussi, du poème d’Eluard, douce et terrible litanie dans le film de Cronenberg. Résonances.

    C’est l’écho entre des personnages de femmes fortes se battant  pour leur survie, Hilary Swank et Marion Cotillard. L’une dans un film crépusculaire qui revisite l’American dream et la mythologie du western (The Homesman), l’autre dans le bouleversant et ensoleillé portrait de femme qui se relève (Deux jours, une nuit).

    L’actrice incarnée par Julianne Moore dans Maps the stars d’une ambition carnassière, sinistre et cynique, semble, elle, être le négatif de Juliette Binoche éblouissante dans la sinueuse, lucide et brillante mise en abyme d’Assayas, personnages redoutant pareillement les ravages des ans.

    L’esquisse du portrait de Turner par Leigh en toiles riches de paradoxes, entre sensibilité de son art et rudesse du personnage, parallèle entre l’artiste peintre et l’artiste cinéaste, fait écho au film de Bonello sur Saint Laurent, « odyssée dans la tête du créateur », film de contrastes par lesquels il débute d’ailleurs. Homme dans l’ombre. Avec ses zones d’ombre.  Deux artistes face à leurs démons,  hommages créatifs aux génies mélancoliques.

    Correspondances entre la dureté et la poésie de Mommy et du Grand prix, Les Merveilles d’Alice Rohrwacher, deux films qui font s’enlacer brillamment tendresse et âpreté.

    Cannes, bulle d’irréalité, nous confronte aux terribles réalités du monde qui se répondent aussi : guerre de Tchétchénie (The Search), arbitraire de l’Etat en Russie  (Leviathan),  djihadistes au Mali (Timbuktu), ayant en commun de broyer l’innocence.

    Eloge de la durée

    Cannes c’est aussi une pause salutaire dans le flux et flot d’images hypnotiques qui caricaturent l’information au lieu de la mettre en lumière, pour laisser le temps à la pensée de s’exprimer. Lenteur finalement judicieuse :

    -dans Mr. Turner de Mike Leigh, tableau qui n’offre pas d’emblée toutes ses richesses au regard mais se dévoile peu à peu comme cet éléphant à peine perceptible sur cette toile de Turner.

    -ou encore les 3H16 de la palme d’or, Winter sleep de Nuri Bilge Ceylan, qui permettent d’appréhender son sens, magistral, du cadre et plus encore de la psychologie avec lesquels il capture aussi bien la complexité, la rudesse, l’hébétude et les contradictions des paysages que celles des cœurs plongés dans l’hiver. Film à la fois aride et lumineux comme ses personnages principaux que l’on quitte et abandonne à regret à leurs faiblesses désarmantes.

    Au-revoir les enfants

    Lors de l’ouverture, Lambert Wilson, maître de cérémonie, citait Desnos : « Ce que nous demandons au cinéma, c’est ce que l’amour et la vie nous refusent : le mystère et le miracle. » Miracle et mystère étaient au rendez-vous dans la fiction et la réalité entre lesquelles, là plus qu’ailleurs, la frontière est si étanche. Le miracle et le mystère des films précités. Le miracle du discours de clôture, bouleversant, de Xavier Dolan. Le mystère  du président du festival, Gilles Jacob, qui le quitte sur la pointe des pieds par un simple « au-revoir les enfants », d’une rare élégance, image éphémère sur l’écran du Théâtre Lumière, gravée  dans nos mémoires de cinéphiles reconnaissants envers celui qui a fait de Cannes ce qu’il est aujourd’hui : le plus grand évènement cinématographique au monde.

    Coupable, vous dis-je.

     Cet article sera publié dans le magazine papier Clap! de juin 2014.

    Catégories : CLÔTURE (cérémonies/films), EDITORIAUX, PALMARES Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer
  • Palmarès et clôture du Festival de Cannes 2014

    Retrouvez également cet article sur mes blogs Inthemoodforfilmfestivals.com, Inthemoodforcinema.com et Inthemoodforcannes.com . Toutes les photos de cet article sont la propriété exclusive de ce blog. Pour une meilleure visibilité et lisibilité de cet article, rendez-vous sur mon site Inthemoodlemag.com .

    Deux jours après la soirée de clôture, de retour de Cannes et pas encore tout à fait à la réalité, encore éblouie par les lumières cannoises et du 7ème art, je vais vous livrer un bilan plus émotionnel que cinématographique de cette 67ème édition puisque c’est dans mon article publié dans le magazine « Clap » (dont le premier numéro sera en kiosques le 18 juin) que vous pourrez cette année découvrir mon avis sur la compétition de cette 67ème édition dont j’ai une véritable vision d’ensemble puisque j’ai vu  les 18 films sélectionnés (et quels films !) ainsi que les films d’ouverture (« Grace de Monaco ») et de clôture (« Pour une poignée de dollars ») et quelques « séances spéciales » (« Caricaturistes, fantassins de la démocratie », « Kahlil Gibran’s the prophet ») et quelques films de la section Un Certain Regard (« Incompresa », « La chambre bleue », « Party girl ») sans oublier les courts-métrages de l’ADAMI. Bref, douze jours de grand cinéma et d’un voyage passionnant, une fenêtre ouverte sur le monde, ses aspirations et ses blessures, et sur le rêve.

    Cette année, c’est aux premières loges que j’ai eu le plaisir de vivre la soirée du palmarès après ces douze jours de parenthèse enchantée. Une dernière montée des marches sous un soleil insolent, inondées de frénésie, baignées d’euphorie, paroxysme de douze jours à la frontière entre cinéma et réalité, de plus en plus ténue au fil des jours et des projections au point de confondre peu à peu l’affiche et une Croisette ô combien fellinienne quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit à laquelle je l’arpentais.

     « Les meilleures choses ont une fin, pas les meilleurs films. Ils continuent à exister. Leurs souvenirs se mélangent en nous avec ceux de notre vie réelle. Ils nous accompagnent, nous apprennent à vivre » a ainsi déclaré Lambert Wilson lors de la clôture. Sans aucun doute, quelques films de cette 67ème édition resteront gravés dans ma mémoire à se confondre avec les souvenirs de ma propre vie, à les adoucir ou les éclairer. Le mystère et le miracle du cinéma pour reprendre les mots de Desnos cité par Lambert Wilson lors de l’ouverture : « Ce que nous demandons au cinéma c’est ce que l’amour et la vie nous refusent : le mystère et le miracle. Place au miracle. »

    A quelques minutes de l’annonce du palmarès, fébrile, la salle réagit à la montée des marches et ajuste ses pronostics, applaudit Sophia Loren, majestueuse, est parcourue d’un murmure admiratif en voyant Xavier Dolan gravir les marches dont le film a fait l’unanimité,  et accueille l’arrivée de Quentin Tarantino (qui présentera ensuite le film de Sergio Leone avec l’enthousiasme et la cinéphilie qui le caractérisent) parmi nous par une standing ovation. L’espace de quelques minutes, et plus que jamais, Cannes est le centre du monde du cinéma, se croit le centre du monde. Le brouhaha laisse bientôt place à un murmure d’impatience et à la musique qui précède le direct. Je frissonne immanquablement. Un peu de nostalgie déjà. D’impatience de connaître le verdict. Et du plaisir, ineffable, inaltérable, d’être là.

