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IN THE MOOD FOR CANNES 2024 - Page 49

  • Vidéo - Emission pour touscoprod: mon décryptage de "De rouille et d'os" de Jacques Audiard

     

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  • Critique – « Amour » de Michael Haneke avec Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva (Compétition officielle du Festival de Cannes 2012)

     

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    J’ai choisi aujourd’hui de vous parler de mes deux coups de cœur d’hier, « Amour » de Michael Haneke et « J’enrage de son absence » de Sandrine Bonnaire, non dénués de points communs, bien que le premier soit en compétition officielle, le second projeté dans le cadre de la Semaine de la Critique bien qu’ils soient très différents dans la forme, c’est d’abord parce que leurs titres pourraient être interchangeables et ensuite parce que j’ai été submergée par l’émotion par ces deux films. Enfin, l’un et l’autre parlent d’amour inconditionnel et de la violence de l’absence, du départ, du silence. L’amour qui était également au centre de « De rouille et d’os », mon premier coup de cœur de cette édition 2012 dont je vous ai parlé le premier jour du festival, mais aussi de « In another country » de Hong Sangsoo, conte léger et délicieusement mélancolique à l’humour fantaisiste, décalé et irrésistible (des applaudissements ont même ponctué la projection officielle) avec une Isabelle Huppert radieuse dont je vous reparlerai ultérieurement (un film qui mériterait un prix du scénario).

    Mais revenons à « Amour », film au titre à la fois sobre, sibyllin et prometteur, dans lequel Isabelle Huppert est également présente et, comme toujours, quelle présence. Elle y interprète la fille de Georges et d’Anne, deux octogénaires,  des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Leur fille, également musicienne, vit à l’étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d’une petite attaque cérébrale. Lorsqu’elle sort de l’hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d’un côté. L’amour qui unit ce vieux couple va être mis à rude épreuve.

     Dès le début, la gravité, l’austérité, le dénouement inéluctable s’imposent. La caméra explore les pièces d’un appartement pour arriver dans une chambre où une femme âgée git, paisible, morte. Puis, flashback, le couple rentre d’un concert de musique classique dont on ne voit d’ailleurs que les spectateurs comme un miroir de ce que nous allons être pendant tout ce film, les spectateurs de l’envers du décor, de ce que la société préfère habituellement cacher, dissimuler. Lorsqu’ils rentrent, ils constatent que leur porte a été vraisemblablement forcée. Les prémisses d’une tragédie, d’un huis-clos dramatique. Un étranger s’est immiscé dans leur doux quotidien. La mort qui va peu à peu tisser sa toile.

     La tendresse de leurs gestes, la manière dont ils s’excusent constamment, se considèrent, se regardent, semblent se découvrir encore, ne s’être pas tout raconté, avoir encore des secrets et plus que jamais des égards l’un pour l’autre, tout dit un amour qui n’a pas pris une ride mais qui s’est renforcé face aux épreuves de la vie. Notre souffle est suspendu, notre attention est captée, capturée, par ces gestes a priori anodins qui témoignent de leur amour indéfectible et magnifique. Leurs visages rayonnent, nous font oublier le poids des ans. Cela pourrait être le couple d’ « Un homme et une femme », 46 ans plus tard (Emmanuelle Riva s’appelle d’ailleurs Anne comme Anouk Aimée dans le film de Claude Lelouch). Bien entendu, le cinéma d’Haneke, si épuré, est très différent de celui de Lelouch, si lyrique, mais ces détails qui disent tant et auxquels notre souffle est suspendu les rapprochent ici (au risque d’en heurter certains). L’opposé du couple du « Chat » de Granier-Deferre.

     Jusqu’où peut-on aller par amour ? L’amour, le vrai, ne consiste-t-il pas à tout accepter, même la déchéance, à aider l’être aimé jusqu’au dernier souffle ? Le sujet était ô combien périlleux. Si Haneke ne nous épargne rien de ces moments terribles comme lorsque cette femme belle et fière se transforme peu à peu en enfant sans défense, il place sa caméra toujours avec pudeur.

     Nous ne quitterons alors plus cet appartement pour un face à face douloureux, cette lente marche vers la déchéance puis la mort. Seules quelques visites comme celles de leur fille, d’un ancien élève, de voisins qui les aident, ou d’infirmières viennent ponctuer ces terribles instants, témoignant à chaque fois  de maladresses, voire de cruauté involontaires. La scène de l’infirmière qui, avec une voix mielleuse, s’adresse à Anne comme à une enfant, la forçant avec une douce et d’autant plus terrible condescendance à se regarder dans le miroir est redoutablement juste et absolument terrible.

    Que dire de Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva qui seraient à la hauteur de leurs bouleversantes prestations ?  Le premier,  qu’il raconte une anecdote sur son enfance, ou s’occupe d’Anne dans ses derniers instants avec une tendresse infinie (comment ne pas être bouleversé quand il lui raconte une histoire, lui caressant doucement la main, pour faire taire sa douleur, qu’elle hurle), est constamment juste, là, par un jeu d’une douce intensité. Ses gestes, sa voix, son regard, tout traduit et trahit son émotion mais aussi la digne beauté de son personnage qu’il dit être son dernier, ce qui rend ce rôle encore plus troublant et tragique. Quant à Emmanuelle Riva, elle fait passer dans son regard l’indicible de la douleur, de la détresse, après avoir fait passer la fierté et la force  de cette femme debout, cette âme forte qui se transforme peu à peu en un corps inerte, pétri de douleurs.

    Un film tragique, bouleversant, universel qui nous ravage, un film lucide, d’une justesse et d’une simplicité remarquables, tout en retenue. «Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments» dit Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse. C’est aussi ce qu’il nous reste de ce film, l’essentiel, l’Amour avec un grand a, pas le vain, le futile, l’éphémère mais l’absolu, l’infini.

     Trois ans après sa palme d’or pour « Le ruban blanc », Michael Haneke sera à nouveau et sans aucun doute au palmarès pour ce film éprouvant et sublime, d’une beauté tragique et ravageuse que vous hante et vous habite longtemps après la projection, après ce dernier plan d’une femme seule dans un appartement douloureusement vide. Un film d’Amour absolu, ultime. Et puis il y a la musique de Schubert, cet Impromptu que j’ai si souvent écouté et que je n’entendrai sans doute plus jamais de la même manière. Je crois qu’il me faudra un peu de temps encore pour  appréhender pleinement ce film. Les mots me manquent encore. J’y reviendrai.

     « Amour » sortira en salles le 24 octobre 2012.

    Ce soir, je vous parlerai de « J’enrage de son absence » de Sandrine Bonnaire (le temps me manque malheureusement et là aussi ce film mérité qu’on s’y attarde), un énorme coup de cœur. En guise de mise en bouche, découvrez ci-dessous ma vidéo de la présentation du film par l’équipe. Je n’oublie pas non plus de vous parler prochainement de « Reality » et de la projection des 65 ans du festival. A suivre !

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  • Critique- « In another country » de Hong Sang-soo

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    De ce film on ressort avec un sentiment fugace et salvateur de légèreté, grâce notamment à l’interprétation remarquable mais aussi un scénario d’une précision, d’une intelligence inouïes.

    Synopsis :

    Dans un pays qui n’est pas le sien, une femme qui n’est à la fois ni tout à fait la même ni tout à fait une autre, a rencontré, rencontre et rencontrera au même endroit les mêmes personnes qui lui feront vivre à chaque fois une expérience inédite.

    In another country est d’abord un petit bijou d’écriture scénaristique qui mériterait un prix du scénario. Ainsi, Dans ce film, Isabelle Huppert interprète trois rôles différents, qui ont pour seuls points communs sont le prénom "Anne" et un voyage à Mohang-ni. "C'est un peu la même femme déclinée sous trois aspects différents » a ainsi expliqué Isabelle Huppert. La première Anne est une réalisatrice qui voyage pour voir son ami coréen. La deuxième est une femme mariée qui part pour rejoindre son amant. La troisième est une maîtresse de maison qui se console en voyageant après que sont mari l’ait quittée.

    Trop en dire gâchera le charme et le plaisir de la surprise de ce film qui en regorge. Hong Sang-soo plus que jamais fait ici preuve de l’humour décalé, réjouissant, fantaisiste qui le caractérise et signe ici un film à la fois lumineux et mélancolique plein de tendresse doucement désenchantée. Derrière son apparente simplicité, ce film révèle une construction scénaristique ludique, jubilatoire et complexe qui lui procure un charme irrésistible exacerbé par la grâce de son actrice principale plus radieuse, juvénile que jamais. « In another country » n’est pas qu’un exercice vain de style mais un film qui donne à sa profondeur et sa mélancolie l’apparence de la légèreté qui lui sied si bien…et vous envoûtera, à n’en pas douter.

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  • D'une (ir)réalité à l'autre...

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    Dans « Un homme et une femme » de Claude Lelouch, film si indissociable de l’histoire du Festival de Cannes, Jean-Louis (Jean-Louis Trintignant, d’ailleurs à l’honneur hier mais j’y reviendrai dans ma critique de « Amour » de Michael Haneke dans lequel il interprète un des deux rôle principaux),  citant Giacometti, demande «Qu'est-ce que vous choisiriez : l'art ou la vie? ». C’est un peu le cruel dilemme du festivalier: choisir l’art ou la vie, choisir la réalité ou sa retranscription aussi, même si, ici plus qu’ailleurs, l’un et l’autre son étrangement imbriqués à se confondre parfois comme hier, lors de la projection du 65ème anniversaire du Festival, celle du documentaire de Gilles Jacob « Une journée particulière » pour laquelle 18 des 35 cinéastes de « Chacun son cinéma » (le film anniversaire du 60ème festival) sont montés sur scène. Un générique inouï!  Un de ces moments magiques qui vous font frissonner d’émotion (oui, comme la musique de Saint-Saëns dont je parlais à l’ouverture) et dont je vous reparlerai plus tard ainsi que du dîner du 65ème anniversaire auquel j’ai eu le privilège et plaisir d’être invitée.

    J’espère néanmoins que tout cela n’était pas le fruit de mon imagination un peu trop débordante comme celle de Luciano dans l’excellent « Reality » de Matteo Garrone, une imagination et surtout un désir de reconnaissance qui lui font prendre ses rêves (des rêves d'ailleurs cauchemardesques vus par le prisme de la raison) pour la réalité.

     Plus qu’un article, ceci est donc un teaser pour vous annoncer : le récit de la projection des 65 ans et de son dîner, ma critique de « Reality » et de « Lawless » mais en attendant j’ai choisi à la fois l’art et la vie en allant voir ce matin en séance du lendemain « Amour » de Michael Haneke, un des films de cette 65ème édition que j’attends avec le plus d’impatience et dont je vous promets également la critique très rapidement.

    Quelques photos de la projection de « Une journée particulière », ci-dessus, pour vous faire patienter, en en attendant également d'autres.

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  • Critique de "Tess" de Roman Polanski - Projection Cannes Classics 2012 en sa présence et celle de Nastassja Kinski

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    La projection, aujourd'hui de "Tess" de Roman Polanski, dans la section "Cannes Classics" est un des évènements de ce 65ème Festival de Cannes à ne pas manquer (ce lundi, à 19H30, en salle du 60ème) d'autant que le cinéaste et son actrice Nastassja Kinski seront présents, Roman Polanski était ainsi déjà présent hier pour la projection du documentaire "Une journée particulière" de Gilles Jacob, documentaire dans lequel il fait par ailleurs des apparitions remarquées.

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    (Photo ci-dessus copyright inthemoodforcannes.com )

    Chaque année, les projections cannoises de classiques du cinéma dans le cadre de Cannes Classics sont l’occasion de revoir de grands films, voire des chefs d’œuvre, mais aussi l’occasion de grands moments d’émotion, l’histoire du cinéma côtoyant le présent du Festival de Cannes, et cinéma et réalité se rejoignant et se confondant même parfois dans ce tourbillon d’émotions. Ce fut ainsi le cas avec la projection en version restaurée du « Guépard », il y a deux ans.

    Depuis 2004, le Festival de Cannes présente ainsi des films anciens et des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma dans des copies restaurées. La plupart des films sélectionnés sont projetés dans le Palais des Festivals, salle Buñuel ou salle du Soixantième, en présence de ceux qui ont restauré ces films et, parfois, de ceux qui les ont réalisés.

    Cette année, Pathé présente ainsi « Tess », le film de Roman Polanski sorti en 1979 ( durée de 171 minutes), dans une restauration qu’il a lui-même supervisée, il s’est dit « épaté » par le travail des laboratoires. Cette projection se déroulera en présence de Roman Polanski et de Nastassja Kinski. Une restauration Pathé, exécutée par Éclair Group pour la partie image et Le Diapason pour la partie sonore.

    Un film que je vous engage vivement à (re)voir lors de sa projection cannoise le 21 mai 2012, salle du Soixantième, a fortiori dans ce cadre splendide et en présence de ses protagonistes. Une projection qui s’annonce émouvante. Pour achever de vous en convaincre, retrouvez ma critique du film, ci-dessous.