    Lambert Wilson apparaît sur scène, vêtu d’un costume grenat, d’une élégance teintée d’ironie à l’image de son discours : « Les grands démocrates de ce monde pourront élargir impunément leurs frontières et Godzilla redeviendra le film le plus important de la semaine. Le monde redeviendra illisible. Dès demain, il vous faudra écrire et réaliser des films pour tenter de nous rendre compréhensible », « Même si c’est old fashion nous avons décidé de vous annoncer le palmarès depuis cette merveilleuse salle du festival plutôt que de le rendre accessible en VOD pour 6, 99 euros. »

    Vient enfin l’heure du palmarès qui, après la palme d’or du court métrage, débute avec l’attribution de la caméra d’or à « Party girl », un film dont je vous avais dit à quel point il m’avait enthousiasmée, un film plein de vie et de délicatesse pour un sublime et touchant portrait de femme qui nous emporte dans sa fête joyeusement mélancolique.

    Visiblement remué, c’est Timothy Spall qui reçoit ensuite le prix d’interprétation masculine pour son interprétation magistrale du peintre Turner dans le film de Mike Leigh, déjà remarquable dans son « All or nothing ».  Un film et un personnage à la fois âpres, rudes et sublimes d’une belle exigence dans les nuances des âmes autant que dans celles des teintes et des peintures.

    C’est ensuite à l’actrice Julianne Moore qu’est attribué le prix d’interprétation féminine pour son rôle d’actrice cruelle, ravagée par l’ambition et craignant plus que tout de l’être par les années dans « Maps to the stars » de David Cronenberg, plongée lucide et cynique dans l’envers du décor d’Hollywood.

    Le prix du scénario a été attribué à « Léviathan » pour une écriture particulière sophistiquée, habile, d’inspiration biblique et qui le méritait incontestablement.

    Le prix de la mise en scène est revenu à « Foxcatcher », le seul prix vraiment incompréhensible pour moi. Si la réalisation est indéniablement maîtrisée, c’est aussi la plus classique de tous les films sélectionnés, la moins audacieuse.

    Le prix du jury a été attribué ex-æquo au plus jeune, Xavier Dolan, et au plus âgé  (Jean-Luc Godard), des cinéastes en compétition qui ont finalement en commun la folie, l’audace, l’amour fou du cinéma, des films qui utilisent les codes du cinéma pour mieux les renouveler, les transcender. Pour Jane Campion, Xavier Dolan est « un génie » et elle s’est dit « bouleversée par le film de Godard, tellement moderne, il n’y a plus de récit, le film est une sorte de poème qui m’a frappée, voilà un homme vraiment libre. Nous avons opté pour un prix ex-æquo. Nous devons beaucoup de choses à Godard. A bout de souffle a changé le cinéma et nous avons été d’accord pour lui donner ce prix ».

    Le Grand prix est revenu au film italien « Les merveilles » d’Alice Rohrwacher. L’impression de vérité, la vie, la sincérité, qui en émanent justifient ce prix peut-être plus du cœur que de la raison mais c’est cela aussi le cinéma, se laisser porter, emporter par les émotions.

    Enfin, la palme d’or a été attribuée à « Winter sleep », le film de 3H16 de Nuri Bilge Ceylan dont je vous avais dit le soir de sa projection à quel point je ne les avais pas vues passer tant ce film est maîtrisé, d’une rare finesse psychologique, d’une beauté triste envoûtante, d’une lucidité admirable. Trop nombreux sont les festivaliers ou les journalistes à avoir critiqué ce film sans même l’avoir vu. Une palme d’or moins évidente que celle qui aurait pu/dû revenir à Sissako mais non moins méritée. J’avais été captivée par le sens du cadre et plus encore celui de la psychologie de Nuri Bilge Ceylan qui sait aussi bien capturer la rudesse des paysages que celle des cœurs, les paysages et les âmes plongés dans l’hiver. Un film à la fois aride et lumineux comme ses personnages principaux que l’on quitte et abandonne à regret à leurs faiblesses attendrissantes et solitudes désarmantes.  Jane Campion a ainsi justifié cette palme d’or lors de la conférence de presse du jury : «  Ce que j’ai apprécié dans Winter sleep : je me suis assise et ce film avait un rythme tellement merveilleux que j’aurais pu rester deux heures de plus. Comme une nouvelle de Tchekhov avec des personnages qui se torturent avec beaucoup d’intelligence. Une confrontation avec beaucoup de sophistication. »

    Pour moi, un film restera néanmoins à jamais gravé dans ma mémoire, c’est « Timbuktu » d’Abderrahmane Sissako. Un film d’une beauté flamboyante qui exacerbe encore la cruauté et la folie du fanatisme qu’il dénonce, sans manichéisme, mais avec une intelligence redoutable. Le film parfaitement construit (début et fin se répondant, plans d’une violence implacable) est comme une démonstration sur le cercle vicieux de la bêtise du fanatisme. Chaque plan est parfait, alliant savamment les contrastes parfois dans la même image (le soleil irradie et illumine une scène profondément triste ou un plan  mis en parallèle avec le précédent illustre toute l’absurdité criminelle et tragiquement drôle du fanatisme). Du début à la fin, j’ai été éblouie par ce film qui relève pour moi de la perfection et dont chaque image, chaque visage (d’une beauté inouïes) resteront gravées en moi. Un film immense. Non seulement le film de ce festival mais aussi le film de l’année. Parce que tout concourt à en faire un très grand film: photographie, mise en scène, écriture mais aussi parce que son sujet est en résonance avec l’actualité et éclaire magnifiquement ses aspects les plus sombres, ce film méritait indéniablement la palme d’or même si Xavier Dolan méritait la palme de l’inventivité, la maturité, la vitalité, la singularité et l’émotion pour son poignant « Mommy ».

     Cette cérémonie de clôture a été riche en émotions. Bien sûr parce qu’elle marquait la fin de douze jours de parenthèse enchantée mais aussi la fin de la présidence de Gilles Jacob  qui l’a quittée avec l’élégance et la discrétion qui le caractérisent. Son « au revoir les enfants » inscrit sur l’écran du Grand Théâtre Lumière était d’une simplicité bouleversante et résumait toute la classe et la tendre ironie de celui qui a permis que le Festival de Cannes devienne ce qu’il est aujourd’hui, le plus important évènement cinématographique au monde. Une personne rare dont la curiosité insatiable, l’élégance, la clairvoyance et malgré cela l’étonnement constant ne cesseront de forcer mon admiration qu’il m’est plus facile de clamer après son départ, sans être soupçonnée de flagornerie. Merci M. Jacob.

    Et puis, que dire du discours de Xavier Dolan qui m’a émue autant que l’avait fait son film. Des mots quin ont profondément résonné en moi. Un discours qui résume toute la force et la beauté de la création artistique, la violence et la légèreté surtout qu’elle suscite, qui permet de croire que, malgré les terribles vicissitudes de l’existence, tout est possible. Tout reste possible. Merci Xavier Dolan pour ce moment d’émotion sincère et partagé, pour ces films à votre image, vibrants de vie, de passion, de générosité, d’originalité, de folie, de singularité, d’intelligence. J’aurais aimé vous dire tout cela lorsque je vous ai croisé lors du dîner de clôture. Mais redoutant que mes mots ne soient à la hauteur de mes émotions et de la vôtre, j’ai préféré me taire et rester avec les mots si vibrants de votre discours dont voici un extrait :

     « Une note pour les gens de mon âge, les jeunes de ma génération. Ce sont les notes des dernières années dans ce monde de fous. Malgré les gens qui s’attachent à leurs goûts et n’aiment pas ce que vous faites, mais restez fidèles à ce que vous êtes.  Accrochons nous à nos rêves, car nous pouvons changer le monde par nos rêves, nous pouvons faire rire les gens, les faire pleurer. Nous pouvons changer leurs idées, leurs esprits. Et en changeant leurs esprits nous pouvons changer le monde. Ce ne sont pas que les hommes politiques et les scientifiques qui peuvent changer le monde, mais aussi les artistes. Ils le font depuis toujours. Il n’y a pas de limite à notre ambition à part celles que nous nous donnons et celles que les autres nous donnent. En bref, je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais. Et puisse ce prix en être la preuve la plus rayonnante ».

     Pour terminer, avant de vous récapituler le palmarès ci-dessous, rappelez-vous, dans mon article avant le festival, je vous livrais un petit « j’aime, j’aime pas » cannois, le voici à nouveau ci-dessous avec quelques ajouts et modifications suite à ces douze jours au cœur de Cannes. Je vous donne donc rendez-vous dans « Clap » pour mon compte rendu cinématographique et sur mes blogs, du 10 au 17 juin, pour la troisième édition du Champs-Elysées Film Festival dont j’ai le plaisir de faire partie du jury mais aussi la semaine prochaine pour les trophées Tribway du meilleur blog dont je fais partie des finalistes et évidemment pour les 40 ans du Festival du Cinéma Américain de Deauville en septembre…notamment !

    A Cannes, j’aime :

    -entendre le petit cliquetis lorsque les contrôleurs scannent les badges à l’entrée de la salle Debussy ou du Grand Théâtre Lumière comme un passeport pour le paradis, celui des cinéphiles,

    -me laisser envoûter par le lever du soleil en allant à la première projection presse du matin sur une Croisette alors étrangement déserte et avoir l’impression que le monde m’appartient,

    -oublier que ce tourbillon enivrant de cinéma ne durera pas toujours et que des illusions s’y perdent, aussi, souvent, brutalement,

    -oublier, l’espace de douze jours, que la vraie vie n’est pas du cinéma ou n’est pas que du cinéma,

    -avoir le cœur qui bat la chamade en entrant dans le Grand Théâtre Lumière, comme la première fois, comme pour un premier rendez-vous, notre premier rendez-vous,

    -ce moment palpitant lorsque la salle s’éteint et avant que s’allume l’écran où le souffle de la salle est suspendu à ces premières images qui nous embarqueront pour un nouvel univers, un nouveau monde, une nouvelle aventure, un nouveau rêve,

    -ne plus faire la distinction entre le jour et la nuit, la fiction et la réalité, mes souvenirs et mon imaginaire, l’affiche de Fellini et une Croisette aux accents felliniens,

    -avoir l’impression que tout recommence et que tout est possible, et même croire, l’espace de douze jours hors de la réalité, que ce deuil  qui me ravageait avant de partir et qui n’a jamais quitté mes pensées, n’était qu’un terrible cauchemar, qu’une illusion de plus,

    -entendre Gilles Jacob et Thierry Frémaux partager leur passion du cinéma, avec un constant enthousiasme, rivalisant d’humour et d’érudition,

    -ce moment à la fin du film où, aussi, la salle retient son souffle, avant de se taire ou d’applaudir,

    -lorsque les applaudissements semblent ne devoir jamais arrêter leur course folle telle une vague contagieuse de bonheur,

    - cette bulle d’irréalité où les émotions, les joies réelles et cinématographiques, si disproportionnées, procurent un sentiment d’éternité fugace et déroutant,

    - cet ailleurs proche qui abolit les frontières entre fiction et réalité, qui vous fait tout oublier, même que cela ne dure qu’un temps,

    -l’ombre parallèle d’un miroir,

    - celui qui, de toute façon, sortira vainqueur  et qui vous fait oublier tout le reste: le cinéma presque dissimulé derrière tous ceux qui font le leur, le cinéma si multiple, si surprenant, si audacieux, si magique, là plus qu’ailleurs,

    -parler cinéma  à toute heure du jour et de la nuit, avec des amis ou des inconnus dans les files d’attente( le cinéma: langage universel) avec virulence parfois, comme si la vie en dépendait,

    -redécouvrir des classiques du cinéma, ceux par lesquels j’ai commencé à l’aimer et se dire que la boucle est bouclée et que tout recommence, toujours,

    -découvrir des bijoux du septième art et en être exaltée,

    -être heurtée, brusquée par un film et en être exaltée, aussi, malgré tout,

    -gravir les marches les plus célèbres du monde au son de la musique sous un soleil éblouissant et, l’espace d’un instant, être envahie par l’irréalité étincelante que procure ce moment qui suspend le vol du temps,

    -entendre Aquarium de Camille de Saint-Saëns et savoir que la magie va à nouveau opérer,

    -sortir d’une projection tardive, un peu étourdie, éblouie, arpenter la Croisette et avoir l’impression de me retrouver dans un film de Fellini, encore,

    -retrouver la Croisette, celles et ceux, festivaliers, que je ne croise qu’une fois par an là-bas et avoir l’impression de les avoir quittés la veille. Le cinéma: langage intemporel, aussi,

    -me souvenir de la petite fille que j’étais qui, avec son père, à la télévision, regardait tout cela de loin, fascinée, impressionnée, comme un monde lointain et inaccessible et avoir conscience de ma chance et à quel point cette passion pour le cinéma est exaltante et, au milieu des vicissitudes de l’existence, salutaire, et à quel point, et m’a fait vivre et me fait vivre tant de moments inoubliables, en particulier à Cannes,

    -repartir de Cannes avec des envies d’écriture, portées par les illusions enchanteresses, les désillusions fracassantes, du festival

    Je n’ignore pas qu’à Cannes il y a aussi tous ceux qui font leur cinéma, théâtre des vanités destructeur et  assassin et pour cette raison,

    à Cannes, j’aime moins:

    - les parures d’orgueil que revêtissent ainsi ceux qui s’y donnent l’illusion d’exister,

    - les semblants d’amitiés piétinés sans vergogne pour grimper dans l’échelle de la vanité,

    - les personnalités qui se révèlent, tristement parfois, dans ce théâtre des apparences,

    - l’exacerbation par la hiérarchie festivalière des rancœurs de ceux qui sont en bas et la vanité de ceux qui sont en haut qui croient y déceler là un signe de leur supériorité, et qui oublient que, au bout de dix jours, l’égalité et la réalité reprendront leurs droits,

    - les Dorian Gray, Georges Duroy, Rastignac, Lucien de Rubempré (de pacotille) qui s’y croisent, s’y défient, s’y méprisent…et finalement s’y perdent,

    - la célérité avec laquelle Cannes passe de l’adoration à la haine : la violente versatilité de la Croisette, sa capacité à déifier puis piétiner, avec la même pseudo-conviction et force,

    -ceux qui vous disent « LE » Téchiné, « LE » Dolan au lieu du film de…, pour bien signifier qu’ils appartiennent à un cercle d’initiés, les mêmes qui parleront systématiquement (que) de daubes (que j’exècre ce mot!) ou de chefs-d’œuvre ne connaissant pas la demi-mesure et la nuance et les mêmes qui mettront invariablement « pour le coup » dans chacune de leurs critiques (mais qui a initié cette expression passe-partout?),

    - le pathétique acharnement de certains pour paraître cyniques, désabusés, blasés, désinvoltes, las,

    -les amis d’autrefois dont l’indifférence, le silence ou l’incapacité à prononcer ces mots si simples et salutaires « mes condoléances » est comme un couteau dans la plaie béante et invisible de ce deuil récent et inconcevable,