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    Photographie Bernard Prim - Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    ©1979 PATHE PRODUCTION - TIMOTHY BURRILL PRODUCTIONS LIMITED

    Dans l'Angleterre du XIXème siècle, un paysan du Dorset, John Durbeyfield (John Collin) apprend par le vaniteux pasteur Tringham qu'il est le dernier descendant d'une grande famille d'aristocrates. Songeant au profit qu'il pourrait tirer de cette noblesse perdue, Durbeyfield envoie sa fille aînée, Tess (Nastassja Kinski), se réclamer de cette parenté chez la riche famille d'Urberville. C’est le jeune et arrogant Alec d'Urberville (Leigh Lawson) qui la reçoit. Immédiatement charmée par « sa délicieuse cousine » et par sa beauté, il propose de l’employer, s’obstinant ensuite à la séduire. Il finit par abuser d’elle. Enceinte, elle retourne chez ses parents. L’enfant meurt peu de temps après sa naissance. Pour fuir son destin et sa réputation, Tess s'enfuit de son village. Elle trouve un emploi dans une ferme où personne ne connaît son histoire. C’est là qu’elle rencontre le fils du pasteur : Angel Clare (Peter Firth). Il tombe éperdument amoureux d'elle mais le destin va continuer à s’acharner et le bonheur pour Tess à jamais être impossible.

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    Photographie Bernard Prim - Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    ©1979 PATHE PRODUCTION - TIMOTHY BURRILL PRODUCTIONS LIMITED

    Roman Polanski étant, à l’époque du tournage, accusé de viol sur mineur aux États-Unis et étant alors menacé d'extradition depuis l'Angleterre, bien que le film se déroule en Angleterre, il a été tourné en France : en Normandie, (Cap de la Hague, près de Cherbourg), mais aussi en Bretagne, à Locronan (Finistère), au Leslay (Côtes-d'Armor), au Château de Beaumanoir, et enfin à Condette , dans le Pas-de-Calais). Quant au site mégalithique de Stonehenge, il été reconstitué dans une campagne en Seine-et-Marne.

    Le film est dédié à Sharon Tate. La mention « To Sharon » figure ainsi au début du film. Celle-ci, avant d’être assassinée en 1969 par Charles Manson avec l’enfant qu’elle portait, avait ainsi laissé sur son chevet un exemplaire du roman de Thomas Hardy « Tess d’Urberville», dont le film est l’adaptation, avec un mot disant qu’il ferait un bon film.

    « Tess d'Urberville » dont le sous-titre est "Une femme pure, fidèlement présentée par Thomas Hardy" est un roman publié par épisodes à partir de 1891, dans divers journaux et revues. Son adaptation était donc un véritable défi d’autant que jusqu’alors Roman Polanski n’avait pas encore signé de film d’amour.

    Deux adaptations cinématographiques, toutes deux intitulées « Tess Of d'Urbervilles » avaient déjà été tournées, l’une mise en scène en 1913 par J. Searle Dawley et l’autre par Marshall Neilan en 1924. David O. Selznik en racheta les droits mais il fallut attendre Claude Berri qui racheta les droits à son tour avant que l'œuvre ne tombe dans le domaine public, pour que le film puisse enfin voir le jour.

    Polanski a entièrement réussi ce défi et nous le comprenons dès le début qui nous plonge d’emblée dans l’atmosphère du XIXème siècle, un impressionnant plan séquence qui semble déjà faire peser le sceau de la fatalité sur la tête de la jeune Tess. Tandis qu’arrive un cortège de jeunes filles au sein duquel elle se trouve, tandis qu’est planté le décor mélancolique sous un soleil d’été, tandis qu’est présentée l'innocence de la jeune Tess, le pasteur vaniteux croise son père et lui annonce la nouvelle (celle de son ascendance noble) qui fera basculer son destin. C’est aussi là qu’elle verra Angel pour la première fois. Toute sa destinée est contenue dans ce premier plan séquence qui, par une cruelle ironie, fait se croiser ces routes. Les personnages se rencontrent à un carrefour qui est aussi, symboliquement, celui de leurs existences.

    Si la scène est lumineuse, dans ces deux routes qui se croisent, ces destins qui se rencontrent, la fatalité de celui de Tess et son ironie tragique semble ainsi déjà nous être annoncée. Tout le film sera à l’image de cette première scène magistrale. Aucun didactisme, aucune outrance mélodramatique alors que le sujet aurait pu s’y prêter. Polanski manie l’ellipse temporelle avec virtuosité renforçant encore la mélancolie de son sujet et sa beauté tragique. Comme cet insert sur le couteau et ces deux plans sur cette tache de sang au plafond qui s’étend qui suffisent à nous faire comprendre qu’un drame est survenu, mais aussi sa violence. Le talent se loge dans les détails, dans la retenue, jamais dans la démonstration ou l’outrance. Par exemple, les costumes de Tess en disent beaucoup plus long que de longues tirades comme cette robe rouge, couleur passion qu’elle porte dans la dernière partie du film et qui contraste avec les vêtements qu’elle portait au début. Un rouge qui rappelle celui de cette fraise que lui fera manger Alec, combattant ses réticences qui en annoncent d’autres, avant de l’initier (la forcer) à d’autres gourmandises. Subtilement encore, en un plan qui laisse entrevoir un vitrail représentant une scène inspirée de Roméo et Juliette, Polanski, comme il l’avait fait dans le plan séquence initial nous rappelle que l’issue ne peut être tragique. Un dénouement aussi magnifique que tragique, la frontière étant toujours très fragile chez Polanski entre le réalisme et une forme de fantastique ou de mysticisme, Tess apparait alors au milieu de ce site mégalithique de Stonehenge, au décor presque irréel, aux formes géométriques et inquiétantes, comme surgies de nulle part, comme sacrifiée sur un autel.