    -Les soirées sans fin, sans faim à force d’être enchaînées pour certains. La foule impérieuse du festival qui, mieux que nulle autre, sait être passionnément exaltée et aussi impitoyable avec la même incoercible exaltation,

    -la versatilité des personnalités et avis pour un sursaut de vanité, même si je sais que tant d’illusions s’y fracassent, que Cannes peut encenser, broyer, magnifier, dévaster et en a perdu certains et tant à force de les éblouir, les fasciner, les aliéner,

    -ceux qui montent les marches…pour les redescendre ensuite sans même aller voir le film et qui mépriseront en sortant ceux qui ne rêvaient que de cela,

    -ceux qui viennent à Cannes et disent que c’est forcément mieux ailleurs, que c’était forcément mieux avant, que, forcément, ils ne pouvaient pas faire autrement, parce qu’oubliant ou justement se rappelant très bien tous ceux qui aimeraient avoir leur chance,

    -préférer l’écriture nocturne au sommeil  pour partager ma passion pour les films …et réaliser que le dernier jour je peine à rester aussi attentive devant un film pourtant captivant,

    -quand Cannes  se révèle un véritable terrain de guerre où chacun ne lutte que pour son intérêt, et qui révèle les veuleries de certains,

    - arriver le jour de la clôture, avoir l’impression que le festival vient de commencer et l’avoir traversé comme un rêve éveillé (mais ça, j’aime, aussi).

     Je vous laisse avec le palmarès et avec, encore en tête, la voix inimitable de Depardieu lisant Khalil Gibran lors d’une séance spéciale de cette 67ème édition  ou prononçant cette célèbre phrase du film de Truffaut « Le dernier métro » revu avec un immense plaisir dans le cadre de Cannes Classics : « Tu es si belle que te regarder est une souffrance. (Hier, tu disais que c’était une joie.) C’est une joie et une souffrance. »

     PALMARES DU 67ème FESTIVAL DE CANNES :

    En Compétition :

    Longs métrages

    Palme d’or

    WINTER SLEEP Réalisé par Nuri Bilge CEYLAN

     Grand Prix

     LE MERAVIGLIE (LES MERVEILLES) Réalisé par Alice ROHRWACHER

     Prix de la mise en scène

     Bennett MILLER pour FOXCATCHER

     Prix du scénario

     Andrey ZVYAGINTSEV, Oleg NEGIN pour LEVIATHAN

     Prix d’interprétation féminine

     Julianne MOORE dans MAPS TO THE STARS Réalisé par David CRONENBERG

     Prix d’interprétation masculine

     Timothy SPALL dans MR. TURNER Réalisé par Mike LEIGH

     Prix du Jury

     MOMMY Réalisé par Xavier DOLAN

     ADIEU AU LANGAGE Réalisé par Jean-Luc GODARD

     Courts métrages

     Palme d’or du court métrage

     LEIDI Réalisé par Simón MESA SOTO

     Mention spéciale – court métrage

     AÏSSA Réalisé par Clément TREHIN-LALANNE

     JA VI ELSKER Réalisé par Hallvar WITZØ

     Un Certain Regard :

     Prix Un Certain Regard

     FEHÉR ISTEN Réalisé par Kornél MUNDRUCZÓ

     Prix du Jury – Un Certain Regard

     TURIST (FORCE MAJEURE) Réalisé par Ruben ÖSTLUND

    Prix spécial Un Certain Regard

     THE SALT OF THE EARTH (LE SEL DE LA TERRE) Réalisé par Wim WENDERS, Juliano RIBEIRO SALGADO

     Prix d’ensemble

     PARTY GIRL Réalisé par Claire BURGER, Samuel THEIS, Marie AMACHOUKELI

     Prix du meilleur acteur

     David GULPILIL dans CHARLIE’S COUNTRY (LE PAYS DE CHARLIE) Réalisé par Rolf DE HEER

     Cinéfondation :

    Premier Prix de la Cinéfondation

     SKUNK Réalisé par Annie SILVERSTEIN

     Deuxième Prix de la Cinéfondation

     OH LUCY! Réalisé par Atsuko HIRAYANAGI

     Troisième Prix de la Cinéfondation Ex-aequo

     LIEVITO MADRE Réalisé par Fulvio RISULEO

     THE BIGGER PICTURE (LE TABLEAU D’ENSEMBLE) Réalisé par DAISY JACOBS

     Caméra d’or :

     Caméra d’or

     PARTY GIRL Réalisé par Samuel THEIS, Claire BURGER, Marie AMACHOUKELI

    A lire également - épisodes précédents :

    -mon article « Programme complet du Festival de Cannes 2014 et passion(s) cannoise(s) 

    -Festival de Cannes – Episode 1: Cérémonie d’ouverture et projection de « Grace de Monaco » d’Olivier Dahan

    -Festival de Cannes 2014 – Episode 2 : « Mr Turner » de Mike Leigh, ouverture d’Un Certain Regard et « Party girl »

    -Festival de Cannes 2014 – Episode 3 : Egoyan, Amalric, Ceylan, Bonello,
    Ulliel, Truffaut, Depardieu et les autres

    -Cannes Classics: analyse « Le jour se lève » de Marcel Carné

    -Quelques clichés en attendant l’épisode 4 de mes pérégrinations cannoises

    -Clôture et palmarès du 67ème Festival de Cannes: mes pronostics

    Catégories : PALMARES Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer
  • Palmarès du Festival de Cannes 2014 : pronostics

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    Un bon festival est d’ailleurs souvent comme un grand film vous laissant heureux et exténué, joyeusement nostalgique et doucement mélancolique, riche d’émotions et de réflexions, souvent contradictoires , et il faut souvent un peu de recul pour appréhender ces multiples réflexions et émotions qu’il a suscitées, pour découvrir quelles images auront résisté à l’écoulement du temps, aux caprices de la mémoire, à ce flux et flot d’informations ininterrompues, vous disais-je dans mon article avant le festival consacré à ma passion cannoise.

    Je vais donc me contredire puisque c'est sans le recul nécessaire et encore bouleversée par le film que je viens de voir, "Timbuktu" d'Abderrahmane Sissako, que je vous livre ici mes choix pour le palmarès que je vous commenterai ce soir après la clôture à laquelle j'aurai le plaisir d'assister.

    Quant à mon compte rendu du festival, c'est dans le tout nouveau magazine "Clap" (en kiosques le 16 juin) que vous pourrez le lire même si vous retrouverez ici prochainement mes critiques des films en sélection officielle.

    PALME D'OR

     

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    Pour moi, et pas seulement parce que je l'évoque sous le coup de l'émotion qui m'a submergée et me submerge encore, un film domine largement cette compétition c'est "Timbuktu" d'Abderrahmane Sissako. Un film d'une beauté flamboyante qui exacerbe encore la cruauté et la folie du fanatisme qu'il dénonce, sans manichéisme, mais avec une intelligence redoutable. Le film parfaitement construit (début et fin se répondant, plans d'une violence implacable) est comme une démonstration sur le cercle vicieux de la bêtise du fanatisme. Je voudrais avoir le temps de vous en parler des heures. Chaque plan est parfait, alliant savamment les contrastes parfois dans la même image (le soleil irradie et illumine une scène profondément triste ou un plan  mis en parallèle avec le précédent illustre toute l'absurdité criminelle et tragiquement drôle du fanatisme). Du début à la fin, j'ai été éblouie par ce film qui relève pour moi de la perfection et dont chaque image, chaque visage (d'une beauté inouïes) resteront gravées en moi. Un film immense. Non seulement le film de ce festival mais aussi le film de l'année. Parce que tout concourt à en faire un très grand film: photographie, mise en scène, écriture mais aussi parce que son sujet est en résonance avec l'actualité et éclaire magnifiquement ses aspects les plus sombres, ce film mérité indéniablement la palme d'or même si Xavier Dolan mériterait la palme de l'inventivité, la maturité, la vitalité, la singularité et l'émotion pour son poignant "Mommy". A mon avis, trois films peuvent prétendre à la palme d'or:

    "Timbuktu" d'Abderrahmane Sissako

    "Mommy" de Xavier Dolan (ce qui ferait de lui le plus jeune lauréat de la récompense suprême)

    "Still the water" de Naomi Kawase pour sa beauté mélancolique, sa poésie sombre, son universalité.

    GRAND PRIX DU JURY

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    Idem que pour la palme d'or. J'attribuerais pour ma part ce prix à Xavier Dolan qui signe avec "Mommy" son meilleur film, le plus abouti. Un film qui vous touche droit au cœur. (Je l'attribuerais évidemment à Sissako s'il n'obtient pas la palme d'or qu'il mérite).

    Les Dardenne pourraient aussi être de sérieux prétendants avec le bouleversant et ensoleillé portrait de femme qui se relève qu'est leur film "Deux jours, une nuit".

    PRIX DU JURY

    Je ne vais pas me contredire et donc ce troisième prix, je l'attribuerais à Naomi Kawase pour "Still the water" pour les raisons précédemment évoquées.

    Mais... allez savoir: qui sait si le jury ne pourrait récompenser "Adieu au langage" de Jean-Luc Godard ou pourquoi pas décerner un prix spécial pour ce film qui agace ou fascine, déconstruit l'écriture cinématographique et multiplie les références pour nous égarer dans sa pensée absconse.

    J'aurais aussi envie d'attribuer ce prix à "Mr. Turner" de Mike Leigh qui mérite aussi incontestablement sa place au palmarès. Un film et un personnage à la fois âpres, rudes et sublimes d’une belle exigence dans les nuances des âmes autant que dans celles des teintes et des peintures.

    Autre prétendant sérieux: "Winter sleep" de Nuri Bilge Ceylan par lequel j'ai été captivée pour son sens du cadre et plus encore celui de la psychologie du réalisateur qui sait aussi bien capturer la rudesse des paysages que celle des cœurs, les paysages et les âmes plongés dans l’hiver. Un film à la fois aride et lumineux comme ses personnages principaux que l’on quitte et abandonne à regret à leurs faiblesses attendrissantes et solitudes désarmantes.

    "Relatos salvajes" de Damian Szifron pour l'incontestable originalité avec laquelle il montre comment la civilisation peut dégénérer en barbarie pourrait aussi recevoir ce prix.

    PRIX D'INTERPRETATION MASCULINE

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    Je décernerais ce prix  à un acteur dont j'admire le travail depuis longtemps qui m'avait déjà bouleversée dans "All or nothing" de Mike Leigh, Timothy Spall, parfait pour interpréter  les contrastes de cet homme entre l’extrême sensibilité qu'il met dans son art et la rudesse de ses manières, entre les tourments qu’il exprime dans ses toiles et ceux qu’il ne parvient pas à exprimer autrement, réussissant à peindre les tempêtes qui s’agitent sur les océans et dans son crane mais jamais à les expliciter. 

    Le jeune acteur de "Mommy" Antoine-Olivier Pilon le mériterait également pour sa composition de cet adolescent impulsif et violent, ce serait aussi une manière de récompenser le travail de directeur d'acteurs de Xavier Dolan.

    La composition nuancée de Gaspard Ulliel dans le rôle de Saint Laurent qu'il porte sur ses épaules pourrait également être récompensée.

    Le jeune Maxim Emelianov crève également l'écran dans "The Search" de Michel Hazanavicius.

    Je précise que je n'ai pas vu (et rattraperai demain) "Foxcatcher", Steve Carell étant aussi pressenti pour recevoir ce prx.

    Enfin, l'acteur de Léviathan Alexey Serebryakov est aussi un sérieux prétendant au titre.

    PRIX D'INTERPRETATION FEMININE

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    Mon cœur balance entre trois interprètes:

    -Marion Cotillard dans "Deux jours, une nuit". Lui attribuer ce prix serait aussi une manière de récompenser le formidable travail de directeurs d'acteurs qu'accomplissent ici, une fois de plus, les frères Dardenne

    -Julienne Binoche éblouissante dans la sinueuse, brillante, lucide et passionnante mise en abyme d'Olivier Assayas "Sils Maria", déjà lauréate de cette récompense pour le magistral "Copie conforme" de Kiarostami.

    -Anne Dorval dans "Mommy" de Xavier Dolan parce qu'elle est une Mommy magistrale, qu'elle incarne cette femme avec un mélange fascinant de douceur, de dureté (apparente) et d'extravagance.

    PRIX DE LA MISE EN SCENE

    Si, à ma grande déception, Sissako n'obtenait pas la palme d'or ou le grand prix, il mériterait également ce prix de la mise en scène (même si ce serait pour moi réducteur de lui attribuer "seulement" le prix de la mise en scène). Je l'attribuerais donc soit à Zvyaguintsev, à Leigh ou Ceylan s'ils n'ont pas obtenu un des prix précédemment évoqués.

    PRIX DU SCENARIO

    La passionnante mise en abyme d'Olivier Assayas pourrait prétendre à ce prix.

     

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    Les Dardenne aussi pour leur "réécriture" de "12 hommes en colère" mais également Damian Szifron pour la logique implacable avec laquelle chacune de ses histoires dégénère dans la violence.

     Par ces brefs pronostics (je réfléchis ci-dessus à "haute voix", mes choix figurent en gras), vous aurez compris les films par lesquels j'ai été le plus enthousiasmée. Avant le festival, je le qualifiais de "bulle d’irréalité où les émotions, les joies réelles et cinématographiques, si disproportionnées, procurent un sentiment d’éternité fugace et déroutant". Cette année n'a pas dérogé à la règle, me plongeant dans une palpitante, déroutante, hypnotique fenêtre ouverte sur le monde et sur les rêves.

    Rendez-vous ce soir pour la cérémonie de clôture. Je vous invite à me suivre en direct sur twitter sur @moodforcinema et @moodforcannes.

    Catégories : CLÔTURE (cérémonies/films) Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer
  • Critique de SILS MARIA d'Olivier Assayas - Compétition officielle

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    Synopsis: À dix-huit ans, Maria Enders a connu le succès au théâtre en incarnant Sigrid, jeune fille ambitieuse et au charme trouble qui conduit au suicide une femme plus mûre, Helena. Vingt ans plus tard on lui propose de reprendre cette pièce, mais cette fois de l'autre côté du miroir, dans le rôle d'Helena...

     Olivier Assayas est un habitué de la Croisette. Il y revient ainsi après Demonlover (sélection officielle en 2002), Clean (prix d'interprétation féminine pour Maggie Cheung en 2004) et Carlos (présenté hors compétition en 2010).

     Le serpent de Maloja est un étirement en bande de nuages bas observé en automne. Il s'allonge de Sils Maria à Silvaplana allant jusqu’à St Moritz et laisse encore aujourd'hui les spécialistes perplexes de lorsque  les vents de l'Engadine, des vents de nuit à courant descendant, s'observent en plein jour. Ce serpent métaphorise le film: sinueux, fascinant, trouble, troublant.