     

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    Photographie Bernard Prim - Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    ©1979 PATHE PRODUCTION - TIMOTHY BURRILL PRODUCTIONS LIMITED

    Le spectateur éprouve immédiatement de l’empathie pour Tess, personnage vulnérable et fier malmené par le destin qui semble s’y résigner jusqu’à la révolte finale fatale. Le film doit aussi beaucoup au choix de la trop rare Nastassja Kinski (fille de l'acteur Klaus Kinski), à la fois rayonnante et sombre, naturelle et gracieuse, si triste malgré sa beauté lumineuse et surtout d’une justesse constante et admirable. Elle porte en elle les contraires et les contrastes de ce film dans lequel le destin ne cesse de se jouer d’elle. Contraste entre la tranquillité apparente des paysages (magistralement filmés et mis en lumière, rappelant les peintures du XIXème comme notamment « Des Glaneuses » de Millet ou certains paysages de Courbet, la nature emblème romantique par excellence, le passage des saisons, des paysages symbolisant les variations des âmes ) et les passions qui s’y déchaînent, contraste entre la bonté apparente d’Angel (à dessein sans doute ainsi nommé) qui a « Le Capital » de Marx pour livre de chevet mais qui agit avec un égoïsme diabolique finalement presque plus condamnable que le cynisme et l’arrogance d’Alec. Même lorsqu’elle apparait en haut de cet escalier, transformée, sa tenue et sa coiffure suffisant à nous faire comprendre qu’elle est devenue la maitresse d’Alec, Tess garde cette candeur et cette fragilité si émouvantes.

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    Photographie Bernard Prim - Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

    ©1979 PATHE PRODUCTION - TIMOTHY BURRILL PRODUCTIONS LIMITED

    Nommé six fois aux Oscars (pour 3 récompenses), récompensé d’un Golden Globe et par trois César dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur, « Tess » est un très grand film empreint de mélancolie poétique, d’une beauté formelle envoûtante, un film tout en retenue grâce à des ellipses judicieuses. Le film nous captive avec toute la douceur de son personnage principal, lentement mais sûrement, par une mise en scène sobre. L’impact dramatique n’en est que plus fort et bouleversant. On y retrouve le thème de l’enfermement (ici dans les conventions) si cher à Polanski, un thème également dans les deux films dont je vous livre les critiques en bonus après celle de « Tess », ci-dessous.

    Ce mélange d’imprégnation de la peinture du XIXème, ce romantisme tragique qui rappelle les plus grands écrivains russes et cette fresque lente et majestueuse sur la déchéance d’un monde qui rappelle Visconti (dont le cinéma était aussi très imprégné de peinture), sans oublier cette photographie sublime, l’interprétation magistrale de Nastassja Kinski et sa grâce juvénile, lumineuse et sombre, et la musique de Philippe Sarde, en font un film inoubliable. Au-delà de la peinture du poids des conventions (morales et religieuses) et d’une critique des injustices sociales, « Tess » est un film universel d’une poésie mélancolique sur l’innocence pervertie, sur les caprices cruels du destin, sur la passion tragique d’une héroïne intègre, fier et candide, un personnage qui vous accompagne longtemps après le générique de fin.

    « J'ai toujours voulu tourner une grande histoire d'amour. Ce qui m'attirait également dans ce roman, c'était le thème de la fatalité : belle physiquement autant que spirituellement, l'héroïne a tout pour être heureuse. Pourtant le climat social dans lequel elle vit et les pressions inexorables qui s'exercent sur elle l'enferment dans une chaîne de circonstances qui la conduisent à un destin tragique. » Roman Polanski

     

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  • Critique- "Au-delà des collines" de Cristian Mungiu

     

    « Alina (Cristina Flutur) revient d’Allemagne pour y emmener Voichita (Cosmina Stratan), la seule personne qu’elle ait jamais aimée et qui l’ait jamais imée. Mais Voichita a rencontré Dieu et en amour, il est difficile d’avoir Dieu comme rival. »

    Ce film s’inspire de deux livres de la journaliste Tatiana Niculescu qui traitaient de l’affaire dite de Tacanu, de 2005 : une jeune religieuse schizophrène avait été retrouvée morte après un exorcisme.

    Certaines des jurées du Prix Elle auquel ce film concourait et dans le cadre duquel je l'ai découvert l'ont trouvé lent et ennuyeux alors, que, au contraire, je n’ai pas vu passer ses 2H30 tant chaque plan d’une beauté –souvent sombre-picturale, trouve sa justification ultérieure, tant chaque seconde du film apporte un élément comme une preuve accablante, tant cette lenteur aussi concilie la forme et le fond, reflétant ainsi le rythme de vie au ralenti de ce couvent chrétien orthodoxe mais aussi cette forme de lancinante indifférence qui se révèlera meurtrière.

    La situation de l’intrigue dans ce couvent importe (presque) peu, le réalisateur ne condamne pas forcément plus la religion que tout autre groupe. Sa portée est beaucoup plus universelle et peut s’appliquer à n’importe quel groupe dans lequel l’indifférence peut tuer (une dictature comme celle qui exista en Roumanie), dans lequel le silence ou l’effet de groupe peuvent être meurtriers.

    Le souci du détail, la véracité qui en émane lui procurent un intérêt presque documentaire et les longs plans séquences parfois fixes sont d’une justesse et parfois d’une cruauté (non à cause de ce qui se passe mais plutôt à cause de ce qui ne se passe pas) terrifiantes. Le film fait aussi preuve d’un symbolisme appuyé qui se justifie ici entièrement par le fait que la religion est justement affaire de symboles.

    Une histoire de foi redoutablement universelle empreint de l’implacable douleur d’un meurtre commis par innocence. Un double prix d’interprétation à Cannes entièrement justifié tant les deux protagonistes semblent vivre et non jouer, que ce soit la retenue pour l’une, la fougue pour l’autre, avec des regards pareillement enflammés par une foi (en l’amour, en Dieu) différente pour chacune. Bouleversant. Cinq ans après la palme d’or, ce film coproduit par les Dardenne méritait aussi son prix du scénario pour sa justesse et tant chaque seconde du film semble être « utile » (j’oserais même le comparer à un film policier dans lequel les preuves s’accumulent) et justifier son terrible dénouement.

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  • "The Sapphires" de Wayne Blair

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    Hier soir était projeté « The Sapphires », un premier long-métrage australien de Wayne Blair qui nous embarque en Australie en 1968 dans le destin de trois soeurs aborigènes (Gail, Julie et Cynthia) et de leur cousine Kay, découvertes par Dave, musicien irlandais au caractère bien trempé, amateur de whiskey et de soul music. Dave remanie le répertoire du groupe, rebaptisé « The Sapphires », et organise une tournée dans les zones de guerre du Vietnam du Sud. Dans le delta du Mékong où elles chantent pour les marines, les filles déchainent les foules, esquivent les balles et tombent amoureuses.

    En apparence, « The Sapphires » est un feel good movie efficace et sans aspérités (la guerre du Vietnam est toujours ou presque en arrière-plan et traitée de manière très édulcorée). Inspiré d’une histoire vraie (certes ici romancée), « The Sapphires » est empreint de la vigueur mélancolique et joyeuse de la musique soul. Le parti pris est ici volontairement celui du film classique et divertissant, néanmoins le destin des quatre chanteuses est aussi symbolique d’une quête de justice et d’égalité (le racisme jalonne leurs histoires et l’assassinat de Luther King est présent en filigrane). Un film « enchanté » plein de charme et généreux avec des personnages attachants qui le sont tout autant et qui n’aspire pas à révolutionner le cinéma mais qui vous fera passer un agréable moment.