    Le cinéma n'est bien sûr pas avare de films sur le cinéma, celui-ci présente d'ailleurs des similitudes avec l'un de ses illustres prédécesseurs, "Eve". Le deuil dès les premières minutes place le film sous une couleur sombre. Le début du déclin pour cette actrice pourtant encore dans la force de l'âge?

    Le film s'oriente ensuite sur  les rapports troubles et troublants  entre Maria et Valentine, à la fois répétitrice, assistante, (amie?), entre envie, jalousie et altruisme.

    Puis, c'est le passé qui ressurgit, un rôle emblématique dans la carrière d'une actrice, marquée par celui-ci, qui se confond avec celui-ci.

    Chaque scène est alors empreinte de gravité, de profondeur, de multiples sens, et le jeu même de la comédienne se prête à de multiples interprétations, la frontière entre la pièce et la réalité étant constamment et de plus en plus floue. Le film en devient aussi palpitant que ludique et, un peu à l'image de sa prestation magistrale dans "Copie conforme", Juliette Binoche joue de telle façon qu'elle brouille nos repères. Les scènes dans la montagne où tout semble alors pouvoir survenir sont d'une tension rare. Un rôle qui pourrait valoir à Juliette Binoche à nouveau le prix d'interprétation qui ne serait nullement usurpé.

    Et un grand film  très ancré dans son époque, sa violence médiatique, un film sur l'étanchéité des frontières entre l'art et la vie, et l'implacable violence du temps qui passe. Un film au charme vénéneux, un jeu de miroirs et de reflets mélancolique, envoûtant et brillant au propre comme au figuré. Et réellement fascinant. Ou quand la vie devient un art... Et une révélation: Kristen Stewart, d'une justesse remarquable.

    Complément - Critique de "Copie conforme" de Kiarostami

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    « Copie conforme » est le premier film du cinéaste iranien tourné hors de ses frontières, un film qu'il a écrit pour Juliette Binoche.

    Face à James (William Shimell), un écrivain quinquagénaire anglo-saxon qui donne en Italie, à l'occasion de la sortie de son dernier livre, une conférence ayant pour thème les relations étroites entre l'original et la copie dans l'art elle est une jeune femme d'origine française, galeriste qu'il rencontre. Ils partent ensemble pour quelques heures à San Gimignano, petit village près de Florence. Comment distinguer l'original de la copie, la réalité de la fiction ? Ils nous donnent ainsi d'abord l'impression de se rencontrer puis d'être en couple depuis 15 ans.

    Selon James, lors de sa conférence,  une bonne copie peut valoir un original et tout le film semble en être une illustration. James et la jeune femme semblent jouer à « copier » un couple même si la réponse ne nous est jamais donnée clairement. Peut-être est-elle folle ? Peut-être entre-t-elle dans son jeu ? Peut-être se connaissent-ils réellement depuis 15 ans ? Ce doute constitue un plaisir constant pour le spectateur qui devient alors une sorte d'enquêteur cherchant dans une phrase, une expression une explication. Il n'y en aura pas réellement et c'est finalement tant mieux.

    Ainsi Kiarostami responsabilise le spectateur. A lui de construire son propre film. Les personnages regardent souvent face caméra en guise de miroir, comme s'ils se miraient dans les yeux du spectateur pour connaître leur réelle identité. « Copie conforme » est donc un film de questionnements plus que de réponses et c'est justement ce qui le rend si ludique, unique, jubilatoire. Le jeu si riche et habité de Juliette Binoche, lumineuse et sensuelle, peut ainsi se prêter à plusieurs interprétations.

    Un film qui nous déroute, un film de contrastes et contradictions, un film complexe derrière une apparente simplicité. A l'image de l'art évoqué dans le film dont l'interprétation dépend du regard de chacun, le film est l'illustration  pratique de la théorie énoncée par le personnage de James. De magnifiques et longs plans-séquences, des dialogues brillants, une mise en scène d'une redoutable précision achèvent de faire de ce film en apparence si simple une riche réflexion sur l'art et sur l'amour.

    William Shimell (chanteur d'opéra dont c'est le premier rôle) et Juliette Binoche excellent et sont aussi pour beaucoup dans cette réussite. Un film sur la réflexivité de l'art  qui donne à réfléchir. Un dernier plan délicieusement énigmatique et polysémique qui signe le début ou le renouveau ou la fin d'une histoire plurielle. Un très grand film à voir absolument. Un vrai coup de cœur.

    « Copie conforme » est le 9ème film présenté à Cannes par Kiarostami qui a par ailleurs été membre du jury longs métrages  en 1993, du jury de la Cinéfondation en 2002 et Président du jury de la Caméra d'Or en 2005. Enfin, il a  remporté la Palme d'Or en 1997 pour "Le goût de la cerise."

    Juliette Binoche raconte ainsi sa rencontre avec Kiatostami: "Je suis partie en Iran rencontrer Abbas (je l'avais croisé à Cannes, à l'Unesco, chez Jean-Claude Carrière). Il m'a dit "Viens à Téhéran !". Je l'ai cru, j'y suis allée, deux fois. Un soir il m'a raconté l'histoire que nous avons tourné ensemble cet été, il m'a raconté chaque détail, le soutien-gorge, le restaurant, l'hôtel, bref, il m'a dit que c'était une histoire qui lui était arrivée. A la fin, après avoir parlé pendant 45 minutes dans un anglais impeccable, il m'a demandé : "Tu me crois ?". Je lui ai dit : "Oui". Il m'a dit : "Ce n'est pas vrai !". Je suis partie d'un éclat de rire qui lui a donné envie de faire ce film, je crois !", explique-t-elle.

    Catégories : COMPETITION OFFICIELLE Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer
  • Critique de MOMMY de Xavier Dolan

     

    Mommy, c’est Diane Després (Anne Dorval), surnommée…Die (l’ironiquement bien nommée), une veuve qui hérite de la garde de son fils, Steve, un adolescent TDAH impulsif et violent (Antoine-Olivier Pilon). Ils tentent de surmonter leurs difficultés, notamment financières. Sur leurs routes, ils vont trouver Kyla (Suzanne Clément), l’énigmatique voisine d’en face, qui va leur venir en aide.

    Il y a des films, rares, singuliers, qui possèdent ce supplément d’âme ineffable, qui exhalent cette magie indicible (la vie, au fond,  cette « vitalité » dont Truffaut parlait à propos des films de Claude Sautet, on y revient…) qui vous touchent en plein cœur, qui vous submergent d’émotion(s). Au-delà de la raison. Oui, c’est cela : un tourbillon d’émotions dévastatrices qui emportent notre raison avec elles. Comme un coup de foudre…Un coup de foudre cinématographique est comme un coup de foudre amoureux. Il rend impossible toute raison, tout raisonnement, il emporte notre rationalité, nous transporte, nous éblouit, et nous donne une furieuse envie d’étreindre le présent et la vie. Et de croire en l’avenir.

    La situation vécue par Diane et son fils est âpre et chaotique mais Xavier Dolan l’auréole de lumière, de musique et d’espoir. Dès les premières minutes, avec ces éclats de lumière et du soleil qui caressent Diane, la magie opère. Xavier Dolan nous happe dans son univers pour ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière, bouleversante, seconde. Un univers éblouissant, étourdissant, dans la forme comme dans le fond qui envoûte, électrise, bouleverse, déroute. En un quart du seconde, il nous fait passer du rire aux larmes, mêlant parfois les deux, mêlant aussi l’emphase et l’intime (il n’est finalement pas si étonnant que Titanic  soit un de ses films de prédilection) avec pour résultat cette émotion, ce mélodrame poignant, poétique, fougueux, étincelant, vivace. Débordant de vie.

    Certaines scènes (nombreuses) sont des moments d’anthologie, parfois à la frontière entre (mélo)drame et comédie. Il y a  notamment cette scène onirique qui raconte ce que la vie aurait pu être « si » Steve n’avait pas été malade et qui m’a bouleversée. Que peut-il y avoir de plus bouleversant que de songer à ce que la vie pourrait être « si »…? Ou encore cette scène où, dans un karaoké, si fier, Steve chante Andrea Bocelli, sous les quolibets, et alors que sa mère a le dos tourné, nous faisant éprouver avec lui la douleur qu’il ressent alors, la violence, contenue d’abord, puis explosive.

    Mommy, c’est donc Anne Dorval qui incarne avec une énergie débordante et un charme et un talent irrésistibles cette mère révoltée, excentrique et pudique, exubérante, malicieuse, forte et blessée qui déborde de vitalité et surtout d’amour pour son fils. Suzanne Clément, plus en retrait, mal à l’aise avec elle-même (elle bégaie) et la vie,  est tout aussi touchante et juste, reprenant vie au contact de Diane et son fils, comme elle, blessé par la vie, et communiquant difficilement. Ces trois-là vont retrouver l’espoir au contact les uns des autres, se charmer, nous charmer. Parce que si le film raconte une histoire dramatique, il déborde de lumière et d’espoir. Un film solaire sur une situation sombre, à la fois exubérant et pudique, à l’image de Diane.

    Le film ne déborde pas seulement de lumière et d’espoir mais aussi d’idées brillantes et originales comme le format 1:1 qui n’est pas un gadget ou un caprice mais un vrai parti pris formel qui crée une véritable résonance avec le fond (Xavier Dolan l’avait déjà utilisé sur le clip College Boy d’Indochine en 2013) sans parler de ce format qui se modifie au cours du film (je vous laisse découvrir quand et comment, scène magnifique) quand l’horizon s’élargit pour les trois protagonistes.  Par ce procédé et ce quadrilatère, le visage -et donc le personnage- est au centre (tout comme il l’est d’ailleurs dans les films de Claude Sautet, et si Un cœur en hiver est mon film préféré, c’est notamment parce que ses personnages sont d’une complexité passionnante). Grâce à ce procédé ingénieux, rien ne distrait notre attention qui en est décuplée.

    Les films de Xavier Dolan, et celui-ci ne déroge pas à la règle, se distinguent aussi par une bande originale exaltante, entraînante, audacieuse, judicieuse, ici Céline Dion, Oasis, Dido, Sarah McLachlan, Lana del Rey ou encore Andrea Bocelli. Un hétéroclisme à l’image de la folie joyeuse qui réunit ces trois êtres blessés par la vie qui transporte littéralement le spectateur.

    Bien sûr plane l’ombre d’Elephant de Gus Van Sant mais ce film et le cinéma de Xavier Dolan en général ne ressemblent à aucun autre.  Sur les réseaux (a)sociaux (je repense à cette idée de Xavier Dolan -qui, comme Paolo Sorrentino et Pedro Almodovar, dans le cadre du Festival Lumière, comme le veut désormais la tradition du festival, a été invité à tourner sa version de « La sortie des usines Lumière »,- qui a choisi de demander à ses acteurs d’un jour de se filmer eux-mêmes pour montrer le narcissisme et l’égoïsme des réseaux dits sociaux), certains critiquent la précocité de Xavier Dolan encensée par les médias. Sans doute de la jalousie envers son indéniable talent. D’ailleurs, plus que de la précocité, c’est une maturité qui m’avait déjà fascinée dans Les amours imaginaires. Je m’étais demandée comment, à 21 ans, il  pouvait faire preuve d’autant de perspicacité sur les relations amoureuses. Je vous recommande au passage Les amours imaginaires, cette fantasmagorie pop et poétique sur la cristallisation amoureuse, sur ces illusions exaltantes et destructrices, sublimes et pathétiques, un film enivrant et entêtant comme… un amour imaginaire.

    Mommy est le cinquième film, déjà, de Xavier Dolan. C’est d’autant plus fascinant qu’il ne se « contente » pas de  mettre en scène et de diriger, magistralement, ses acteurs mais qu’il est aussi scénariste, monteur, producteur, costumier. Ici, il ne joue pas (en plus de tout cela, c’est aussi un très bon acteur), se trouvant trop âgé pour le rôle d’Antoine-Olivier Pilon qui crève d’ailleurs littéralement l’écran et dont le personnage, malgré ses excès de violence et de langage, emporte la sympathie du spectateur.

    Vous savez ce qu’il vous reste à faire (le film est encore à l’affiche) si vous voulez, vous aussi, ressentir les frissons savoureux procurés par le poignant Mommy de Dolan, fable sombre inondée de lumière, de musique, de courage, quadrilatère fascinant qui met au centre son antihéros attachant et sa mère dans un film d’une inventivité, maturité, vitalité, singularité,  émotion rares et foudroyantes de beauté et sensibilité. Un coup de foudre, vous dis-je.

     

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  • Festival de Cannes 2014: en attendant l'épisode 4 de mes pérégrinations cannoises...

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    Emportée par le tourbillon des films et de quelques soirées (avec parcimonie pour ces dernières et avec frénésie pour les premières) ou même une escapade en mer ou des concerts, je n'ai pas écrit ici depuis plusieurs jours afin de le faire ultérieurement pour vous parler avec la précision qu'il se doit des films (une vingtaine) vus depuis mon dernier article. Samedi, j'aurai ainsi vu tous les films de la compétition officielle (d'un très haut niveau comme toujours même si je n'ai pas encore eu de coup de foudre cinématographique, en précisant qu'il me reste à rattraper les films de Dolan et Sissako et que je verrai le film d'Assayas demain matin et en précisant que l'admiration et l'émotion ont néanmoins été rendez-vous pour certains films et cinéastes) et pourrai vous en faire un bilan complet et un véritable compte rendu après le festival. Je vous parlerai également de films hors compétition comme le magnifique "Incompresa" d'Asia Argento vu ce soir, film qui exhale toutes les blessures, la cruauté et la fantaisie de l'enfance mais aussi de courts métrages (ceux des talents Cannes Adami), de documentaires ou encore des très nombreuses conférences de presse auxquelles j'ai eu le plaisir d'assister (Xavier Dolan  a donné la conférence de presse la plus passionnante du festival ce matin, je vous la résumerai également). En attendant de vous livrer mes pronostics et mon compte rendu, pour vous faire patienter, voici une petite sélection de mes clichés de quelques évènements cannois auxquels j'ai eu la chance d'assister... Pour patienter, vous pouvez aussi retrouver les premiers épisodes de mes pérégrinations cannoises sur http://inthemoodforfilmfestivals.com ...ou lire mes "Ombres parallèles" pour ma vision fictive du festival ou encore me suivre sur twitter puisque je commente le festival en direct (@moodforcannes / @moodforcinema pour le compte principal) et y donne brièvement mon opinion sur tous les films vus. A très bientôt donc pour le prochain épisode de mes pérégrinations cannoises, mes pronostics mais aussi la clôture à laquelle j'ai également le plaisir d'être invitée.