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  • Critique de "La Chasse" de Thomas Vinterberg

     Ce film repose avant tout sur l’incroyable prestation de Mads Mikkelsen. Le film tourne en effet entièrement autour de son personnage principal avec lequel nous sommes d’emblée en empathie, ce qui fait que certains autres personnages sont parfois moins nuancés (d’emblée persuadés de son innocence ou au contraire de sa culpabilité). Il est donc ici à nouveau question de l’idée de faute, de crime même, et d’homme broyé par le groupe.

    " Après un divorce difficile, Lucas (Mads Mikkelsen), quarante ans, a trouvé une nouvelle petite amie, un nouveau travail et il s'applique à reconstruire sa relation avec Marcus, son fils adolescent. Mais quelque chose tourne mal. Presque rien. Une remarque en passant. Un mensonge fortuit. Et alors que la neige commence à tomber et que les lumières de Noël s'illuminent, le mensonge se répand comme un virus invisible. La stupeur et la méfiance se propagent et la petite communauté plonge dans l'hystérie collective, obligeant Lucas à se battre pour sauver sa vie et sa dignité. »

    Le mensonge peut-il s’incarner dans l’innocence ? Quelle place donner à la parole de l’enfant, ici sacralisée ? Quatorze ans après le cruel et magistral « Festen » qui révélait le passé pédophile d’un père d’une rare abjection, Vinterberg traite d’un sujet similaire avec un film qui en est quasiment le contraire puisque, ici, à l’inverse, c’est l’innocent qui passe pour coupable.

    Le sujet a déjà été traité maintes fois au cinéma et on songe évidemment au film de Cayatte « Les risques du métier ». Si celui-ci ne présente pas d’originalité particulière, il n’en est pas moins une démonstration implacable (comme le film de Mungiu) de la violence du groupe se transformant en meute, le chasseur qu’est aussi Lucas devenant l’homme traqué, l’homme à abattre.

    Si la tension est présente du début à la fin, elle doit beaucoup et surtout à l’interprétation nuancée et magistrale de Mads Mikkelsen, un homme qui reste digne bien que broyé par le mensonge et la rumeur

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  • Critique de "Amour" de Michael Haneke

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      En bonus, retrouvez, en bas de cet article, ma critique de la palme d’or de Michael Haneke « Le ruban blanc ».

     « Amour », film au titre à la fois sobre, sibyllin et prometteur dans lequel Isabelle Huppert interprète la fille de Georges (Jean-Louis Trintignant) et d’Anne (Emmanuelle Riva), deux octogénaires, des gens cultivés, professeurs de musique à la retraite. Egalement musicienne, elle vit à l’étranger avec sa famille. Un jour, Anne est victime d’une petite attaque cérébrale. Lorsqu’elle sort de l’hôpital et revient chez elle, elle est paralysée d’un côté. L’amour qui unit ce vieux couple va être mis à rude épreuve.

    Dès le début, la gravité, l’austérité, le dénouement inéluctable s’imposent. La caméra explore les pièces d’un appartement pour arriver dans une chambre où une femme âgée git, paisible, morte. Puis, flashback: le couple rentre d’un concert de musique classique dont on ne voit d’ailleurs que les spectateurs comme un miroir de ce que nous allons être pendant tout ce film, les spectateurs de l’envers du décor, de ce que la société préfère habituellement cacher, dissimuler. Lorsqu’ils rentrent, ils constatent que leur porte a été vraisemblablement forcée. Les prémisses d’une tragédie, d’un huis-clos dramatique. Un étranger s’est immiscé dans leur doux quotidien. La mort qui va peu à peu tisser sa toile.

    La tendresse de leurs gestes, la manière dont ils s’excusent constamment, se considèrent, se regardent, semblent se découvrir encore, ne s’être pas tout raconté, avoir encore des secrets et plus que jamais des égards l’un pour l’autre, tout dit un amour qui n’a pas pris une ride mais qui s’est renforcé face aux épreuves de la vie. Notre souffle est suspendu, notre attention est captée, capturée, par ces gestes a priori anodins qui témoignent de leur amour indéfectible et magnifique. Leurs visages rayonnent, nous font oublier le poids des ans.

    Cela pourrait être le couple d’ « Un homme et une femme », 46 ans plus tard (Emmanuelle Riva s’appelle d’ailleurs Anne comme Anouk Aimée dans le film de Claude Lelouch). Bien entendu, le cinéma d’Haneke, si épuré, est très différent de celui de Lelouch, si lyrique, mais ces détails qui disent tant et auxquels notre souffle est suspendu les rapprochent ici (au risque d’en heurter certains). L’opposé du couple du « Chat » de Granier-Deferre.

    Jusqu’où peut-on aller par amour ? L’amour, le vrai, ne consiste-t-il pas à tout accepter, même la déchéance, à aider l’être aimé jusqu’au dernier souffle ? Le sujet était ô combien périlleux. Si Haneke ne nous épargne rien de ces moments terribles comme lorsque cette femme belle et fière se transforme peu à peu en enfant sans défense, il place sa caméra toujours avec pudeur.

    Nous ne quitterons alors plus cet appartement pour un face à face douloureux, cette lente marche vers la déchéance puis la mort. Seules quelques visites comme celles de leur fille, d’un ancien élève, de voisins qui les aident, ou d’infirmières viennent ponctuer ces terribles instants, témoignant à chaque fois de maladresses, voire de cruauté involontaires. La scène de l’infirmière qui, avec une voix mielleuse, s’adresse à Anne comme à une enfant, la forçant avec une douce et d’autant plus terrible condescendance à se regarder dans le miroir est redoutablement juste et absolument terrible.

    Que dire de Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva qui seraient à la hauteur de leurs bouleversantes prestations ? Le premier, qu’il raconte une anecdote sur son enfance, ou s’occupe d’Anne dans ses derniers instants avec une tendresse infinie (comment ne pas être bouleversé quand il lui raconte une histoire, lui caressant doucement la main, pour faire taire sa douleur, qu’elle hurle), est constamment juste, là, par un jeu d’une douce intensité. Ses gestes, sa voix, son regard, tout traduit et trahit son émotion mais aussi la digne beauté de son personnage qu’il dit être son dernier, ce qui rend ce rôle encore plus troublant et tragique. Quant à Emmanuelle Riva, elle fait passer dans son regard l’indicible de la douleur, de la détresse, après avoir fait passer la fierté et la force de cette femme debout, cette âme forte qui se transforme peu à peu en un corps inerte, pétri de douleurs.