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  • Critique de THE SEARCH de Michel Hazanavicius - Compétition officielle

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    Synopsis: Le film se passe pendant la seconde guerre de Tchétchénie, en 1999. Il raconte, à échelle humaine, quatre destins que la guerre va amener à se croiser. Après l’assassinat de ses parents dans son village, un petit garçon fuit, rejoignant le flot des réfugiés. Il rencontre Carole, chargée de mission pour l’Union Européenne. Avec elle, il va doucement revenir à la vie. Parallèlement, Raïssa, sa grande sœur, le recherche activement parmi des civils en exode. De son côté, Kolia, jeune Russe de 20 ans, est enrôlé dans l’armée. Il va petit à petit basculer dans le quotidien de la guerre.

    The Search est le remake des "Anges marqués", un film de 1948 réalisé par Fred Zinnemann dont Montgomery Clift tenait le rôle principal. Alors que ce film retraçait l’histoire d’un soldat américain tentant d’aider un garçon à retrouver sa mère dans le Berlin de l’après-guerre, Michel Hazanavicius a transposé le récit à la seconde guerre de Tchétchénie qui débute en 1999.

     Deux raisons principales font de "The Search" un film à voir absolument: le choc du plan-séquence par lequel le film débute et  la révélation d’un acteur qui y crève l’écran (Maxim Emelianov).Sans doute certains seront-ils surpris par ce virage radical après "The Artist" mais ils retrouveront la muse du réalisateur, Bérénice Béjo.

     Le film raconte deux histoires parallèles, l'une qui relève presque du documentaire, terrible et palpitante: celle d'un jeune homme qui se retrouve enrôlé dans une terrible armée (la Russie) et le destin d'une petit garçon qui a assisté au massacre de ses parents. Ou l'innocence pervertie. L'effet miroir décuple l'émotion et rend le dénouement d'autant plus poignant, d'une beauté et d'une force redoutables. Les nombreux témoignages sur lesquels s'est basé sur cinéaste pour écrire le film lui apportent de la crédibilité et de l'émotion.

    Une démonstration implacable sur le pouvoir de la guerre à broyer les hommes. Une nouvelle réussite.

     

     

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  • Critique de DEUX JOURS, UNE NUIT de Jean-Pierre et Luc Dardenne - Compétition officielle

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    Synopsis: Sandra, aidée par son mari, n’a qu’un week-end pour aller voir ses collègues et les convaincre de renoncer à leur prime pour qu’elle puisse garder son travail.

     Si Marion Cotillard avait déjà montré toute l'amplitude dans son talent dans un autre films présenté à Cannes en compétition ("De rouille et d'os" de Jacques Audiard), elle crève ici littéralement l'écran dans ce sublime portrait de femme fragile et téméraire. Physiquement transformée mais aussi admirablement dirigée (ce n'est pas un scoop que de dire que les Dardenne sont d'exceptionnels directeurs d'acteurs.) elle est pour beaucoup dans l'empreinte que nous laisse ce film grave et lumineux, ancré dans notre époque et intemporel. Elle pourrait bien entendu prétendre à un prix d'interprétation.

    Avec ce thriller social qui est aussi un conte (cruel), les Dardenne prouvent une nouvelle fois l'étendue de leur imaginaire et de leur talent. Ils arrivent à nous surprendre avec la répétition intrinsèque au sujet, à créer un suspense haletant. Filmée au plus près, en gros plan, le plus souvent, c'est comme toujours le personnage, l'humain qui est au centre, a fortiori ici puisqu'il s'agit pour le personnage de retrouver une dignité, une identité.

    Après deux Palmes d’or (pour "Rosetta" et pour "L’enfant") et un Grand Prix du Jury pour "Le Gamin au vélo", les Dardenne pourraient être les premiers à décrocher trois fois la récompense suprême avec ce film, une nouvelle fois, au cœur de la réalité sociale.

    Un film poignant qui évite toujours l'écueil du pathos, un film illuminé par une actrice qui n'a pas fini de révéler toute la palette de son talent et qui, ici, fascine, éblouit dans le rôle de cette femme qui s'accepte, retrouver son identité, et demande à ses anciens collègues de répondre à un terrible dilemme: la morale  ou la raison. Magistral.

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  • Critique de WHIPLASH de Damien Chazelle - Quinzaine des Réalisateurs

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    Interprété magistralement par Miles Teller et J.K. Simmons,  le premier jouant le rôle d’Andrew, un jeune élève du Conservatoire de dix-neuf ans qui rêve de devenir l’un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération et l’autre, son professeur Terence Fletcher,  qui dirige le meilleur orchestre de l’établissement, « Whiplash » a été  tourné en 19 jours. Le film n’en est pas moins remarquable dans la précision et l’exigence à l’image de la musique qu’il exalte et sublime.

     Andrew Nieman. A une lettre près, (Niemand) personne en Allemand. Et Andrew semble avoir une seule obsession, devenir quelqu’un par la musique. Assouvir sa soif de réussite tout comme le personnage interprété par J.K Simmons souhaite assouvir sa soif d’autorité. Une confrontation explosive entre deux desseins, deux ambitions irrépressibles, deux folies.  L’objet rêvé pour le manipulateur machiavélique qui sous le fallacieux prétexte que « la fin justifie les moyens » use et abuse de sa force et son pouvoir pour obtenir le résultat qu’il souhaite mais surtout asseoir son emprise. J.K Simmons donne corps et froideur d’âme à ce personnage tyrannique et irascible qui sait se montrer mielleux pour atteindre son objectif.

     La réalisation s’empare du rythme fougueux, fiévreux, animal de la musique, grisante et grisée par la folie du rythme et de l’ambition, dévastatrice, et joue judicieusement et avec manichéisme sur les couleurs sombres, jusque dans les vêtements: Fletcher habillé en noir comme s’il s’agissait d’un costume de scène à l’exception du moment où il donne l’impression de se mettre à nu et de baisser la garde, Andrew habillé de blanc quand il incarne encore l’innocence puis de noir à son tour et omniprésence du rouge (du sang, de la viande, du tshirt d’un des « adversaires » d’Andrew) et des gros plans lorsque l’étau se resserre, lorsque le duel devient un combat impitoyable, suffocant.

    Les rires  sur l’humiliation et sur les ruses et sentences de dictateur (qu’est finalement le professeur) étaient finalement plus dérangeants que le film lui-même, le public étant d’une certaine manière manipulée à son tour, se laissant fasciner par ce personnage tyrannique. Prêt à tout pour réussir, Andrew poussera l’ambition à son paroxysme, au bord du précipice, jusqu’à l’oubli, des autres, de la dignité, aux frontières de la folie.

     Le face à face final est un véritable combat de boxe (et filmé comme tel) où l’immoralité sortira gagnante : la dictature et l’autorité permettent à l’homme de se surpasser… La scène n’en est pas moins magnifiquement filmée  transcendée par le jeu enfiévré et exalté des deux combattants.

    Bien que batteur depuis ses quinze ans, et ayant pris des cours trois jours par semaine pendant quatre heures pour parfaire sa technique et ne faisant « que » 70% des prestations du film, Miles Teller est impressionnant dans l’énergie, la détermination, la folie, la maîtrise, la précision.

     Damien Chazelle s'est inspiré de son expérience personnelle pour écrire et réaliser « Whiplash », ayant appris par le passé  la batterie avec un professeur tyrannique, ce qui l’a conduit à emprunter une autre voie : celle du cinéma. Une décision sans aucun doute judicieuse même si j’espère qu’il continuera à allier cinéma et musique dans ses prochains films, son amour de la musique transparaissant, transpirant même dans  chaque plan du film, une forme qui témoigne de ce que montre aussi le fond du film: l’art n’est pas (le plus souvent) une inspiration miraculeuse mais le résultat d’un travail passionné et acharné.

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