    Un film tragique, bouleversant, universel qui nous ravage, un film lucide, d’une justesse et d’une simplicité remarquables, tout en retenue. «Je ne me souviens plus du film, mais je me souviens des sentiments» dit Jean-Louis Trintignant en racontant une anecdote à son épouse. C’est aussi ce qu’il nous reste de ce film, l’essentiel, l’Amour avec un grand A, pas le vain, le futile, l’éphémère mais l’absolu, l’infini.

    Trois ans après sa palme d’or pour « Le ruban blanc », Michael Haneke mérite  de l’obtenir à nouveau pour ce film éprouvant et sublime, d’une beauté tragique et ravageuse que vous hante et vous habite longtemps après la projection, après ce dernier plan d’une femme seule dans un appartement douloureusement vide. Un film d’Amour absolu, ultime. Et puis il y a la musique de Schubert, cet Impromptu que j’ai si souvent écouté et que je n’entendrai sans doute plus jamais de la même manière. Je crois qu’il me faudra un peu de temps encore pour appréhender pleinement ce film. Les mots me manquent encore.

    Critique « Le ruban blanc » de Michael Haneke

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    En raison de l’inimitié ou de la potentielle rancœur subsistant entre Isabelle Huppert et Quentin Tarantino suite à leurs dissensions lors du casting d’ « Inglourious Basterds » et du lien particulier qui unit cette dernière à Haneke ( « La Pianiste » du même Haneke lui a valu un prix d’interprétation cannois), je supposais que « Le ruban blanc » devait être un chef d’œuvre tel que ce prix mettait la présidente du jury 2009 hors du moindre soupçon d’avoir favorisé le réalisateur autrichien, pour des raisons autres que cinématographiques.

    Alors, « un ruban blanc » est-il ce chef d’œuvre irréfutable faisant de cette palme d’or une évidence ?

    Haneke est aussi outrancier dans l’austérité que Tarantino l’est dans la flamboyance. Leurs cinémas sont à leurs images, extrêmes. Alors difficile de comparer deux films aussi diamétralement opposés même si pour moi l’audace, l’inventivité, la cinéphilie de Tarantino le plaçaient au-dessus du reste de cette sélection 2009. Audace, inventivité, cinéphilie : des termes qui peuvent néanmoins tout autant s’appliquer à Haneke même si pour moi « Caché » (pour lequel il avait reçu un prix de la mise en scène en 2005) méritait davantage cette palme d’or (et celui-ci un Grand Prix) qui, à défaut d’être une évidence, se justifie et se comprend aisément.
     

    Synopsis : Un village de l’Allemagne du Nord à la veille de la Première Guerre Mondiale. Un instituteur raconte l’histoire d’étranges incidents qui surviennent dans la petite communauté protestante formée par les élèves et leurs familles. Peu à peu, d’autres accidents surviennent et prennent l’allure d’un rituel primitif.

    Quel qu’en soit l’enjeu et aussi âpre soit-elle, Haneke a le don de créer une atmosphère quasi hypnotique, et de vous y plonger. L’admiration pour la perfection formelle l’emporte toujours sur le rejet de l’âpreté, sur cette froideur qui devrait pourtant nous tenir à distance, mais qui aiguise notre intérêt, notre curiosité. La somptuosité glaciale et glaçante de la réalisation, la perfection du cadre et des longs plans fixes où rien n’est laissé au hasard sont aussi paralysants que l’inhumanité qui émane des personnages qui y évoluent.

    Derrière ce noir et blanc, ces images d’une pureté étrangement parfaite, à l’image de ces chérubins blonds symboles d’innocence et de pureté (que symbolise aussi le ruban blanc qu’on leur force à porter) se dissimulent la brutalité et la cruauté.

    L’image se fige à l’exemple de cet ordre social archaïquement hiérarchisé, et de cette éducation rigoriste et puritaine dont les moyens sont plus cruels que les maux qu’elle est destinée prévenir et qui va provoquer des maux plus brutaux encore que ceux qu’elle voulait éviter. La violence, au lieu d’être réprimé, s’immisce insidieusement pour finalement imposer son impitoyable loi. Cette violence, thème cher à Haneke, est toujours hors champ, « cachée », et encore plus effrayante et retentissante.

    Ce ruban blanc c’est le symbole d’une innocence ostensible qui dissimule la violence la plus insidieuse et perverse. Ce ruban blanc c’est le signe ostentatoire d’un passé et de racines peu glorieuses qui voulaient se donner le visage de l’innocence. Ce ruban blanc, c’est le voile symbolique de l’innocence qu’on veut imposer pour nier la barbarie, et ces racines du mal qu’Haneke nous fait appréhender avec effroi par l’élégance moribonde du noir et blanc.

    Ces châtiments que la société inflige à ses enfants en évoquent d’autres que la société infligera à plus grande échelle, qu’elle institutionnalisera même pour donner lieu à l’horreur suprême, la barbarie du XXème siècle. Cette éducation rigide va enfanter les bourreaux du XXème siècle dans le calme, la blancheur immaculée de la neige d’un petit village a priori comme les autres.

    La forme démontre alors toute son intelligence, elle nous séduit d’abord pour nous montrer toute l’horreur qu’elle porte en elle et dissimule à l’image de ceux qui portent ce ruban blanc.

    Que dire de l’interprétation ? Elle est aussi irréprochable. Les enfants jouent avec une innocence qui semble tellement naturelle que l’horreur qu’ils recèlent en devient plus terrifiante encore.

    Avec une froideur et un ascétisme inflexibles, avec une précision quasi clinique, avec une cruauté tranchante et des dialogues cinglants, avec une maîtrise formelle fascinante, Haneke poursuit son examen de la violence en décortiquant ici les racines du nazisme, par une démonstration implacable et saisissante. Une œuvre inclassable malgré ses accents bergmaniens.

    Un film à voir absolument. L’oeuvre austère, cruelle, dérangeante, convaincante, impressionnante d’un grand metteur en scène.

    Catégories : COMPETITION OFFICIELLE Lien permanent 0 commentaire Pin it! Imprimer
  • "Une journée particulière" de Gilles Jacob: le Festival de Cannes célèbre aujourd'hui ses 65 ans!

    En attendant de vous livrer mes dernières critiques des films en compétition, notamment de l'excellent "Reality" de Matteo Garrone, et le récit de ces deux dernières journées, je vous rappelle que le Festival de Cannes célèbre aujourd'hui ses 65 ans et que, à cette occasion, cet après-midi, en salle Debussy, à 17H30 sera projeté le documentaire de Gilles Jacob "Une journée particulière" en présence de 18 des 35 cinéastes de "Chacun son cinéma"...notamment. Une séance à ne surtout pas manquer. Retrouvez ma critique ci-dessous.

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    Lors de la conférence de presse du Festival de Cannes (pour lire mon article détaillé sur la sélection officielle 2012, cliquez ici), Gilles Jacob annonçait la projection de « ce petit travail d’artisan», cette Histoire de Festival numéro 4, son quatrième documentaire sur l’histoire du festival, un documentaire sur l’anniversaire des 60 ans du festival qui sera présenté le jour de l’anniversaire du festival (65 ans, cette fois), en séance spéciale, le 20 mai, en salle Debussy (et diffusé le 20 mai, à 22H10, sur Canal + cinéma et le 27 mai, à 16H20, sur Arte) sous le titre « Une journée particulière », un documentaire que j’ai découvert avec plaisir vendredi dernier, d’autant plus que j’avais vécu cette journée en tant que festivalière dans le grand Théâtre Lumière. Je me souviens avoir été submergée par l’émotion (je crois bien n’avoir pas été la seule) lors de cette journée indéniablement particulière, sans aucun doute un de mes plus beaux souvenirs en 12 ans de Festival de Cannes.

     

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    Il était en effet difficile de rester insensible face à ces 34 déclarations d’amour au cinéma ( « Chacun son cinéma » regroupe 33 courts-métrages pour 35 cinéastes –puisqu’il y a les frères Coen et les frères Dardenne- auxquels il faut ajouter le court-métrage de David Lynch présenté en ouverture du festival), ces mises en abymes qui avaient achevé de détruire la mince frontière qui sépare le cinéma de la réalité, si mince à Cannes plus qu’ailleurs. Le cinéma d'hier y côtoie celui d'aujourd'hui, le cinéma d'aujourd'hui célèbre celui d'hier, après une montée des marches rythmée par la voix de Frédéric Mitterrand, voix off intemporelle, réminiscence si symbolique de l'âge d'or du festival, ballet magique où le Cannes d'hier semblait brusquement ressurgir, avec son aura mythique, avant qu’une autre voix inimitable, celle de l’éblouissante Juliette Binoche, n’annonce tous ces grands cinéastes sur scène. Je me souviens de la folie paradoxalement joyeuse et presque solennelle qui a régné ce soir-là. Je me souviens que le couple lui aussi mythique du chef d’œuvre de Visconti «Le Guépard », Angelica et Tancrède, Claudia Cardinale et Alain Delon, était reconstitué et fut le plus applaudi, 44 ans plus tard (« Le Guépard » fut d’ailleurs projeté en copie restaurée à Cannes, il y a deux ans, en leur présence, autre moment magique et unique). Ce soir-là, sur les marches, sous mes yeux, éblouis, par le soleil, par la magie du cinéma, s'était déroulé un pan de l'histoire du cinéma en accéléré.

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    (photo ci-dessus copyright inthemoodforcinema.com )

    Ce soir-là, le palais des festivals avait réuni un plateau unique et exceptionnel. Un générique inouï. Et l’émotion provenait autant de ce générique, tous ces créateurs rassemblés dont tant étaient à l’origine de ma passion pour le cinéma, dans ce lieu qui l’a exacerbée, que de ce film qui, justement, rendait hommage à cette passion, montrant à quel point, Cannes est "une fenêtre ouverte sur le monde"…et sur le cinéma (et inversement), un monde dont ce festival met si bien en lumière les ombres et les blessures.

    Comme l’a dit Gilles Jacob, lors de la conférence du festival, jeudi, « ce qui n’a pas changé et ne changera pas, c’est ce que sont les créateurs qui font Cannes et non pas l’éphémère ni l’écume des choses ». En effet, si Cannes est parfois versatile, prompte à magnifier ou détruire, à déifier ou piétiner, si des rêves y achoppent, des illusions s’y brisent, des projets s'y esquissent, des carrières s'y envolent, si des films nous y éblouissent, l’essentiel est que des cinéastes émergent, se révèlent au monde, nous révèlent un monde. Le leur. Le nôtre. Cannes, c’est le miroir grossissant et informant du monde, déroutant parfois aussi. Le reflet de ses colères, de ses blessures, de sa poésie.

    J’étais donc curieuse de me remémorer ces instants et de découvrir un peu de l’envers du décor de cette journée si « particulière » dont Gilles Jacob avait été l’initiateur, projet fou, ambitieux, audacieux me rappelant cette phrase de son livre « La vie passera comme un rêve », « Il faut être vraiment fou pour continuer à relever ce défi : révéler, surprendre, faire rêver ». Une folie bienheureusement douce, et même salutaire.

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    Le titre est bien entendu un clin d’œil à Ettore Scola mais aussi à la particularité de cette journée pour laquelle les 35 réalisateurs de « Chacun son cinéma » (et non des moindres !) étaient venus à Cannes en 2007. Gilles Jacob avait en effet commandé (et produit) l’œuvre collective « Chacun son cinéma » à trente-cinq des plus grands cinéastes internationaux, sur le thème de la salle de cinéma.

    Cette journée particulière est celle au cours de laquelle ces trente-cinq réalisateurs ont été suivis dans les différents rites cannois : arrivée, photocall, conférence de presse, montée des marches, répétition de leur parcours sur la croisette, cuisines, feu d’artifice… S’y côtoient, entre autres : David Lynch, Aki Kaurismäki, Roman Polanski, Nanni Moretti, Ken Loach, Raymond Depardon, Olivier Assayas, Alejandro Gonzalez Iñárritu, Michael Cimino, Wong Kar-wai, Manoel de Oliveira, les frères Dardenne, Amos Gitaï, Youssef Chahine, David Cronenberg et Jane Campion. 35 réalisateurs venus de 25 pays différents et signant un film de 3 minutes chacun (avec 25000 euros de budget). Nous les suivons ainsi dans les rituels cannois, des rituels futiles et nécessaires, dérisoires et essentiels.

    Dédié à Theo Angelopoulos et Raoul Ruiz, ce film possède la simplicité, l’élégance et l’humilité de son auteur défini comme un « gentleman old school » par un des cinéastes ou comme le « chef de village » d’un “petit port de pêcheurs isolé au sud de la France ”, dans le film (très drôle) de Walter Salles. Ce qui en émane, c’est son amour immodéré pour les créateurs. Son documentaire possède le même atout que ses ouvrages : il en dit beaucoup sans écorner le mystère, sans jamais être impudique ou indiscret. Et surtout il témoigne d’un amour fou et communicatif pour le cinéma et, peut-être plus encore, pour ceux qui le font. Ainsi débute-t-il : « Mon nom est Gilles Jacob. Petit, je rêvais d’être capitaine de pompiers, ado j’ai été projectionniste au Festival de Cannes, c’est moi qui passais les films en tombant amoureux des belles actrices, dans ce palais où l'on célèbre les réalisateurs du monde entier. »

    Gilles Jacob, en voix off, explique aussi que « Etourdiment, nous visions le record du film le plus prestigieux, de la photo de groupe la plus mirobolante. Mais obtenir l’accord d’autant de grands artistes ne fut pas mince affaire. Finalement, c’est la séduction cannoise qui l’emporta. » Cette voix off se superpose sur les images de l’un de ces films, celui de Gus Van Sant. Une autre histoire de séduction… et s’il est bien un festival séduisant, irrésistible, aussi périlleux que prestigieux, c’est Cannes...

    Les images des films (18 extraits) alternent avec celles de cette journée hors du commun. La caméra débusque subrepticement les sourires, une mélancolie qui affleure, un instant insolite, mais surtout le plaisir d’être ensemble et la complicité de ces « 35 mousquetaires ». Elle s’attarde sur les regards et les mains, la beauté de « la géographie d’un visage », des visages, ceux des artistes. Bel écho avec les extraits des films qui eux-mêmes se concentrent surtout sur les visages et les rites cinématographique comme une mise en abyme de la mise en abyme. Au détour d’un plan, on devine la malice juvénile de Gilles Jacob comme dans la façon de filmer ce mimétisme burlesque dans les gestes des frères Dardenne ou dans la manière de filmer des spectatrices en bas des marches mais le regard est toujours tendre, bienveillant, jamais méprisant ou condescendant. Une malice juvénile qui me fait penser à celle de Woody Allen qu’il a cité en présentant le film mais aussi à Alain Resnais qui, il y a trois ans, à Cannes avait présenté le film finalement le plus jeune, fou et audacieux de cette édition, « Les herbes folles » et qui , je l’espère, continuera de m’enchanter et me surprendre cette année avec son « Vous n’avez encore rien vu » que j’attends avec énormément d’impatience.

    Quel dommage d’ailleurs que Woody Allen ne figure pas dans ces courts-métrages lui, qui avec sa « Rose pourpre du Caire », nous avait justement si bien parlé de la magie du cinéma et de cette fragile frontière entre cinéma et réalité.

    C’est un bonheur de revoir ces images, de constater une nouvelle fois ce qui caractérise un grand cinéaste, un auteur : le caractère immédiatement identifiable de son regard sur le monde et de son univers comme celui de Wong Kar-Wai, avec sa langueur poétique, envoûtante, sensuelle aux couleurs chatoyantes. Celui d’Elia Suleiman avec son humour burlesque. Comme la façon inimitable de Lelouch de filmer et faire jouer les acteurs (dans un film émouvant qui rend sublimement hommage au cinéma, et à ses parents). Comme la composition des plans et la manière de filmer la jeunesse si reconnaissable de Gus Van Sant... Et quand Atom Egoyan filme deux jeunes filles qui dialoguent par SMS tout en regardant des films et notamment « La Passion de Jeanne d'Arc » de Dreyer, la passion du cinéma s’allie subtilement à une dénonciation des dérives de notre époque (le meilleur film sur le sujet de ce monde qui n’a jamais communiqué aussi vite et mal restant d’ailleurs pour moi « Babel » de Inarritu ).

    Le film s’achève par la musique de « La vie est belle » de Roberto Benigni (dont vous pouvez d’ailleurs retrouver ma critique ici, un film tellement indissociable de Cannes), une excellente idée en guise de conclusion et qui aurait d’ailleurs aussi pu être le titre de ce film. Si, comme le disait Gilles Jacob dans « La vie passera comme un rêve », « Cannes n’est pas un paradis pour les âmes sensibles », il l’est pour les amoureux du cinéma. Si Cannes peut encenser, broyer, magnifier, dévaster et en a perdu certains et tant à force de les éblouir, les fasciner, les aliéner ; si, là plus qu'ailleurs, les personnalités peuvent prendre des reflets changeants, finalement éclairants, révélant le portrait de Dorian Gray en chacun ; si Cannes s'enivre de murmures, se grise de lumières éphémères, s'en étourdit oubliant presque celles du Septième Art ; si le cinéma est parfois éclipsé derrière tous ceux qui font le leur, Cannes reste le plus grand festival de cinéma au monde, la plus grande déclaration d’amour au cinéma (et aux cinéastes) qui y règne en maître, lequel finalement toujours sort vainqueur comme dans ce documentaire, bel hommage à Cannes, au cinéma, aux créateurs.

    A n’en pas douter ce 20 mai sera à nouveau une journée exceptionnelle et il se pourrait que, à nouveau, un générique exceptionnel vienne saluer cette projection que je vous recommande (et que je ne manquerai pas). Seul regret : que ces 53 minutes en compagnie de ces grands cinéastes et de leurs univers soient trop courtes mais, à peine la projection terminée, cela nous donne finalement envie de revoir « Chacun son cinéma » (disponible en DVD). Alors, rendez-vous le 20 mai pour les festivaliers et pour les abonnés de Canal plus, et le 27 mai sur Arte. Vous n’aurez aucune excuse pour l’avoir manqué… Et surtout, pour paraphraser le titre du film d’Alain Resnais « Vous n’avez encore rien vu… ».

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    J’en profite également pour vous recommander le dernier ouvrage de Gilles Jacob «Le Fantôme du Capitaine », une correspondance imaginaire, une soixantaine de lettres comme autant de nouvelles que j’ai dévorées comme un roman une évasion pleine de fantaisie dans le cinéma et la cinéphilie, la littérature, l'imaginaire, et en filigrane une réflexion sur l'art, qui réjouira tous ceux qui aiment passionnément le cinéma et la littérature, et aiment s'y perdre délicieusement, au point parfois de les confondre ou même les préférer à la réalité, un livre dans lequel Gilles Jacob, vous fait voyager avec élégance, avec savoureuse et malicieuse (auto)dérision, entre mensonge et vérité, imaginaire et réalité qu'il interroge et manipule, et qui exhale un enivrant parfum de vérité, la plus troublante et réjouissante des illusions, une illusion rassurante pour l'incurable rêveuse que je suis. (suite de mon article à ce sujet ici)

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